Tous les billets

Les 60 billets de ce blog sont autant de tranches de vie déposées au fil des semaines de l’année 2010 par un couple de retraités découvrant le Nord-Cameroun et ses habitants.

Ci-après, tous les billets sont en continu, du plus récent au plus ancien.

"Lire la suite..." offre un accès billet par billet, ordre chronologique.

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Au revoir et merci

Quels sentiments exprimer au moment de quitter les habitants de cette belle et chaude région pour retrouver les froidures de l’Europe ?

Hier soir nous avons invité pour un pot d’au-revoir les personnes que nous côtoyons depuis un an dans l’environnement du CDD et du Centre de santé. Les femmes et hommes de ménage, les cuisiniers, les secrétaires, les gardiens, les intendants, les collègues et les responsables de nos structures de travail, des voisins aussi… sans oublier les jeunes coopérants, les pères, les sœurs avec qui nous avons passé de si bons moments.

A tous nous leur avons dit merci.

Merci de l’accueil que chacun à sa manière nous a réservé. A commencer par la mise à disposition d’un hébergement de qualité, qui nous a permis d’accueillir à notre tour…

Merci pour les sourires omniprésents, donnés généreusement, de bon cœur. La joie de vivre africaine est une réalité tangible.

Merci pour les superbes paysages des Monts Mandara. Avoir des rencontres humaines enrichissantes dans un tel décor est un bonheur dont on ne se lasse pas.

 

En venant au Nord-Cameroun nous avions le modeste objectif de renforcer un peu les liens humains entre nos continents. Nous pensons que les grands projets de collaboration internationale peuvent gagner en efficacité si des hommes et des femmes, de part et d’autre, se connaissent mieux.

Amis lecteurs de ce blog, nous avons souhaité vous associer à notre relation avec cette Afrique à la fois si proche et si lointaine. Vous avez répondu « présents » puisque vous avez été 21 « visiteurs uniques par jour » (visiteur unique signifie qu’un ordinateur n’est compté qu’une fois même s’il se connecte plusieurs fois le même jour) soit un total de 7 000 visites sur 11 mois.

Au travers des 55 billets composés nous espérons vous avoir permis de cheminer dans vos idées sur l’Afrique et ses habitants. Nous avons essayé de varier les sujets… bien sûr la réalité est mille fois plus fournie ! Nous avons voulu être vrais dans nos narrations… mais tout ne peut pas être exprimé hors de son contexte vécu !

Au final, amis lecteurs, acceptez notre grand merci pour nous avoir simplement accompagnés tout au long de cette année Cameroun2010.

 

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Maryvonne recevant un cadeau de départ de l’équipe du Centre de santé de Domayo

 

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Le père Théophile, président du CDD, nous exprimant son au-revoir

Petits métiers, petits commerces

Comment sont reçues les images ? Quelles impressions provoquent-elles dans l’esprit de ceux qui les regardent ? Conduisent-elles à une assez juste perception de la réalité ? …

Tout au long de cette année 2010, sur ce blog, nous avons tenté de vous associer à des morceaux de vie des habitants du Nord-Cameroun. Plusieurs lecteurs nous ont dit avoir particulièrement apprécié le choix des photos. Merci.

Cependant nous n’avons nullement cherché l’exotique ou le sensationnel, nous avons simplement voulu rendre compte de quelques rencontres et de quelques scènes vécues au jour le jour. Ici comme chez nous, les gens vivent avec leurs bonheurs et leur malheurs, parfois petits, parfois grands… La plupart ont des vies simples, avec une bonne part de travail quotidien.

Alors voici une dernière série de photos, en hommage aux milliers de personnes en activités que nous avons côtoyées durant 11 mois. Un grand nombre sont petits artisans et petits commerçants.

 

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Et puis, ne nous privons pas d’un peu d’insolite !

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Avec un sourire à toute épreuve.


La récolte du mil rouge

Rouge est le roi des mils. Ses cousins jaune et blanc ne déméritent pas, cependant pour tout Nord-Camerounais seul le mil rouge « donne vraiment la force. » En quelques chaudes journées d’octobre, les intenses verts des champs de sorgho ont cédé la place à des rouges indéfinissables.

Au sommet des tiges desséchées apparaissent alors les précieux épis. La récolte est là, toute entière, et nos yeux d’Européens ne peuvent s’empêcher de penser qu’elle est bien clairsemée...

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Une faucille à la main les moissonneurs déposent des javelles.

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Le plus souvent les tiges sont dressées en gerbes sur le champ pour parfaire le séchage.

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Parfois les épis sont emportés dans des paniers ou des sacs jusqu’au « hangar » dans la concession.

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Au champ ou à la maison, arrive l’étape du battage, ici le mot a vraiment gardé son sens premier. Les panicules sont sévèrement battues à coup de branches. A force de milliers de coups, les solides graines se détachent progressivement des épillets.

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Les grains sont enfin libérés mais mille débris les accompagnent. Le vent est maintenant appelé à la rescousse pour une épuration. Vigoureusement lancé d’une calebasse, le mil parcourt un bel arc de cercle. La poussière ne suit pas, elle revient plutôt à la figure du lanceur ! Quelques épillets se déposent sur le tas propre, deux balayeurs attentifs les repoussent au fur et à mesure. Remarquez-vous une légère fumée bleue au centre de l’image ? Quelques brins de paille sont tenus allumés pour indiquer en permanence au lanceur le sens du vent.

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Et si l’on est seule, l’indispensable vannage prend alors la forme d’un déversement contrôlé à bout de bras.

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Ces scènes doivent se répéter depuis la nuit des temps. Dans toute la région, la totalité de la moisson se fait toujours à la main, sans aucune mécanisation.

 

Quel est le rendement de cette récolte ne manquera pas de s’enquérir l’occidental ? Bien difficile de répondre à cette préoccupation. Traditionnellement chaque chef de famille gérait secrètement son grenier, il était le seul à connaître le volume de la récolte. Il rationnait ses protégés selon l’état de la réserve et mettait son point d’honneur à atteindre la récolte suivante, avec disette parfois mais sans famine. Aujourd’hui la gestion des récoltes se fait selon des modalités très différentes, cependant la mesure exacte de la récolte demeure peu répandue. Disons qu’ici une récolte « normale » serait de 2 à 3 sacs (de 100 kg) par quart d’ha, soit environ 10 quintaux/ha. Bien entendu certains font beaucoup plus, mais la maigreur de la culture dans certains champs nous fait penser que beaucoup font moins !

Moulin à mil

 « Teuf, teuf, teuf… » Le symptomatique ronronnement du robuste moteur thermique n’échappe à aucune oreille avertie. Un moulin à mil est en fonctionnement dans le quartier.

Cependant, bien avant le moment de la mise en route du moulin, les habituées ont déjà déposé, en file, leurs sacs et bassines de grain à moudre.

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A l’instar du taxi-brousse qui ne se lance sur la route que lorsque tous ses sièges sont occupés, le meunier ne démarre son moulin que lorsqu’il est sûr d’avoir une assez longue séquence de travail. Pas question de laisser le moteur tourner à vide.

Mil, maïs, soja…, toutes les ménagères sont attentives à la bonne mouture de ces graines pour réussir une agréable cuisine.

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Un paquet de 3 kg, une bassine de 8 kg, un quart de sac (25 kg)… selon le nombre de bouches à nourrir, la distance au moulin, l’argent disponible pour payer ce service… tous les volumes se présentent au moulin. Les prix du travail varient de 10 à 25 F « la tasse », mais est-ce la même tasse de 2 kg  ? ? A la louche donc, estimons le coût par famille de 20 à 35 000 F CFA (30 à 50 euros) par an. Cette dépense est loin d’être négligeable puisque la mouture atteint le prix d’au moins trois sacs de mil à la récolte, tandis que la consommation annuelle d’un foyer est d’une dizaine de sacs.

A longueur de journée nous observons des enfants et des femmes parcourant les routes avec un pochon sur la tête. Nous savons que la plupart du temps il contient ce grain moulu ou à moudre.

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A la ville comme à la campagne le moulin à moteur est devenu une véritable institution au Nord-Cameroun. Son apparition date de 1985. Progressivement, en une quinzaine d’années, cette nouvelle pratique a supplanté l’antique écrasement à la pierre. Aujourd’hui, si chaque case de montagne dispose encore d’une meule domestique, on ne s’en sert couramment que pour écraser les feuilles à sauce, plus guère pour les grains.

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L’introduction du moulin à moteur dans la région constitue une véritable révolution culturelle. Dans les discussions des habitants il arrive que de nouvelles techniques soient encore qualifiées « d’invention des blancs ». Mais aucun mari n’imaginerait maintenant s’opposer à sa femme sur l’usage du moulin. Cette innovation est désormais complètement intégrée dans les pratiques locales.

Jusqu’au début des années 2000, les organismes de développement ont subventionné la mise en place de moulins communautaires. Quelques uns ont très bien marché. Les bénéfices dégagés de leur gestion collective ont parfois aidé à la scolarisation des enfants, ou ont permis du microcrédit.

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Cependant, d’importantes difficultés apparaissent fréquemment dans le fonctionnement de cet outil collectif.

En premier lieu, bien entendu, l’association gestionnaire doit être rigoureuse et intègre dans les entrées et sorties d’argent. Il en existe.

En second, le meunier, personnage clef du dispositif, doit non seulement être intègre et rigoureux, mais aussi avoir acquis un bon tour de main pour le réglage d’une mouture adéquate et disposer de compétences dans l’entretien du matériel. C’est presque le mouton à 5 pattes !

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Enfin, il faut disposer d’un bon moteur. Ce point, qu’on n’imagine même pas faire problème en Europe, m’apparait ici comme une véritable épine dans le pied.

Les premiers moteurs, comme ceux de la marque Manucycle, valaient chers, mais plusieurs fonctionnent encore après de nombreuses années. Malheureusement, on ne trouve plus les pièces de rechange pour continuer à les utiliser. Aujourd’hui, le circuit d’approvisionnement mécanique passe par le Nigéria voisin, qui lui-même importe de Chine à bon marché. Aux dires des utilisateurs, ces moteurs nécessitent réparations sur réparations, et leur consommation en carburant est excessive.

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Il s’ensuit des situations critiques. Dans un village par exemple, un bon moteur de 6 ans n’est plus utilisable par défaut de pièces disponibles à Maroua. Un nouveau moteur a donc été acheté au Nigéria. Après un an et demi de fonctionnement les frais de réparations ont déjà englouti l’équivalent de son prix d’achat (700 000 F CFA, environ 1 000 euros). Sa dernière panne dure depuis plus d’un mois. Pour trouver un moulin qui fonctionne, une femme de notre connaissance a dû parcourir deux fois 12 km à pied avec son sac de 25 kg sur la tête. On nous dit que certaines femmes de ce village reprennent l’écrasement à la meule de pierre !

 

Ce petit exemple montre, si nécessaire, la complexité du développement d’un pays. Ici, le manque de personnes compétentes en mécanique plus la mise en place d’une « filière moteur » bon marché, conduisent actuellement à une détérioration du service de mouture, pourtant largement adopté par la population.

Gageons que l’inventivité africaine trouvera des solutions de rechange pour cette production de farine afin que l’emploi du temps des femmes continue à être soulagé.

 

L’achat d’une meule de pierre taillée à neuf demeurera alors dans le domaine du loisir.

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Visiteurs

Il était temps ! Mon plus jeune frère (Bernard), son fils ainé (Maël) et une sœur cadette (Solange) sont venus vivre deux semaines avec nous avant que nous quittions bientôt ce magnifique coin de terre africaine. Ils nous offrent trois regards (très partiels, nous disent-ils) sur les gens, leur quotidien, leur environnement. Solange évoque la vie de voisinage, Bernard parle de routes et de rencontres, quant à Maël son rêve d’espaces indomptés n’est-il pas devenu réalité ?

 Les voisins, les voisines

« Bonne arrivée, vous êtes ici chez vous. » Paroles Africaines traditionnelles. Premier cadeau, premier merci.

Nouveaux dans un quartier, vos premières fréquentations ? Les voisins naturellement.

Nous passâmes donc notre premier après-midi de découverte accompagnés d’Hortense et de Moïse, nos « petits voisins ».

Longeant la Villa-Rosa, une ruelle conduit à la concession familiale. Par une porte tôlée, vous accédez à leur espace de vie. Une cuisine dans la courette, quatre chambres adossées contre un mur ; l’une est louée à un étudiant, il ne faut rien négliger.

 

Là, vous pouvez demander : la grand-mère, la fille Doudou,  la petite-fille Denise. Ce peut être aussi une autre petite-fille Hortense, Béatrice la petite sœur handicapée, le petit-fils Moïse, Cette semaine vous ne verrez pas Asta (demi-sœur de Moïse) ni son fils Saly partis pour quelques jours au village.

Vous ne rencontrerez pas de papas. Trois sont décédés, ainsi que la maman de Moïse. Le mariage de Doudou n’a pas marché, le mari d’Asta « a fui ». La maman d’Hortense a disparu dans la nature…

Si vous êtes un peu perdus, ce n’est pas trop grave, pour vous tout au moins.

 

A 28 ans, voici donc Doudou, promue chef de famille. Doudou est la couturière attitrée de Maryvonne et de ses visiteurs. Une quarantaine de vêtements réalisés à ce jour.

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L’association « Projet Siloé » aide la famille dans la prise en charge des orphelins : quelques sacs de mil pour la nourriture, le paiement des frais d’inscription pour l’école. « L’écolage » ainsi réglé, Moïse et Hortense peuvent « fréquenter » ; une semaine le matin, une semaine l’après-midi, à l’école publique du quartier.

Etant donné le nombre important d’élèves, il faut se serrer un peu. Quatre-vingt-douze élèves pour un cours magistral, sans livre, sans matériel. On écoute, on copie sur le cahier ce qui est écrit au tableau noir. « Ça va, non ? »

Les voisins favoris d’Hortense et de Moïse sont, vous l’aurez déjà deviné, Maryvonne et Gabriel.

Trois coups frappés au portail métallique : « Ça, c’est Hortense. » A moins que ce ne soit Moïse, ou peut-être les deux. « Maryvonne, il nous manque un peu de sucre. » « Gabriel, est-ce que je peux prendre de l’eau au robinet ? » Sinon, il faut tirer les 18 litres au puits situé à 300 m.

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« Maryvonne, j’ai la tête qui me dérange. » Et qui aide Hortense et Moïse pour les devoirs ? C’est Gabriel. Et qui balaie la cour contre une petite pièce ? C’est Moïse. « Hortense, tu ne voudrais pas aller me chercher du pain ? »

Je ne saurai faire la liste complète des multiples services que se rendent ces voisins-là. Je crois qu’ils se sont bien apprivoisés.

 

« Que signifie apprivoiser ? » demanda Le Petit Prince. « Ça signifie créer des liens » répondit Le Renard. Et bientôt, la séparation… « Bien sûr, je serai triste, dit le Renard, mais… »

Solange, le 5 novembre 2010

 

Tranche de vie

« Bonjour / bonsoir, ça va ? » « Ça va, ça va. »

« Ça va bien ? » « Ça va bien je suis debout. »

Tout est là, le premier contact, la poignée de main, le sourire et le « Bonjour, bonsoir ça va… ».

Le même rite pour le même échange, pour s'inquiéter de l'autre. Qui est le plus curieux ? Le noir, le blanc ? Qui est le plus avide de connaître l'autre ? Sans doute aucun mais les raisons sont de toutes façons différentes. Ils nous accueillent dans leur pays, dans leur maison, nous font partager leur amitié, leur repas, nous reçoivent dans leur cour et nous partageons les arachides nouvellement arrachées pour prendre des nouvelles de la famille, des champs, des récoltes à venir. Ici tout reste essentiellement agricole et vivrier pour la majorité des gens de cette région du nord Cameroun. Une mauvaise récolte et c'est l'année qui s'annonce difficile sur le plan alimentaire. Les bouches à nourrir sont aussi nombreuses que les sourires des enfants que nous recevons...

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Nous traversons une tranche de notre Terre, si proche et pourtant si lointaine par ses paysages, ses cultures et ses coutumes. Nous prenons des leçons de vie, le dénuement et le dépouillement des gens nous le rappellent à chaque instant : vivre pour vivre mais sans vraie pauvreté et sans « enviosité »...

 

La voiture avance, elle ne roule pas, elle cahote difficilement sur les routes et pistes défoncées.

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Nous apercevons la terre africaine superbe et différente. Nous traversons les villages figés dans le temps.

Les gens vont, viennent, à pied pour la plupart. Les moyens de locomotion sont rares et en bien mauvais état. Les distances sont grandes. « L'évolution » va à son rythme, à l'africaine. Les enfants crient, saluent, chantent sur le passage du véhicule rare, et des blancs encore plus rares. Un sourire accompagné d'un petit geste de la main que nous essayons de rendre au-delà de nos différences…

Qu’avons-nous d'autre à partager que notre amitié ? Nos désirs, nos valeurs, nos habitudes, notre histoire sont bien trop différents pour donner ou prendre la leçon dans un sens ou dans l'autre. Nous sommes des hommes tous pareils mais quand même bien différents pour vivre à l'identique. Nous croisons nos routes, nous partageons un instant, une idée et nous nous construisons…

Continuons nos chemins.

Bernard, le 5 novembre 2010

 

Un rêve au parc de Wasa

Coupure de courant. Il paraît que c'est fréquent au Cameroun. Ça ne fait rien, doucement, à tâtons, je me glisse dans le « boukarou » et je m'allonge sur le lit, sous la moustiquaire. La nuit est déjà tombée depuis au moins deux heures au centre d'accueil de Wasa. Je ferme les yeux, seul le chant des grillons vient perturber le silence, il fait si chaud, lentement le sommeil me gagne...

 

Debout, à l'arrière du pick-up qui s'avance à toute allure faisant s'envoler sur son passage une multitude d'insectes (libellules, sauterelles et autres papillons), je profite du paysage. Magnifique, la savane semble, plus qu'à l'horizon, s'étendre à l'infini. Ici et là, quelques arbres saupoudrent l'herbe séchée d'un je-ne-sais-quoi qui superbe le tout.

Je me régale de cette vision inoubliable de l'Afrique quand le véhicule s'arrête. Je regarde autour de moi et, au loin, je l’aperçois; grandiose, majestueuse, une girafe. Elles sont même plusieurs, oui il y en a tout un troupeau ! Elles s'avancent, guidées par le mâle; non peu fier de son affaire, il tâche de les emmener au point d'eau le plus proche.

Je descends du pick-up pour m'approcher, prudemment bien sûr, je ne voudrais pas leur faire peur. Arrivé à une trentaine de mètres de la procession, je m'installe, j'observe, je profite du spectacle. Mais qu'est-ce-que je vois là-bas ? Un girafon qui tête sa mère! Je m'avance, toujours avec précaution, malheureusement j'effraie le petit qui s'enfuit...

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Je me réveille, en sueur, toujours cette chaleur à laquelle je ne suis habitué. Le jour n'est pas levé ; je me rendors, le sourire aux lèvres, les rêves plein la tête...

 

Maël, le 5 novembre 2010

Coups de cœur des Arnaud

Voisins de quartier en France, Guy et Jacqueline Arnaud ont tenu à nous rendre visite au Cameroun. Fortement engagés dans le développement d’un village du Mali, c’est avec un œil expert qu’ils ont découvert les réalisations de promotion humaine de l’Extrême-Nord camerounais. Ils acceptent ici de nous partager quelques unes de leurs impressions.

Notre voyage au Cameroun se voulait être d’abord une rencontre avec Maryvonne et Gaby dans leur milieu de « travail » depuis maintenant presque un an. Mieux comprendre leurs missions, les actions engagées, les réussites et aussi les difficultés rencontrées.

Bien sûr, nous avons aussi découvert une région, une ville et la plaine de Maroua, des paysages grandioses comme Rhumsiki au cœur de la montagne des Kapsiki, les monts Mandara, et la réserve de Wasa.

 

Nous retiendrons spontanément 3 coups de cœur :

 

1. Jéricho

Le centre de formation de Jéricho à 35 km de Maroua, en pays Mofou, c’est là que Gaby donne des cours de gestion pour des agriculteurs. Le principe, 12 couples de jeunes agriculteurs viennent pendant un an recevoir une formation agricole en alternant pratique et théorie. Chaque couple arrive avec 2 sacs de mil et repart avec la récolte qu’il aura produite sur la parcelle de terrain attribuée, 1/3 en maïs, 1/3 en arachide et 1/3 en mil. Lucien, le directeur du centre nous a fait visiter l’exploitation, le verger et les bâtiments avec passion mais aussi en soulignant les difficultés.

Chapeau à Monsieur Lucien qui avec patience et ténacité forme ces jeunes couples d’agriculteurs. De retour dans leurs villages ils devront être aussi des exemples pour les autres.

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2. Rhumsiki

A Rhumsiki, village pittoresque au cœur des montagnes Kapsiki, en bordure du Nigéria, se dressent à perte de vue d’immenses pics de lave provenant de cheminées de volcans. L’accès se fait par une piste longue et difficile. Ce lieu semble être au bout du monde, mais le plaisir des yeux compense la fatigue.

Le lever et le coucher du soleil donnent des teintes ocre et rouge, pour un paysage merveilleux que l’on ne se lasse pas de regarder.

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Le voyage à Rhumsiki s’est fait en compagnie d’Amaury et de ses parents. Ce jeune volontaire travaille dans l’hydraulique villageoise pour la fondation Bethléem de Mouda (lieu de multiples activités dont l’éducation d’enfants sourds et l’accueil d’enfants abandonnés). Merci à lui pour nous avoir conduits à bon port.

Au-delà du paysage de quiétude à la limite du rêve, la rencontre avec Hanna Kouvou, notre hébergeuse d’un soir dans sa maison à Rhumsiki, fut un bon moment d’échanges, autour de la « boule de maïs » sauce arachide-oseille et bœuf. Nous avons apprécié ce moment aussi pour sa simplicité, au cœur de la vie quotidienne de Hanna se mettant en quatre pour nous. Nous étions ses presque premiers « touristes » depuis que Marthe « l’Arradonnaise » l’a incitée à ouvrir cette maison d’hôtes. Beau projet, nous ne pouvons que lui souhaiter plein succès.

Délicieux moments à tout point de vue, hélas trop courts à notre goût…

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3. Domayo

Le troisième point que l’on souhaiterait aborder est le travail de Maryvonne au Centre de santé et à la maternité du quartier de Domayo à Maroua.

Sur le plan technique, bâtiments, infrastructures, salle d’accouchement, laboratoire pour analyses, pas de comparaison possible avec les centres de santé en brousse, mal entretenus et souvent délabrés comme celui de N… que nous avons visité avec Gaby lors de notre séjour au pays Mofou.

Pour autant Maryvonne nous confie ses difficultés à mettre en place : une rigueur dans l’application de règles d’hygiènes élémentaires, une meilleure qualité de l’accueil dans le respect des personnes, une bonne gestion financière, etc.

Partout dans le centre on relève la patte de Maryvonne, avec fiches, consignes affichées, soucis de propreté des locaux, organisation des salles, sans oublier le local détente pour le personnel. En partant, je lance à ceux présents : « Il faudra continuer comme cela après le départ de Maryvonne. » Des acquiescements de la tête en forme de réponses ; affaire à suivre…

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Un jour ordinaire dans la « salle d’attente » du Centre de santé de Domayo à Maroua

 

Faits divers

Un clin d’œil avant de quitter Villa-Rosa. Maryvonne n’est pas peu fière de faire prendre une mototaxi à Jacqueline. Il suffit d’observer les visages : le « clando » ravi d’être enlacé par Jacqueline, elle-même terrorisée devant l’aventure, tandis que Maryvonne la rassure. Bref tout s’est bien passé et tous sont arrivés à destination ; il suffit de se cramponner, n’est-ce pas Jacqueline ?

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Et puis, 42 ans après, mais cette fois avec Gaby et sa famille débarquant de France, ce fut pour moi un moment fort de repasser par la réserve de Wasa déjà visitée en 1968/1969. Mais il est vrai, c’était au siècle dernier et les girafes ne m’ont même pas reconnu !

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De même concernant N’Djamena, capitale du Tchad, où j’ai séjourné 1 an dans ma jeunesse. Une journée de visite en compagnie de Charles-François, Charlotte, Tiphaine et Vianney, jeunes coopérants qui nous ont guidés avec gentillesse dans la ville. Merci à eux pour leur disponibilité.

Souvenir, souvenir, quand tu nous tiens !!!!!!!!



 

Grand merci à Gaby et Maryvonne qui nous ont supportés pendant ces 10 jours ensemble. C’est Jacqueline à travers ce dessin qui symbolise le mieux l’action de nos amis, avec leur cœur et toute la générosité qui les caractérisent. Chapeau, il faut le faire, vous l’avez fait !

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Bois de chauffe

« Vas-tu manger en arrivant chez toi ? Je mangerais si c’est préparé. » Sous entendu, si ma femme a fait cuire la boule de mil et la sauce qui l’accompagne, sinon je patienterai le temps qu’il faudra. En effet, la confection de l’épaisse bouillie de mil nécessite généralement deux bonnes heures de cuisson au feu de bois.

Au Nord-Cameroun, comme dans beaucoup de régions du monde, il en faut du bois de chauffe pour que chaque maisonnée prépare sa nourriture quotidienne.

Le circuit commence en brousse par le ramassage de bois sec, la coupe d’un buisson, l’élagage d’un arbre ou exceptionnellement son abattage.

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Dans la région la récolte du bois est particulièrement réglementée. Maroua et les villages environnants demeurent très arborés parce que la surveillance des coupes est draconienne. Une contribution de 2 500 F est exigée pour l’élagage d’un arbre ; un abattage est taxé 150 000 F ; un déracinement sans autorisation peut mener en prison.

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A la campagne, les familles se font des réserves pour quelques semaines ou quelques mois.

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Pour la ville, toute une filière d’approvisionnement fonctionne. Il s’agit fréquemment d’une vente directe. L’homme de la photo suivante descend de sa montagne avec un fagot sur la tête. Il a déjà fait 5 km de sentier. Au village prochain, il va emprunter un vélo pour rejoindre la ville à 35 km. Il escompte 400 F (0,6 euro) pour son paquet.

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Ceux qui habitent en bordure d’une route positionnent leur produit en bonne visibilité.

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En vélo, en moto ou en voiture il y aura toujours des acheteurs-revendeurs pour acheminer l’indispensable produit jusqu’à la consommatrice finale.

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Brin par brin la flamme grignotera cette précieuse énergie renouvelable… mais pas inépuisable.

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Aussi la promotion de foyers améliorés, moins gourmands en bois, est une action conduite ici de longue date. Pour remplacer les 3 pierres traditionnelles, des forgerons fabriquent des foyers métalliques concentrant mieux la chaleur. Les foyers fermés en terre sont également assez répandus.

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L’achat du combustible culinaire est un poste important pour tout ménage urbain. A raison de 100 F les trois morceaux, la dépense d’une famille atteint 300 F par jour, soit 9 000 F (près de 15 euros) par mois. Le gaz butane est une alternative moins onéreuse en consommation (une bouteille de 6 000 F peut tenir 2 mois) mais il faut d’abord investir dans une gazinière et une bonbonne. La majorité des familles n’imagine pas épargner plus de 100 000 F pour cela. En outre, la bouteille initiale est très difficile à trouver et la région Extrême-Nord connait des ruptures d’approvisionnement en gaz.

Alors, une ONG expérimente dans quelques villages une production locale de gaz à partir des déjections animales. Quelques kg de bouses dans un « biodigesteur » domestique suffisent à assurer la cuisson des aliments durant quelques jours. Les forgerons locaux ont même conçu un foyer adapté aux usages locaux.

En effet, dans la cuisine habituelle, il faut que la marmite soit bien calée pendant le brassage de la consistante pâte.

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Problèmes identifiés

Un problème bien identifié est un problème à moitié résolu. Il doit y avoir du vrai dans cette maxime, il n’en demeure pas moins qu’il n’est résolu qu’à moitié… autrement dit pas du tout !

 

Pas une rencontre sans que l’on entende : « Il faut identifier le problème. » On constitue alors une commission, on lance une enquête, on réunit les partenaires, au mieux on élabore un plan d’action. Puis le temps passe… et le problème demeure… et le problème empire…

Souvenez-vous l’un de nos premiers billets début janvier 2010 : L’envol vers Mokolo. Sur une route bitumée, quelques nids de poule en passe de devenir des « nids d’autruche »… Chaque trou y était déjà identifié, ses contours bien marqués à la peinture blanche. Dix mois plus tard les trous répertoriés sont toujours là et quelques petits nouveaux sont apparus, pas encore identifiés !

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Heureusement, si l’on peut dire, cette route n’est pas trop fréquentée et la dégradation progresse lentement grâce aux slaloms permanents des chauffeurs.

Mais sur l’axe principal de Maroua à Kousséri, à la frontière du Tchad, la situation est catastrophique. Les énormes camions qui ravitaillent Ndjamena détériorent la chaussée à vue d’œil. Les tronçons encore en bon état se font de plus en plus rares.

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Les habitués nous disent qu’ils parcouraient ces 260 km en 3 heures voici 2 ou 3 ans, aujourd’hui il faut 6 heures au minimum !

Dans la sphère publique, le « non-faire » est légion au Nord-Cameroun. Les situations sont répertoriées, classées, « priorisées »… puis le passage à l’acte se fait attendre encore et encore. La société civile est vraiment trop patiente !

 

Observons quand même la bouteille à moitié pleine ! Ici ou là nous avons le grand plaisir de constater quelques travaux efficaces. Un entrepreneur privé a pris l’initiative de déverser plusieurs camions de sable sur la gadoue de notre rue, désormais tout le monde peut y passer à pied sec. Un arbre est tombé accidentellement sur la ligne électrique du quartier et nous nous apprêtions à deux ou trois jours sans courant ; heureuse surprise, en 24 h chrono l’électricité a été rétablie. Certaines pistes de la campagne sont l’objet de travaux réguliers, des responsables locaux trouvent le financement pour construire des passages d’eau. Puis assurent rapidement leur désensablement en cas de besoin.

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Ailleurs, ce sont des radiers que la population met en œuvre avec l’aide d’ONG.

 

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Dans les lieux où ça se passe ainsi, je pressens tout le travail de conscientisation qui a précédé ces travaux et la force de persuasion de quelques pionniers. Combien d’énergie humaine faut-il donc pour passer du fonctionnement de sa petite sphère privée à l’investissement concret et désintéressé dans le bien commun ?

Les clandos

« Combien sont-ils ? … On ne peut pas savoir. » Leur nom n’est-il pas un diminutif de clandestins ?

Pourtant, à Maroua, ils ne sont plus clandestins du tout depuis bien longtemps. Ils sillonnent la ville du petit matin jusque tard dans la nuit, bien visibles avec leur gilet fluorescent jaune, chevauchant une moto jaune elle-aussi. Il n’y a guère que la pluie d’orage qui les arrête momentanément.

Ici comme dans les autres villes du Cameroun, les « clandos » sont l'appellation populaire des « motos-taximan ».

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Les critiques à leur égard foisonnent : imprudents (les accidents ne manquent pas), voleurs (ils ont une liberté de mouvement qui peut faciliter les trafics), drogués (pour tenir le coup longtemps)… Mais faut-il que les quelques brebis galeuses d’une profession ternissent l’image de toute la corporation ?

 

Personnellement nous les aimons bien. Nous admirons leur courage pour rouler des heures et des heures sous la chaleur ou dans le froid ; hé oui, c’est relatif mais ils sont vraiment transis de froid à certains moments. Nous les trouvons attentifs et serviables. Nous avons rarement eu peur de la conduite risquée de l’un ou l’autre.

 

C’est fou tout ce qui peut être transporté sur ces motos-taxis. Les personnes bien sûr, parfois il s’agit d’un véritable transport en commun ; pour aller et revenir de l’école par exemple.

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En outre, les taximan livrent à domicile une multitude de colis, valises, bidons, sacs, matériaux, matériels, animaux… Ce moyen de transport se situe à mi chemin entre les déplacements à pied, charrettes ou vélos et ceux en voitures, bus ou camions.

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Tout en étant transportés, il nous arrive d’engager la conversation sur les conditions de travail. En moyenne, les clandos demeurent en circulation 8 heures chaque jour. Ils se montrent généralement satisfaits de leurs revenus. La plupart travaillent pour un « patron » à qui ils rendent des comptes. Cependant, plusieurs nous disent être propriétaires de leur moto.

Dans leur parcours de vie, ils voient ce travail comme une étape intermédiaire entre l’état de « petit débrouillard » qu’ils avaient et une situation plus rémunératrice (commerçant par exemple). Ils se lancent dans cette activité après avoir économisé quelques années, être soutenu par un « grand frère » ou encore avoir bénéficié d’un héritage… 400 000 F CFA (600 euros) sont nécessaires pour l’investissement de départ : 300 000 F la moto achetée au Nigéria voisin, plus 100 000 F de « dédouanement » et carte grise.

Les frais fixes se montent à environ 25 000 F/an : assurance, vignette et licence. Pour cette dernière on dit payer le « gilet » car cette chasuble porte la même immatriculation que la moto. Les autres frais sont le carburant (trois litres/jour, soit 1 200 F) et les inévitables réparations.

A raison d'un minimum de 100 F (0,15 euro) la petite course, l'addition peut aller jusqu'à 5 000 F de rentrées journalières, certains pensent rembourser leur moto en une année. Ensuite, ils économiseront 3 ou 4 années pour investir dans une nouvelle affaire.

 

« Combien de clandos y a-t-il à Maroua ? » A défaut d’un nombre exact, Maryvonne peut nous délivrer quelques indices. Elle constate en effet qu’elle a rarement le même chauffeur. Sachant qu’elle utilise une mototaxi 4 à 6 fois par jour, 5 jours par semaine, combien de clandos a-t-elle rencontrés sur 10 mois ?

Comme un poisson dans l’eau

« Etre comme un poisson dans l’eau » voici une expression spontanée que j’évite de prononcer en vivant au Nord-Cameroun. Avec les trois quarts de l’année sans une goutte de pluie, les rivières de sable sec ne sont guère hospitalières aux poissons !

Avec l’arrivée des pluies début juin, nous pensions pouvoir y barboter. Mais le sable omniprésent « boit » très rapidement de grandes quantités d’eau. Ainsi, au 11 juillet 2010, après un mois de petites pluies régulières, le mayo Tsanaga demeurait toujours à sec dans son contournement de Maroua.

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Il nous a fallu attendre la seconde semaine d’août pour admirer le spectacle de l’eau au radier de Makabaye.

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Depuis, les pluies étant particulièrement bien réparties cette année, l’écoulement de l’eau n’a plus cessé. Alors nous ne boudons pas le rafraîchissant plaisir de quelques promenades lacustres à cent encablures de notre maison.

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Sur la voie du radier, l’animation ne cesse pas. Surprise même ce jeudi après-midi, des pêcheurs sont à la manœuvre en contrebas.

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Un jeune m’apprend que ce sont des « professionnels », des pêcheurs nomades qui viennent du lac de Maga, 70 km à l’Est de Maroua. Là-bas la pêche serait suspendue en cette période afin de permettre la reproduction des poissons. Ici leur technique est simple : tendu entre deux personnes, un filet ouvert en V est glissé sur le sable transversalement au courant peu profond.

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A l’arrivée sur la rive le filet n’a aucun risque de se rompre, mais dénicher quelques poissons dans cet environnement habituellement si aride n’est-ce pas déjà un petit miracle ?

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Quant aux taxis-motos, quel plaisir rare que de fendre la vague !

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En repliant bien haut ses jambes.

Mains parlantes et cœur voyant

Mains parlantes

Facile d’expliquer ce qui motive notre visite. Dès le premier geste de la main se déplaçant gracieusement du menton vers ses interlocuteurs, Maryvonne établit le contact avec le groupe d’enfants. « Bonjour à tous. Nous avons un fils sourd, sa femme l’est également. Deux de nos petits-enfants sont aussi malentendants comme vous. » Ces quelques mots exprimés en langue des signes font déborder de sourires les visages qui nous découvrent.

Une école ordinaire de ville, une grande cour vaguement délimitée, des bâtiments aux fenêtres béantes posés ici et là, la voix rocailleuse d’un maître arrivant jusqu’à nos oreilles… une école primaire banale en apparence. Sœur Alda nous explique que sur la douzaine de classes, quatre sont spécialisées pour des enfants malentendants.

Commençons par la classe de CP ; premier étonnement, toutes les tailles, tous les âges ! « Nous nous déplaçons dans les villages pour encourager la venue dans cet enseignement adapté. » Les parents ne voient pas l’intérêt de scolariser un enfant sourd, d’autant plus qu’il est généralement l’excellent berger dont la famille a besoin tout au long de l’année.

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Sabine conduit sa classe avec une grande maitrise. Séquence math. Vérification préalable, chaque élève a bien sa craie et son ardoise. Trois coups sur la table, « Attention je montre le chiffre » : tous les doigts d’une main déployée. Chacun griffonne sur son ardoise et présente son résultat. Signe d’approbation pour certains, sourire de soutien pour les autres. Réponses aussi disparates que les tailles ! On passe à la séquence « Plus grand - plus petit ». Un petit arbre, un grand arbre ; un tabouret, une armoire ; un mouton, une poule ; une élève, la maîtresse ! Bonne humeur générale, la notion rentre petit à petit.

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Passage en CE1-CE2. Bouba est en pleine séance d’apprentissage du « Notre père » en langue des signes. Un grand cercle du bras vers l’avant pour signifier « Notre », l’emplacement de la moustache du papa pour « père », la main se déplaçant en demi-cercle au dessus de la tête pour « qui es aux cieux »…

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« Je fais, vous me regardez… On fait ensemble… Toi, puis toi, venez montrer à tous… »

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La progression est méthodique. Nous percevons des enseignants motivés pour cet enseignement spécialisé. Ils ont le statut de maître de l’enseignement privé catholique, mais leur salaire est pris en charge par une petite association italienne. Le diocèse italien qui la soutient et la paroisse de Mokolo se sont beaucoup investis dans la naissance de cette école intégrée, avec un internat en parallèle.

Jusqu’à maintenant, les familles des environs voulant scolariser un enfant malentendant devaient l’envoyer au centre spécialisé de Mouda à plus de 100 km. L’école de Mouda a procuré une première formation aux enseignants de Mokolo, tandis qu’une autre équipe (le Codas du diocèse de Garoua) accepte d’assurer un suivi pédagogique pour cette nouvelle structure.

Sœur Alda nous dit qu’ici les sourds ne semblent pas rejetés dans leur milieu de vie habituel, ils sont de bons travailleurs manuels et leur entourage développe assez spontanément avec eux une communication gestuelle minimale. Toutefois beaucoup de leurs potentialités ne peuvent pas se développer dans un enseignement exclusivement oral. Nous constatons aussi que plusieurs sont malentendants légers, il suffit d’un enseignement adapté pour qu’ils progressent rapidement.

 

Cœur voyant

 « J’ai senti l’étonnement de Gabriel lorsque j’ai évoqué que l’un de nos pensionnaires avait gagné de l’argent en travaillant sur un chantier de maçonnerie. »

Rien n’échappe à Emmanuel, directeur du Centre des aveugles de Mokolo, lui-même aveugle. Il poursuit « Au Cameroun une loi sur l’emploi des handicapés existe, mais elle n’est pas du tout appliquée. Pourtant, je pense vraiment qu’il n’y a guère de métiers qui soient impossibles aux malvoyants. Sur un chantier de construction, il suffit que je l’organise moi-même, je sais où je pose les choses et j’y arrive. »

Particulièrement volontaire donc ce pionnier. « J’avais quitté l’école. C’est le père Yves Tabart qui m’a encouragé : « Ne reste pas comme ça à rien faire. » Après hésitation j’ai accepté de descendre au Sud pour apprendre le braille. » « J’aurais pu rester à enseigner là-bas, mais j’ai pensé à ma région du Nord tellement démunie… »

Dans sa ville de Mokolo, nouvelle rencontre, nouveau cheminement avec un prêtre plein de foi en l’homme. Le père Giusto, jeune Italien, qui ne supporte pas la relégation sociale imposée aux handicapés. A force de persévérance partagée, l’école spécialisée sort de terre.

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Trente personnes non voyantes y sont accueillies en internat. L’encadrement est minimum, 4 hommes et une cuisinière.

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Les plus jeunes étudient, les plus âgés se forment en travaillant à divers métiers.

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Dans les collines environnantes les aveugles semblent très mal vus. Ce sont des bouches à nourrir et l’on accepte difficilement de consentir quelques efforts complémentaires pour les scolariser, d’autant plus qu’un mauvais sort les aurait frappés pour les rapprocher des serpents…

 

Notre visite aura été rapide, mais en quittant ce centre, nous sommes une nouvelle fois bouleversés de sentir combien certains hommes trouvent les moyens de déplacer des montagnes lorsque leur cœur se met à voir.

Tout est dans les pagnes

L’Afrique aime les couleurs. Elle n’a pas son pareil pour s’habiller de teintes étonnantes mais toujours harmonieuses. Au-delà du bonheur des yeux, il arrive que les vêtements portent aussi un message. Fréquemment, des pagnes sont imprimés avec l’information voulue pour célébrer un événement institutionnel, parfois même un pagne accompagne une fête privée comme un grand mariage par exemple.

 

Maintenant, amis lecteurs, nos modèles sont heureux de vous présenter notre mini collection 2010.

 

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Des hauts et des bas en politique, le Président s’affiche

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Cinquantenaire du Cameroun, choisissez votre couleur

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La Chine aime le Cameroun, et réciproquement

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Fiers de nos paroisses

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Fière de sa tribu évangélisée

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Immaculata en vedette

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Intermède

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La cause des femmes au Cameroun

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La cause des femmes, au Tchad aussi

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Journée de l’enseignant

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Restons sport



Bouquet final, les 3 couleurs du drapeau camerounais (Journée de la femme 8 mars 2010)

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Quelques données pour ceux qui aimeraient singulariser leur prochaine fête :

- Il vous faut commander un minimum de 500 pièces de 6 yards (1 yard = 0,9144 mètre).

- Dessiner une maquette à votre goût, sans oublier quelques slogans percutants.

- Débourser environ 3 500 000 F CFA (5 000 euros) pour vos 500 pagnes.

- Patienter au moins 2 mois avant la livraison, qui vous arrivera de Douala.

 Il ne vous reste plus qu’à être persuasif auprès de votre réseau d’amis et connaissances pour écouler un maximum de pièces à 7 000 F CFA l’unité (10 euros).

Bien sûr, vos acheteurs ne manqueront pas d’être inventifs pour confectionner : robes, pantalons, chemises, jupes, foulards… qu’ils porteront joyeusement le grand jour.

Sachez aussi que, bien au-delà de la date de votre fête, vous croiserez certainement votre création dans les rues pendant de nombreuses années... au Cameroun tout au moins.

Le retour du choléra

« Choisir entre la peste ou le choléra », dans notre imaginaire européen du 21ème siècle cette expression se réduit généralement à l’embarras d’une alternative « entre deux maux… ». Au Nord-Cameroun, après 6 ou 7 années d’accalmie, le choléra arrache à nouveau des vies. En ce début septembre 2010, les statistiques officielles précisent : 312 décès sur 5 412 cas déclarés. Combien non déclarés ? ?

 Que sait-on du choléra ?

« Péril fécal » serinent les spécialistes s’exprimant longuement sur les radios locales. Parfois, au détour d’une phrase, on entend « Il faut souvent se laver les mains… ». Hé oui, dit très simplement, le choléra est essentiellement une maladie des « mains sales ».

Heureusement, les actes sont parfois plus explicites que les paroles. Dans les réceptions, les « élites» prennent l’initiative de se laver les mains avant le buffet. Lors des annonces pratiques qui ponctuent chaque fin de messe, nous n’avons pas eu besoin de traduction pour comprendre le geste du catéchiste conduisant sa main de l’arrière de ses fesses à sa bouche !

De façon tout aussi claire, une fiche illustrée, éditée en 2000 par le CDD, est rediffusée dans les paroisses.

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Le choléra est une maladie intestinale causée par une bactérie, le vibrion cholérique. L’incubation est brève, 2 à 3 jours, ou seulement quelques heures en période d’épidémie. Le début est brutal : douleurs d’estomac et angoisses suivies immédiatement de diarrhées violentes et de vomissements abondants. En quelques heures, les pertes digestives peuvent atteindre plusieurs litres (20 à 100 selles par jour !). Le malade décède rapidement s’il n’est pas réhydraté.

La contamination se fait par l’eau souillée. Les excréments humains infestés se diffusent dans la nature par les écoulements d’eau et par les mouches.

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Outre les conseils de prévention à la radio, les pouvoirs publics diffusent des images colorées.

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De nombreuses autres informations sont placardées dans les centres de santé.

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Aspect positif tout de même, le choléra est une maladie facile à traiter. La prise rapide de sels de réhydratation orale (SRO) pour remplacer le liquide perdu permet presque toujours de guérir le malade. Des perfusions intraveineuses sont mises en place pour agir plus rapidement.

Pour l’entourage, la propreté doit être accentuée. Dans les centres de santé, un seau d’eau javellisée est mis à la disposition des visiteurs pour se laver les mains. Et un traitement préventif (antibiotique) peut être proposé.

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Aujourd’hui, le nombre de malades accueillis dans les dispensaires se stabilise. Les personnels de santé sont exténués après plusieurs semaines intensives. De leur côté, les responsables se demandent s’ils pourront assurer les salaires. Le gouvernement a institué la gratuité des soins et des médicaments pour les cholériques… mais la contrepartie risque d’être longtemps attendue !

 

Pourquoi cette recrudescence du choléra ?

On dit que le prêtre-médecin de Tokombéré, le père Christian Aurenche, est particulièrement fâché de constater ce retour du choléra. Cela traduit directement une dégradation des conditions générales d’hygiène dans la région, une forte baisse de vigilance de la population à l’égard de sa propre santé. (voir le billet : Un hôpital de brousse)

La pauvreté est sans doute une cause importante de l’épidémie. Par exemple, en l’absence d’eau potable les gens ne peuvent guère respecter les règles d’hygiène élémentaire. Mais il y a aussi de la désinvolture : « On n’a pas la chance », « C’est la faute du sorcier », « On ne va pas changer nos habitudes pour ça ! », par exemple veiller le mort au plus près et même porter son pagne !



Les réglementations émises par les autorités sont souvent prises à la légère : l’obligation d’avoir les latrines et de les utiliser, l’interdiction de fabrication et de vente de bil-bil, l’interdiction de commercialiser des plats cuisinés sur la rue… un vœu pieux sachant que pour certains cette activité est leur seul gagne-pain.

Pour plagier l’expression favorite de nos amis Camerounais : entre deux maux « On fait comment ? » pour choisir le moindre ?

Brasserie domestique

L’impensable arrive ! « Interdire le bil bil  ! Non, ce n’est pas possible, les gens n’accepteront jamais, personne ne peut l’empêcher... ».

Et pourtant un arrêté du préfet de Maroua du 10 août 2010 « interdit la fabrication et la vente du bil bil … en raison de l'épidémie de choléra qui sévit". Près d’un mois plus tard, l’ordonnance semble prendre effet petit à petit. Le préfet explique que « les endroits de vente de ces jus de mil étant essentiellement des lieux de promiscuité et d'insalubrité, ils constituent des points de contamination par essence. » (1)

La fabrication et la consommation de bil-bil sont des activités si répandues dans l’Extrême-Nord camerounais que seule une épidémie aussi dangereuse que le choléra s’avère capable d’entamer un peu son emprise.

 

Mais comment fait-on le bilbil ?

A l’image de la Genèse, une semaine pleine est nécessaire aux Camerounais du Nord pour élaborer leur bière de mil.

1er jour et 2ème jour : Cela débute par une nuit d’engloutissement dans l’eau, les grains de mil (sorgho) sont noyés dans des seaux et bassines. Le matin, la céréale est abondamment rincée, jusqu’à 4 lavages, avant d’être religieusement déposée en couche sur une natte, à l’abri de la lumière. Chaque grain débute alors sa germination, entretenue par un arrosage matin et soir.

3ème et 4ème jour : Au petit matin du troisième jour brusque transfert à la lumière, le soleil s’abat sur les jeunes pousses pour les assécher. De larges rectangles marron égaient partout les cours et bords de route.

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Le soir la précieuse denrée est soigneusement ensachée pour passer la nuit en sureté.

 5ème jour : Au cinquième jour, le sac est porté au moulin à moteur, 10 F la « tasse » pour la mouture ; en ce 21ème siècle, pilon et mortier se font rares.

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Au retour, le mil broyé est mélangé à une grande quantité d’eau, dans trois canaris placés côte à côte en triangle. Quatre heures plus tard, la farine s’étant déposée au fond, l’eau en excès est transférée dans un canari annexe. Un feu de bois est alors allumé au cœur du triangle formé par les 3 jarres. Brassée régulièrement, la mixture nécessite une demi-journée de chauffe pour atteindre l’ébullition.

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A l’arrêt du feu, l’eau retirée le matin est réincorporée à la bouillie.

6ème jour : Au matin du sixième jour, il faut goûter « jusqu’à ce qu’on ne trouve plus le goût sucré ». Le jus est filtré au travers d’un sac que l’on essore. La farine rouge enlevée constitue la « drêche », que les volailles et porcs ne manqueront pas d’apprécier à sa juste valeur.

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Le feu est rallumé entre les 3 canaris portés à nouveau à ébullition. L’ensemble est fréquemment brassé et les impuretés flottantes sont écumées avec une sorte d’éventail à manche.


A l’extinction du feu on prélève une ou deux calebasses de jus auxquelles on incorpore un résidu de bil bil séché issu des productions précédentes. Avec cette levure (ou une levure de boulanger) la liqueur des calebasses moussent en 2 à 3 heures. Cet ensemencement est alors mêlé au liquide de l’ensemble des jarres. La fermentation œuvre toute une nuit.

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7ème jour : Arrive enfin le septième jour. L’opération du goûter s’impose à nouveau, « ça ne doit plus être sucré ». Averti de la présence du breuvage par un « drapeau » à l’entrée de la concession, chaque consommateur exige d’abord sa part de « goûter » avant de débourser 50 francs pour chaque calebasse de nectar.

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Alors, quelle place a le bilbil dans la société ?

Si la fabrication de la bière de mil est domestique, sa consommation dépasse largement les murs de la maisonnée. Traditionnellement le bil bil était fabriqué à l’occasion de 3 ou 4 cérémonies dans l’année. Aujourd’hui, même si elle continue à accompagner les fêtes, cette boisson produite chaque semaine est devenue une activité rémunératrice pour beaucoup de femmes désargentées. Est-ce rentable ? « Ca permet d’acheter le savon ! » répond-on le plus souvent à cette question.

En tout cas, depuis quelques années l’offre explose. Il n’y a pas si longtemps, le bil bil n’était présent qu'au marché hebdomadaire. Maintenant c’est pratiquement chaque soir que des petits marchés à bil bil fleurissent dans les quartiers ruraux comme urbains.

La convivialité est au rendez-vous sans doute, mais aussi les tracas inhérents à tout abus. L’alcoolisme populaire, des hommes comme des femmes, amène à un travail réduit, à des revenus dilapidés, à des enfants délaissés…

Sans aller jusqu’à la famine, la disette est l’autre grave facette de l’extension de cette pratique. En effet, la matière première du breuvage est également l’alimentation de base des habitants du Nord-Cameroun. Le mil du bil bil provient des mêmes greniers que la nourriture ! Or beaucoup d’exploitations familiales n’ont aucune marge de réserve sur leur récolte. Alors, pour elles, le rachat d’un seul sac utilisé en boisson pèsera très lourd en fin de saison. J’hésite à avancer ce chiffre car je ne peux pas le vérifier, toutefois plusieurs s’accordent pour dire qu’il y aurait bien 50 % de la production de sorgho de la région qui serait transformé en bil bil !

 

« A certaines choses malheur est bon » dit un proverbe de chez nous. Alors peut-être pourrait-on bénir le choléra, s’il contribuait à ramener le bil bil dans le bercail coutumier de la convivialité ?

 

(1) Sur l’interdiction préfectorale du bilbil et son impact dans la ville de Maroua : intéressant article du 12 août 2010 sur www.237online.com

La fondation Daniel Brottier

La générosité des jeunes est-elle encore à démontrer ? Il suffit qu’elle se double d’une bonne fibre pédagogique, d’une tête bien faite et de mains besogneuses pour que des portes s’ouvrent. Suite à sa demande fin avril, nous avons assez vite fait le rapprochement entre le souhait de bénévolat d’Anne-Gaïdic Le Galliot et les besoins d’aide de la famille d’accueil d’orphelins que nous connaissions à Maroua. Déjà au terme de ses 3 mois d’accompagnement, « Anga » nous présente ce lieu de vie et les activités auxquelles elle a largement pris part.

 

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Ci-dessus, la fresque qui accueille tout visiteur que les pas ont conduit jusqu’à l’orphelinat. Assis sur une chaise ou sur une natte selon sa préférence, on lui offre traditionnellement l’eau fraîche puisée dans le canari et il peut se reposer tout en échangeant avec ses hôtes.


 C’est suite à l’initiative courageuse de Martine et Thierry que l’orphelinat Daniel Brottier a vu le jour. Baptisé ainsi en référence à celui qui souhaitait post-mortem faire tomber des pluies de billets de banques sur sa fondation, l’orphelinat s’est construit dans un quartier sauvage de Maroua, dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Sauvage, car ici il n’y a pas de route ; on est en ville mais on se sent un peu en brousse, et le paysage des habitations donne l’impression d’un paquet de mikado lancé au hasard… Malgré cela, au fil des années, l’orphelinat s’est agrandi, et d’un bâtiment principal hébergeant le couple ainsi que quelques enfants à l’origine, il est aujourd’hui doté de quatre bâtiments, trois enclos à chèvres, poules ou canards, et même d’une pisciculture. Le restant du terrain d’environ un demi-hectare est utilisé par endroit comme champ où sont cultivés mil, maïs et divers légumes, par endroit comme aire de jeu où il fait bon s’amuser en compagnie des enfants.
Photo : 20100613-Maroua-MaisonBrottier-PaysageDeLaFondation-600px
Martine et Thierry fréquentaient le foyer de charité de N’Gaoundéré, avant la fermeture de la maison d’accueil des orphelins. Tristes et révoltés de constater que les orphelins vont l’être pour la deuxième fois, ils décident de leur offrir une famille dans laquelle grandir. Réunis par ce projet et par l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre, ils décident également de se marier, et ainsi de diversifier les couleurs de l’orphelinat : elle est camerounaise, il est français, elle est noire, il est blanc.
Photo : 20100613-Maroua-MaisonBrottier-Martine&Thierry-600px
L’orphelinat est désormais sur pied, en réalité il tient plus lieu de grande famille d’accueil où petits et grands cohabitent. Aujourd’hui, la maison abrite une vingtaine d’enfants, dont les âges varient de 8 mois à 23 ans. Durant l’année, la plupart d’entre eux sont scolarisés. A l’arrivée de la saison des pluies, de juin à août, chacun rentre pour les vacances. Afin de permettre aux plus grands de changer d’air, les parents de Martine, restés au village, ainsi que certaines de ses sœurs résidant les villes voisines de Maroua, en accueillent certains, puis d’autres, pour quelques semaines. Ainsi, il y a toujours beaucoup d’allers et venues, renforcés par les nombreuses visites inattendues d’amis, de voisins, de parents. Les plus jeunes, quant à eux, passent beaucoup de temps et d’énergie à jouer dans l’enceinte de la fondation. C’est donc pour eux que cette année j’ai été accueillie, m’occupant principalement de six enfants âgés de 3 à 11 ans.
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Chaque matin, après le petit-déjeuner constitué d’une bouillie sucrée de mil, il faut procéder à la « répétition », c’est-à-dire l’apprentissage scolaire, afin de bien préparer la rentrée de septembre. Puis, lorsqu’il ne pleut pas, il faut parfois labourer, semer, sarcler ou participer d’une quelconque autre manière au labeur des champs. En effet, les petits enfants sont également mis à contribution, mais seulement pour de menus travaux.
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Sinon, le temps est libre. On s’amuse, on joue, on fait des coloriages, on prépare un gâteau au four traditionnel, on va au marché, on lit un conte, on se promène dans le quartier, on construit un Twister, et de temps en temps, on fait même sauter des crêpes… moult activités permettant aux enfants d’exprimer leur créativité. Ensuite, c’est le repas de midi, préparé par Jacqueline, la cuisinière. Une boule de mil accompagnée d’une sauce de légumes, agrémentée parfois de viande ou de poisson, que l’on partage dans le même plat, par petits groupes, après s’être soigneusement lavé les mains.
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Pour les plus jeunes, vient alors l’heure de la sieste. Moment toujours un peu difficile pour eux, qui préfèreraient le rentabiliser à jouer, mais qui peut soulager les plus grands ! Les enfants en tirent tout de même une heureuse compensation ; à la sortie de la sieste, on se réunit pour le goûter. Puis le temps est libre à nouveau, sans risque cette fois de travailler au champ car il fait bien trop chaud ! Ainsi passe la journée, jusqu’au soir. Il est maintenant l’heure de laver les enfants, puis de leur servir le dîner, avant le rituel de la prière, qui réunit tous les membres de cette grande famille pour chanter à la cadence du Tam-tam. Avant de coucher les plus jeunes, il est incontournable de les installer devant leur feuilleton ivoirien préféré ! Enfin, ici on est quand même en Afrique, le rythme c’est donc couché-tôt, levé-tôt. A 20 heures, les enfants, obéissants, regagnent leur lit.
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Pour les plus âgés, la soirée se prolonge souvent par des parties de cartes ou par des discussions animées. Le lendemain, dès 6 heures, la vie bat déjà son plein…
Anga, à Maroua le 26 août 2010

 

Lien vers le site de l’association : http://maison.jamna.net/

Economie parallèle

Toujours délicat d’évoquer les petits, ou grands, travers des gens chez qui vous habitez. Sur ce blog nous restons plutôt discrets sur ce qui nous agace dans la société camerounaise. Toutefois le rapport à l’argent illicite nous paraît si prégnant au Nord-Cameroun que nous ne pouvons continuellement demeurer muets sur ce thème.

 Commençons par préciser d’emblée qu’à titre personnel nous ne subissons guère les sollicitations illégales communément infligées aux habitants. Probablement parce que nous ne sommes pas dans les affaires, et sans doute aussi parce que nous bénéficions de l’image plutôt intègre de la mission catholique. Lors des contrôles routiers par exemple, nous ne tardons guère à signaler que nous travaillons pour elle, cela facilite grandement l’installation d’une cordialité.

 

Une corruption endémique

Par contre, la plupart des citoyens sont confrontés très directement à une corruption endémique. Un Camerounais sur deux reconnaît avoir payé un bakchich au moins une fois dans l’année. Dans l’Indice de perception de la corruption 2009 de l’ONG « Transparence internationale », le Cameroun est en bas du tableau, au 146ème rang sur 180 pays. Signalons au passage que la France s’accroche au 24ème rang, ce qui n’est quand même pas si glorieux, puisque 23 pays au monde se perçoivent plus intègres que nous !

De haut en bas de la société camerounaise les dérèglements existent. En bas, ça se joue en milliers de francs, en haut ce sont des milliards ! Les Camerounais évoquent assez facilement cette facette de leur vie nationale. Ils semblent l’avoir intégrée comme une normalité. Là où nous nous attendrions à un sentiment de révolte, on entend plutôt de grands éclats de rire, comme une admiration pour la débrouillardise de ceux qui spolient leurs concitoyens. Peut-être s’agit-il simplement d’une « sagesse » face à l’inéluctable ? « Mieux vaut en rire que d’en pleurer ! »

 

Des histoires par dizaines

Des histoires nous en entendons par dizaines, sans garantie d’authenticité. En voici trois brèves.

Le choléra, une bonne aubaine. Ces derniers temps le choléra sévit. Des agents passent dans les concessions pour vérifier l’existence de latrines. Dans chaque maison sans toilettes, un billet de mille francs glissé dans la main du contrôleur évite qu’un procès verbal soit dressé. On se dit, l’autorité de tutelle ne peut-elle pas vérifier ? Première hypothèse, cette autorité est de mèche et aura « sa part ». Seconde hypothèse, les agents ont pris d’eux-mêmes l’initiative de ce passage, ça s’est déjà vu !

Une peine juste. Un jeune homme se retrouve en prison pour avoir bousculé un policier en civil. Famille et amis se mobilisent. Ils rencontrent le policier qui leur fait comprendre que l’affaire peut s’arrêter là si…Quelques milliers de francs lui sont donc remis. Il signe un document disant qu’il abandonne sa plainte. Mais le jeune homme demeure en prison plus d’un mois. Alors, un homme bien placé verse 150 000 F pour les « hautes autorités ». Le verdict enfin rendu se limitera à une amende de 40 000 F, probablement à hauteur de ce que prévoit le code pour le comportement incriminé. En tout cas c’est la seule trace qui restera dans les registres officiels.

Affichage masqué : Le bar est fermé, mais sur la porte une missive de l’Inspection signalant un défaut d’affichage des prix. Le tenancier se rend à l’Inspection. « Comment pouvez-vous dire que je n’ai pas affiché mes prix alors que vous n’êtes pas rentrés. » « Nous avons regardé par la fenêtre… » Inutile d’ergoter, quand un papier a été déposé chacun sait « qu’il a un coût ». « Combien voulez-vous ? », « 10 000 », « Mais je ne les gagne pas ! » L’affaire se conclura par un billet de 5 000 F de la main à la main.

 

Une corruption multiforme

Ces 3 exemples sont loin de refléter toutes les formes que peut prendre la corruption. Au plus bas niveau ce sera l’attente d’une petite récompense pour que le service soit simplement rendu dans un temps correct (par ex. l’infirmière dans la fonction publique qui tarde un peu, beaucoup, à placer la perfusion prescrite). A l’autre bout de la chaîne ça se joue en milliards sur des chantiers ou des contrats de services.

Entre les deux, la panoplie des pratiques est très diversifiée. Parfois personne ne semble vraiment savoir ce qui est « normal » et ce qui ne l’est pas. Ainsi, selon la Constitution camerounaise la terre appartient à l’Etat. Cependant tout le monde trouve normal de « l’acheter » au chef traditionnel, sans titre foncier évidemment. Voir le billet : Paysan cherche terre.

Autre exemple, un emploi bien placé ne sera attribué qu’à celui qui aura suffisamment « arrosé » les responsables de l’embauche. Si l’emploi est « rémunérateur », la somme peut atteindre des millions… et la famille se solidarise pour la trouver !

 

Au nom de la solidarité !

Hé oui, parce qu’il y a « solidarité » dans tout ça. Dans les 2 sens. On t’aide à bien te placer, tu nous aideras quand nous en aurons besoin.

De mon point de vue c’est là que le bât blesse.

Car pour être à la hauteur des attentes de ses « bienfaiteurs » le bénéficiaire va devoir reconduire le système. Pour répondre à « l’investissement » qui a été fait sur lui, ses revenus normaux risquent fort d’être trop courts, il s’autorisera l’acceptation de subsides par des moyens peu avouables.

Certains disent : «OK, ce n’est pas notre système, mais ça fonctionne, ça marche. »

C’est vrai qu’une économie fonctionne. De grosses disparités excitent mais un partage existe aussi. On dit fréquemment ici que ceux qui sont bien placés ne resteraient pas longtemps à leur rang s’ils ne redistribuaient pas une partie de leurs avantages. Voir le billet : Economie personnalisée.

 

Services collectifs abandonnés

Mais, tout généreux qu’ils soient, ces transferts ne répondent qu’à des logiques privées, sans coordination collective. Les grands perdants de ce système sont donc les services publics et les équipements collectifs, c'est-à-dire tous les services indispensables à chacun pour mieux vivre en société.

Faut-il encore des exemples ? Les routes sont dans un état déplorable parce que l’argent collecté pour leur entretien s’évapore sur le parcours avant même que le travail ne commence ; des motocyclistes se tuent dans les trous, tous les véhicules se déglinguent… Des élèves « étudient » à 80 par classe, les parents soucieux de la progression de leurs enfants sont obligés de payer cher des répétiteurs du soir.

On pourrait continuer avec la santé publique pitoyable, les problèmes d’eau et d’hygiène, les services administratifs bloquant sans raison les entrepreneurs, etc.

 

« On va faire comment ? »

Tout le monde pâtit de ce système, et pourtant il perdure. « On va faire comment ? » ne cessent de répéter les Camerounais.

Sans doute, beaucoup s’entretiennent-ils dans l’illusion d’y trouver plus d’avantages que d’inconvénients… du moins à court terme.

Il nous semble qu’il y a quand même des perdants immédiats : la masse des plus pauvres en relations familiales, des démunis en savoir, des frappés par la maladie ou le handicap… Ceux-là souffrent particulièrement.

 

Honnête envers et contre tout

Bien entendu, des gens honnêtes existent. Ils sont nombreux aussi, mais on ne les entend guère. Le bien ne fait pas de bruit, n’est-ce pas ?

Par exemple ce jeune inspecteur d’académie qui refuse « l’enveloppe » préparée à son intention par un responsable d’établissement. « C’est l’argent de mes petits frères qui est là dedans ! » En fermant les yeux sur l’absence, ou le détournement, d’achats en matériel et fournitures c’est l’ensemble des élèves qui est pénalisé.

Nous connaissons des infirmiers proches des malades, des instituteurs attentifs et respectueux des enfants, des animateurs engagés et courageux… Bref, beaucoup de personnes honnêtes qui se satisfont de revenus gagnés honnêtement. Elles se refusent à la « tradition » de se servir subrepticement dans l’argent qui passe devant soi. Espérons que leur exemple s’imposera, pour le plus grand bien de toute la société camerounaise.

 

Traquons l’injustice chez nous

Tout en rédigeant ce billet me reviennent en mémoire des paroles entendues dans une conférence à Paris, vers 1970. Le conférencier était le Brésilien Dom Helder Camara, appelé aussi l’évêque des pauvres. Il disait en substance : « Vous voyez que notre société brésilienne fonctionne mal et vous avez une grande envie de venir nous aider. C’est très généreux de votre part et je vous en remercie. Cependant, nous sommes déjà au travail pour améliorer petit à petit notre situation. Alors, chers amis, peut-être pourriez-vous regarder plus attentivement les situations qui vous entourent au plus proche ? Partout où vous dénicherez de l’injustice, attelez-vous pour la combattre. Sachez qu’en faisant cela c’est un grand service que vous nous rendrez. En effet, si ce mal est réduit chez vous, soyez sûr que nous serons mieux armés pour le réduire aussi chez nous. »

 

Pour en savoir plus :

Un article de Wikipedia sur la corruption au Cameroun : http://fr.wikipedia.org/wiki/Corruption_au_Cameroun#cite_note-TI2004-0

Une page de l’ONG Transparency International : Indice de perception de la corruption 2009 http://www.transparence-france.org/e_upload/div/ipc_2009_communique_ti.pdf

Economie personnalisée !

Difficile de se résoudre à « ne rien y comprendre ». Les responsables du CDD me demandent d’aider des agriculteurs dans l’univers de la gestion. « Je gère, tu gères, nous gérons… » Tout comme chez nous, les familles africaines gèrent leur vie, leurs intérêts, leurs aspirations… jusqu’à leur argent. C’est précisément ce dernier point qui m’interroge : « Comment font donc tous ces petits agriculteurs pour joindre les 2 bouts ? ? »

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Lors de mes cours de gestion au centre de Jéricho, en échangeant avec les jeunes paysans en formation, je côtoie la faible réalité monétaire des exploitations agricoles du Nord-Cameroun. Parallèlement, je dialogue aussi avec deux petits groupes d’agriculteurs acceptant de tenter une amélioration de leur gestion. Un axe d’approche est de se définir un « niveau de vie ». Sans aspirer à un train de vie de ministre : « Combien me faut-il d’argent pour assurer les besoins normaux de ma famille ? ».

 

En moyen de communication par exemple, un poste de radio est important pour se tenir informé. Ne faut-il pas disposer aussi d’un téléphone, dont l’usage est désormais largement répandu au Cameroun ? Ces deux seuls moyens de communication réclament de l’argent pour l’achat, puis pour le fonctionnement : piles pour la radio (elles ne durent pas plus d’un mois, tant leur qualité est faible), « crédit » pour le téléphone (même si l’on tente fréquemment le « Bip me », « Rappelle-moi »).

Je vous épargne le détail des autres « besoins normaux d’une famille » école, santé, logement, habillement, vie sociale… chacun les imagine bien. L’argent annuel vraiment indispensable va de 350 000 F CFA pour un jeune couple à 850 000 F pour une famille de 5 enfants, dont 2 au collège - soit de 1 000 F/jour (1,5 euro) à 2 500 F/jour (4 euros).

 

Dans la région, l’objectif de tout agriculteur est d’abord de récolter suffisamment de nourriture pour les 12 mois de l’année. Cette visée initiale est talonnée par un second objectif : gagner de l’argent pour les multiples autres besoins de la famille. Mais l’exploitation familiale dépasse rarement 2 ha de terres, plutôt médiocres. 10 à 15 sacs de mil doivent être produits sur ce sol chaque année, pour la « boule » quotidienne de la maisonnée jusqu’à la récolte suivante.

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Un bon père de famille « ne s’amuse pas avec le mil », il n’en vend que s’il est sûr d’en avoir trop. En cultures complémentaires, quelques récoltes sont destinées à la vente : arachide, niébé (haricot), coton… L’élevage de volaille, moutons, chèvres, porcs… constitue une autre entrée habituelle d’argent. C’est un peu le compte courant bancaire, mobilisable à la demande : « Je vais vendre deux chèvres en septembre, pour payer l’écolage».

En supplément de ces 2 sources principales, chacun s’évertue à « trouver l’argent » dans des activités diverses. La femme va faire de la couture, cuire des beignets, fabriquer de la bière de mil, vendre du maïs grillé… Le mari va vendre du bois, fabriquer des « seccos » (paille tressée), offrir ses bras « travailler pour les autres », stocker des céréales à bas prix pour les revendre au meilleur moment…

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On a beau additionner toutes les entrées visibles, on reste généralement loin du compte des besoins élémentaires. Et pourtant, on constate que des jeunes suivent des études longues et chères, que des cases se couvrent de tôles coûteuses, que des soins de santé onéreux sont payés, que des funérailles dispendieuses sont fêtées… Une partie de l’économie réelle doit échapper à notre analyse !

 

Dernièrement, avec un animateur rural j’évoquais le cas d’un petit agriculteur dont deux enfants allaient suivre des études en ville. Je lui disais : « Je connais le revenu de son exploitation, il est loin des sommes requises. » Il me répondit tout de go : « Bien sûr qu’il n’atteindra jamais les montants nécessaires. Sur ce point, il faut qu’il trouve à se faire aider. »

OK, mais pas question, comme chez nous, d’imaginer des subventions, des allocations, des emprunts… Ici, la connotation la plus fréquente de « se faire aider » est « se faire donner ».

Alors, c’est dans cette sphère du don que se déroule toute une économie avec des règles tacites difficiles à saisir par nous. Pour tous, il va de soi que ceux qui ont de l’argent doivent en faire profiter d’autres. Le système ne correspond pas à nos procédures bien établies de prélèvements obligatoires suivi d’une redistribution sur des critères explicites.

Un ancien volontaire me propose l’expression « économie personnalisée » pour qualifier le système de répartition ayant cours au Cameroun. Toute personne atteignant une position sociale lui procurant des rentrées d’argent supérieures à la moyenne, se doit d’en redistribuer une partie aux personnes qui lui sont proches. La redistribution se fait donc de personne à personne, en demeurant habituellement dans le cercle de la famille élargie.

Quelquefois le transfert se fait directement en espèces, par exemple un oncle prêtre donne 60 000 F pour finaliser l’achat un champ. Plus fréquemment, l’aide prend la forme d’une prise en charge. Ainsi, un étudiant en ville est secouru par un « grand frère » qui assure logement et nourriture, paie les transports, pourvoit au frais de santé éventuel et va même jusqu’à régler la scolarité… Ce type de soutien dure parfois plusieurs années.

Il va sans dire que ce système est passablement aléatoire. Tout le monde ne peut pas être servi ! Un oncle acceptera d’accompagner la scolarité de tel neveu, mais pas celle de ses frères et sœurs…

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Dans le travail d’accompagnement en gestion agricole qui m’est demandé, je n’exclurai plus désormais une potentialité d’argent provenant de ces sources intrafamiliales…

Il n’en demeure pas moins urgent pour la plupart des familles d’augmenter sensiblement le revenu monétaire dégagé directement par leur petite exploitation agricole. Dans les échanges évoqués au début de ce billet quelques pistes s’ouvrent. A suivre donc…

Blangoua : ça passe !

« Aller à Blangoua : une véritable expédition qui vous laissera des souvenirs impérissables ». Le guide de voyage « Le petit futé » nous avait bien prévenus, pourtant nous sommes quand même allés nous mettre dans la gueule du loup dans l’extrême Extrême-Nord.

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Il faut dire qu’à Blangoua le père Cisco est si accueillant qu’il faudrait une mauvaise volonté farouche pour ne pas se laisser tenter.

 

Nous savions la région difficile d’accès en ce début de saison des pluies. Cependant, quatre jeunes filles espagnoles y étaient montées depuis quatre jours. Et puis les personnes interrogées nous répondaient toutes : « Oui, ça passe. ». Alors, naïfs, à bord d’un 4X4 en bon état, nous avons pris la piste.

Faut-il appeler cela une piste ? Un monticule de terre tout bosselé, parsemé de trous, chacun capable d’ensevelir un bœuf. En fait, la circulation se déroule à 90 % en dehors de ce cordon, on circule sur les bas-côtés et dans la campagne environnante, une large boucle à droite, un petit crochet à gauche... A ces endroits les ornières sont plus raisonnables que dans l’axe, car les semi-remorques ne s’y aventurent pas. Et oui, je ne blague pas, d’énormes camions, débordants de marchandises accrochées à leurs flancs, osent s’engager sur ce magma. Depuis la frontière du Nigéria, il y a 70 km à parcourir, généralement une semaine est nécessaire en cette saison, certains camions durent un mois sur le parcours. C’est surréaliste !

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Cerise sur le gâteau, figurez-vous que cette voie internationale, reliant le Nigéria au Tchad, est représentée goudronnée sur la carte Michelin du Cameroun ! Sur 100 km de traversée totale, 70 km demeurent toujours un chemin de terre. Où sont passés les millions de francs prévus pour ce chantier ?

Nous nous engageons donc plein Ouest, confiants dans les « ça passe » récoltés régulièrement. Après 45 km de navigation à vue, et quelques sueurs froides dans certains bourbiers, nous voici à la bifurcation censée nous faire remonter au plus court vers le Nord. Nouveau questionnement : « ça passe ? » Signe de tête négatif cette fois, suivi d’une répartie mi-interrogative, mi-affirmative « Vous avez un compteur qui compte ? A 20 km exactement vous prenez à droite ». Vu le délabrement des autres véhicules que nous croisons, nous comprenons progressivement qu’un « compteur qui compte » est une denrée rare dans cet environnement.

22 puis 23 km, toujours aucune piste visible sur notre droite ! Nous stoppons un conducteur de moto, chargée de 4 gros bidons d’essence du Nigéria : « La piste pour Makari, s’il vous plait ? » « Suivez-moi. » Demi-tour, puis bifurcation à travers champ à l’orée d’un village. Encore un bon km avant que notre guide rebrousse chemin. De grands signes, pour nous dire « C’est tout droit. Et ça passe ! ». Nous écarquillons les yeux pour repérer des traces éparses.

« Makari, s’il vous plait ? » ; puis bientôt : « Makari ? » tout court, face à l’incompréhension du français par la plupart des habitants. Cent fois la question est répétée. Pilote, copilotes, passagères mettent en commun leurs intuitions. Une ou deux fois, guère plus, un véhicule en sens inverse confirme notre sens de l’orientation.

Puis survient l’obstacle majeur. 200 à 300 m d’une étendue d’eau probablement incontournable. Une 504 d’un autre âge est en train d’en ressortir, poussée par ses passagers. A notre tour d’essayer. Pas plus de 15 m avant l’enlisement ; le fond de la voiture s’appuie sur la vase.

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Une quinzaine de jeunes du village voisin, avides de recevoir quelques francs, soulèvent, poussent, tirent… Le véhicule passe l’obstacle in-extrémis. Le moral de l’équipage en prend un coup mais impossible de rebrousser chemin.

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Désormais chaque mare sera d’abord consciencieusement sondée par les copilotes. La méthode prend du temps mais s’avère efficace.

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Exténués nous décidons de passer la nuit à Makari (à encore 30 km de Blangoua). C’était sans compter sur la ténacité du Père Cisco qui, suivant notre progression par des appels téléphoniques réguliers, nous envoie finalement son véhicule et un chauffeur pour nous ouvrir la voie, en poisson pilote. Le slalom entre les mares et les mayos devient alors presque un plaisir pour tous.

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                                                                                                                                                                à suivre...

Blangoua : le retour !

Ouf, nous y sommes à la Mission catholique de Blangoua. Chaleureux accueil dans la nuit par le père Cisco, personnage digne de tous les clichés sur le missionnaire de brousse, débrouillard comme pas deux et le cœur sous la main, capable de rassembler tous les contraires.

Assemblée cocasse dans la salle du dîner : 4 minettes espagnoles court vêtues, un jeune sous-préfet en chemise blanche et souliers vernis. Jean notre chauffeur poisson-pilote, 2 écoliers en vacances attendant sagement leur pitance, une cuisinière attentive et serviable, le père Cisco en short gardant un œil sur la télévision allumée… et nous 5, passablement interloqués et fatigués.

« Dès la première heure demain matin, je contacterai le piroguier ». En effet, notre venue ici est principalement motivée par une petite navigation sur le lac Tchad - on le dit menacé d’assèchement dans les décennies à venir. Le ciel va contrarier notre plan : une forte pluie tombe toute la nuit, jusqu’au milieu de la matinée. La sagesse commande vraiment de repartir dès que possible, sans attendre une probable reprise des ondées. Tant pis pour le tour sur le lac !

A 13 h, un convoi est constitué. Devant, la voiture du sous-préfet qui, se sachant incompétent sur ce terrain glissant, a réquisitionné Karim le chauffeur du père Cisco, « le meilleur chauffeur de toute la région » ; au milieu, notre véhicule dont je conserve la responsabilité faute d’un autre chauffeur expérimenté dans les parages ; en voiture balai, Jean, chauffeur chevronné de la mission de Makari, emportant les quatre voyageuses hispaniques.

Roues dans roues, tout va presque bien. Mais l’eau de la nuit a creusé les saignées, l’une d’elles est si profonde qu’une 504 s’y retrouve à 45°. Cinq ou six 6 personnes suffisent à la sortir de cette mauvaise passe.

Photo : 20010723-Makari-504HorsEau-600px

 

Il nous faut trouver un autre passage. Quelques minutes de sondage et Karim trouve un trajet favorable pour le véhicule préfectoral. Par prudence, .il vient prendre les commandes de mon Mitsubishi, mais ce dernier est lourd et le voilà enfoncé au milieu du gué.

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Un véhicule sur le sec nous sortira par une puissante traction sur un long filin. Le parcours se poursuit avec les inévitables détours africains. Il est déjà 17 h lorsque nous nous retrouvons au plus terrible passage, que nous espérions pourtant bien ne jamais revoir (voir le billet Ça passe !).

Depuis 24 h, la pluie et quelques traversées supplémentaires de « taxis » ont empiré le bourbier. Ayant cru que Karim me demandait d’y aller, je me lance… et je m’enlise. Jean fait de même. Voilà nos deux véhicules au milieu du marécage !

 

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Un Land Rover est appelé à la rescousse. Essai de remorquage, mais rien n’y fait. Par 2 fois pour chaque véhicule, il faudra dégager entièrement la vase qui fait ventouse sous les planchers. Deux ou trois courageux rampent sous les véhicules pour enlever manuellement cette boue sableuse. Chapeau à eux !

Pendant que des villageois tentent de faire bouger ces maudits 4X4, dans une cacophonie incontrôlable, la cohorte des blancs commence à bivouaquer, en sortant les couvertures de survie, dans la nuit tombée dès 19 h.

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Nous serions bien restés là jusqu’au petit matin, sous une lune bienveillante. Mais le sous-préfet, se sentant responsable de notre sécurité, ne le veut pas « Trop dangereux, sans policiers autour ».

Après plus de 5 heures de pénibles efforts, les pick-up sont enfin sortis du marécage. Nous remettons 20 000 F (30 euros) au chef du village, le sous-préfet explique : « Ce n’est pas un salaire, c’est pour le savon… » La voiture du père Cisco a grillé son embrayage en tentant de nous tracter. Jean et un compagnon passeront la nuit dans ce véhicule remorqué jusqu’au village le plus proche. La réparation se fera sur place dès le lendemain, en un temps record !

 

Le convoi se reforme, ouvert par le Land Rover. A nouveau plusieurs kilomètres de pistes impossibles : « Mais comment font-ils pour deviner où il faut passer, en évitant les arbres : une fois à droite, une fois à gauche, rarement au milieu  ? ? ?  De véritables artistes.»

 

Enfin la ville de Fotokol à la frontière nigériane, il est minuit passé. Au téléphone, le sous-préfet a fait jouer ses relations pour trouver à nous héberger. Nous voici accueillis par un jeune couple musulman dans un grand salon, bordé de canapés. A peine sommes-nous au chaud que la pluie se remet à tomber, drue - et nous qui voulions bivouaquer ! Abdouraman nous offrira gracieusement le gîte et le couvert durant une journée entière. Merci.

 

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Les sourires sont revenus, mais tout le stress ne s’est pas envolé. Cette incursion dans le Nord camerounais a aussi l’objectif de conduire nos trois visiteurs jusqu’à la frontière pour la capitale du Tchad, N’Djamena aéroport de retour en France. De Fotokol à Kousséri, il reste encore 70 km incontournables de traversée hyper glissante. Sous la pluie personne ne démarre ; à peine deux heures de soleil et quelques rares taximen aguerris se lancent. Violaine, Sébastien et Florent montent à bord. Ils ne tariront pas d’éloges sur la dextérité de leur chauffeur ; « Pourvu que papa ne parte pas, il ne fera pas 500 m ! »

Une longue journée d’attente pour nous donc, en scrutant le ciel et le moindre rayon de soleil qui sèchera un peu la campagne. Vers 21 h Karim apparaît. Il a conduit la voiture du sous-préfet jusqu’au goudron de Kousséri, puis s’est empressé de revenir en taxi-brousse, 5 heures dans chaque sens. En pleine nuit il s’élance, il craint le retour de la pluie ou même seulement la rosée du matin. « Ce soir, j’ai tout le parcours en images dans ma tête ; j’ai pris mes repères, si j’en loupe un seul je suis perdu. ».

En hors piste, dans la pénombre, dérapant, patinant, cahotant, s’enfonçant, s’extrayant, se repérant… il atteindra le bitume en 3,5 h. Quelle maîtrise, quelle endurance, quelle compétence… Bravo l’artiste !

 

 

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Epilogue :

Courte nuit au Relais du Logone à Kousséri. Petit déjeuner de retrouvailles avec nos enfants, heureusement surpris de nous voir déjà là.

Amical échange avec Karim : « Et la famille… ? ». Nous apprenons qu’il a une jeune épouse sur le point d’accoucher à Blangoua. Il est inquiet car elle a abondamment saigné voici une semaine déjà…

Deux jours plus tard Maryvonne reçoit un coup de fil : « Ma femme a accouché par césarienne, c’est un garçon, tout va bien. »

Regards croisés : Rencontres1...

Avant de retrouver la France, nos visiteurs (enfants et compagnon) de ces 15 derniers jours, expriment trois regards complémentaires sur ce Nord-Cameroun original : Florent flashe sur ses rencontres ; Violaine espère le dialogue interreligieux ; Sébastien s’est penché sur la terre. Suivons-les...

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* Une petite voisine qui, après avoir gagné 100 F CFA pour avoir balayé la cour de la Villa-Rosa, est allée dépenser cet argent pour nous offrir du riz à notre arrivée…

* Un technicien agricole qui tente d’améliorer la terre de ses pères…

* Des centaines d’enfants nous saluant en criant au bord des routes lorsque nous passons en 4x4 …

* Un marchand agressif et un autre effacé…

* Une religieuse s’investissant pour faire libérer les personnes injustement emprisonnées…

* Un mendiant se déplaçant sur les genoux qui me demande de convertir les deux pièces de 50 cents d’euros reçues d’un blanc et dont il ne peut rien faire…

* Un missionnaire colombien qui nous fait écouter un karaoké de vieilles chansons françaises le 14 juillet…

* Un sourire et un enfant qui pleure…

* Un prêtre blanc qui distribue l’argent à qui le lui demande…

 

Et, partout, des enfants…

 Florent, le 16/07/2010

 

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* Des enfants bouchant les nids de poules sur une route lunaire et demandant, en échange, "10 francs seulement, monsieur"...

* Des Italiens nous préparant des pâtes "comme là-bas"...

* Un missionnaire en lutte nous parlant de la corruption qui règne en maître dans le pays...

* Des chrétiens qui se rassemblent le temps d'une messe...

* La tristesse imaginable d'une famille dont l'enfant vient d'être enlevé...

* Un agriculteur qui additionne les terres sans pouvoir les entretenir et un autre qui en laisse faute d'enfants en âge de l'aider...

* Un évêque proche des gens, s'évertuant à maintenir un dialogue interreligieux...

* Des enfants qui courent après le 4x4 dans une région touristique en criant : "Bonne année… les cadeaux ! »...

* Un infirmier conseillant la population sur les gestes à tenir pour éviter le choléra, récemment arrivé du Nigéria...

* Des volontaires nous contant leurs anecdotes incroyables...

 

Et, toujours, le blues de la séparation...

 Florent, le 22/07/2010

 

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Regards croisés : Cohabiter !

par Violaine

Pour les trois visiteurs que nous sommes, première escapade hors du tohu-bohu de Maroua : direction le centre de formation agricole Jéricho. Comme toujours depuis notre arrivée, l'accueil est chaleureux et souriant. Hommes, femmes, enfants abandonnent derechef leur activité pour courir nous saluer et nous souhaiter la bienvenue.

Lucien, le responsable cultivé et généreux du site, nous fait visiter les lieux et nous explique les objectifs de formation pour les douze couples présents - objectifs tant agricole, que civique, éthique et spirituel. Il s'agit d'élever l'Homme, de le faire "grandir" au sens noble du terme. L'accent est mis sur la fraternité, la solidarité, l'échange de savoir-faire et de savoir-être. Louables intentions que l'on ne peut que partager.

Le repas qui suit la visite est l'occasion d'aborder les joies et les affres de la vie quotidienne. La conversation glisse vers les clivages religieux et nous sentons l'inquiétude poindre. Lucien nous expose longuement ses difficultés relationnelles avec ses voisins musulmans. Il apparaît soucieux face aux conversions à l’Islam de certains habitants de la région. Il nous explique qu’ici, en pays Mofou, les musulmans, bien que minoritaires, concentrent leur force dans l’occupation des postes de pouvoir. Tentés par ces derniers, quelques responsables font preuve d’opportunisme et se convertissent de façon stratégique. Ce comportement n’est pas sans générer des tensions au sein de la communauté...

Si l'on comprend parfaitement la peur de notre hôte dans ce contexte, l'on n'accepte moins facilement ses généralisations à l'emporte-pièce sur les musulmans. Lorsque l'autre nous apparaît comme une menace, il est certes difficile de ne pas céder aux clichés. Mais les préjugés peuvent coûter chers...

A Maroua, un dialogue interreligieux entre dignitaires (évêque, responsables protestants et imans) a permis d'éviter de justesse des affrontements vers 2003. Actuellement, le Nigéria du Nord, à moins de cent kilomètres du centre, est la scène de violents affrontements entre catholiques et musulmans (entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades). Heureusement, les responsables d’ici entretiennent le dialogue pour éloigner une contagion toujours possible.

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Afin d’éviter le pire, les habitants de toutes confessions qui partagent cette terre aride ne semblent pas avoir d'autre choix que celui d'essayer de se comprendre mutuellement. On ne peut que souhaiter que l'esprit de Jéricho transcende les barrières des dogmes et que la rencontre s'engage d'homme à homme. Étrangers, nous entrevoyons pour notre part la même humanité dans les champs : celle des sourires, des dos courbés sous le poids du labeur et de l'attente de la pluie nourricière…

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Violaine le 20/07/2010.

Regards croisés : A ras de terre !

par Sébastien

Depuis plusieurs jours, guidés par Gaby, nous rendons visite à des couples d’agriculteurs. Ces rencontres se révèlent riches sur le plan humain et culturel. Elles permettent de partager et de comprendre un peu la vie quotidienne des familles rurales. On s’aperçoit bien vite qu’à cette période de l’année, encore plus que d’habitude, c’est le travail dans les champs qui rythme la journée.

Cela fait maintenant quelques semaines que les graines de mil, d’arachides, de maïs et de pommes de terre ont été plantées. Tous ces plants croissent inégalement selon les régions. Si cette année la pluie se fait attendre, les mauvaises herbes sont en revanche présentes en tous lieux… Il faut rapidement les éliminer afin qu’elles n’étouffent pas les plants : c’est ce que l’on appelle « le sarclage ».

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Ce travail est fort long et pénible du fait de la non-mécanisation. Tout se fait à la main, à la force des bras et parfois, dans le meilleur des cas pour les plus aisés et si le terrain le permet, à l’aide de la traction animale. La surface d’exploitation dépend directement de la capacité de travail du foyer, autrement dit, du nombre d’enfants en âge de travailler (en moyenne 1 à 2 hectares par famille).

Victor, paysan à Douroum, nous présente ses instruments de travail. Je reste stupéfait par la simplicité et le nombre d’outils : un plantoir, un sarcloir à large tête, un sarcloir plus étroit, une pioche, une pelle, une faucille, une charrue et un âne.

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Le plus étonnant est la faible longueur des manches (environ 50 cm) qui implique une position de travail contraignante. Les dos sont pliés à l’équerre, les têtes baissées parallèles au sol. Malgré l’inconfort, les adultes comme les enfants « bêchent » avec aisance et dextérité. Intrigué, je cherche à obtenir des explications sur ces manches si petits. On me répond que c’est par tradition : le père, le grand-père faisaient ainsi. J’essaye d’en savoir davantage. On m’avance alors que cela permet d’être plus précis, de mieux contourner les plantes sans les couper.

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Il me semble pourtant que le même travail serait parfaitement réalisable avec un manche plus long. Cela induirait une position plus confortable et moins usante et préviendrait les douleurs lombaires qui sévissent au fil des ans : « Le père ne peut plus sarcler : il a le dos cassé », entend-on souvent. Dans un milieu où la solidarité familiale est importante, ces agriculteurs travaillent tout au long de leur vie pour nourrir leurs proches et le cas échéant subvenir aux besoins des parents fatigués.

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Grâce à ces échanges, j’ai pu prendre conscience du labeur du paysan camerounais qui doit faire fructifier une terre avec des outils satisfaisants pour un jardinier occidental, espèce dont je fais partie, mais plus que rudimentaires pour la culture d’hectares. Je ne peux qu’admirer le travail accompli par nos hôtes, constater que les traditions ancestrales pèsent sur leur quotidien et qu’il est fort difficile de les faire évoluer.

 

Sébastien le 21/07/2010

En voyage !

Déjà plus de 6 mois de vie sur cette magnifique terre camerounaise, mi-temps donc. Nous prenons le temps d’un petit break pour accueillir deux de nos enfants durant 15 jours. Au programme des rencontres et du tourisme qui ne nous laisseront peut-être pas le temps de vous concocter le billet hebdomadaire auquel nous vous avons habitués. Alors, pour vous faire patienter, voici un petit panorama d’une partie des paysages que nos visiteurs vont découvrir, grandeur nature.

 

C’est à la frontière du Nigéria, le pays Kapsiki. La saison des cultures débute pleinement et nous croiserons beaucoup d’habitants qui vont au champ, la charrue posée sur le dos du cheval ou de l’âne.

 

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Cependant, nos regards seront d’abord captivés par l’étrangeté et la beauté des cheminées volcaniques qui ponctuent l’horizon.

 

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En ce début de saison des pluies, quel contraste avec ce que nous avions déjà admiré en saison sèche.

 

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Dans quelques temps ces terrasses déborderont de cultures verdoyantes.

 

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Le soir approche, la jument et son poulain allongent le pas pour rentrer au village.

 

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Au revoir et à bientôt.

Si vous aviez envie de découvrir cette superbe région, je vous signale le site Internet de l'association : Lara-Kapsikis. Cette asso a l'objectif d'une "Amitié Nord Cameroun - Pays de Vannes", en particulier au moyen du tourisme solidaire.

Qu’est-ce qu’on mange ?

Qu’est-ce qu’on mange ? Voila bien une question récurrente dans les maisons françaises. Au Nord-Cameroun nous ne vivons pas suffisamment dans l’intimité des familles pour entendre une expression similaire. Il nous semble qu’une question fréquente pourrait être : Quand est-ce qu’on mange ?

Il est évident que les habitudes alimentaires d’ici sont assez éloignées des nôtres. Par exemple, le rythme de 3 repas par jour n’existe pas vraiment. Le repas principal est plutôt situé en fin de journée. Le matin on mange, s’il en reste, le reliquat du soir ; parfois on prépare une bouillie complémentaire. Quand au repas de milieu de journée, il est très aléatoire.

En parallèle, de nombreuses petites vendeuses (et vendeurs) proposent tout au long de la journée : beignets de froment ou de haricot, poissons frits, œufs durs, mangues…

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Les enfants peuvent en acheter pour leur milieu de journée d’école, les travailleurs peuvent aussi se ravitailler à tout moment… Mais ces achats réclament d’avoir un peu d’argent dans sa poche. Alors quand les 25, 50 ou 100 F (0,15 euro) nécessaires ne sont pas là (ce qui est fréquent) on se passe de manger jusqu’au soir. Il y a chez les gens d’ici une impressionnante capacité de résistance, le ventre fait mal mais « on supporte », sans se plaindre.

Pour tous, ce qui nourrit vraiment c’est « la boule ». Boule de mil ou boule de maïs - chaque groupe social à sa préférence. C’est une épaisse pâte de farine cuite à l’eau, malaxé en une sorte de pain. Ce plat est toujours servi accompagné d’une sauce à base de feuilles (légumes) d’une assez grande variété. Plus ou moins régulièrement, la sauce contient de la viande ou du poisson.

 

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Quelques amis lecteurs - dont notre petite-fille Cléo - demandent parfois : Et vous, qu’est-ce que vous mangez ? Il nous arrive, de temps à autre, de manger « à l’africaine » (la boule et sa sauce) ; toutefois la majorité de nos repas sont « à l’européenne ».

Ce samedi matin par exemple, Maryvonne est revenu du marché avec de la viande de bœuf, des haricots verts et des yaourts locaux (en petite bouteille). Seule touche un peu exotique pour ce midi, une superbe et succulente mangue que nous avons coupée en dés dans notre yaourt. Un délice.

Vivant dans une grande ville, nous pouvons nous approvisionner en légumes et en divers produits rencontrés chez nous. Evidemment, cette façon de se nourrir n’est pas fréquente ici, alors les prix sont élevés par rapport au niveau de vie moyen (tout en restant abordables). Les pommes de terre sont à 500 F le kg (0,80 euro), les haricots verts à 600 F le demi-kg, une boîte de petit pois 1 700 F, un tout petit saucisson 3 000 F. Et puis, nous allons au restaurant un peu plus souvent qu’en France car un bon plat revient à 4 euros environ (frites et poisson frais).

Tu vois Cléo, papy et mamy ne meurent pas de faim en Afrique, et les gens d’ici non plus, même si quelques uns sont obligés d’espacer des repas par manque d’argent dans la famille.

 

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Fruits et légumes sur les photos : pastèque, melon, papaye, concombre, courgette, chou, carottes, haricot vert, taro, anacarde, tomate, canne à sucre

Familles nombreuses

Que d’enfants ! Ils sont partout au Nord-Cameroun. D’abord fièrement portés sur le dos des mamans (plutôt jeunes en général). Puis remplissant les concessions, occupant les bords de routes, animant les quartiers, envahissant les écoles…

Avec notre culture d’occidental nous ne pouvons nous empêcher de nous demander : « Que vont-ils devenir ? Quels emplois pourront-ils exercer dans quelques années ? » Toutefois, nous nous gardons bien d’exprimer ouvertement ces interrogations. L’enfantement est une sphère trop intime et culturelle pour que nous y risquions une parole étrangère.

 

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En ce milieu de samedi après-midi, trois agriculteurs passent en vélo devant Villa-Rosa juste au moment où j’ouvre le portail (sollicité par une écolière voisine, pour la dixième fois de la journée !). Je reconnais l’un d’eux. Ils mettent pied à terre. « Entrez donc ». Nous nous attablons autour d’une bière et d’un verre d’eau. La conversation s’engage : « La pluie est enfin là… » La mise en culture bat son plein. Le mil est semé en priorité « Il faut d’abord manger, n’est-ce pas ? » ; suivront les semis d’arachide, de haricot (niébé), de coton…

« Quelles surfaces pour tout ça ? » « Ca dépend de la force de travail. » Entendons par là : ça dépend du nombre de bras valides pour les champs. « Par exemple, moi je cultive un peu plus grand chaque année. Mes aînés ont maintenant 13 et 14 ans, ils m’aident bien. Grâce à leur travail et à la récolte supplémentaire, je pourrai encore leur payer l’école l’an prochain. » C’est Alfred qui parle, il poursuit. « J’ai 7 enfants, nous voulions nous arrêter à 6 mais le 7ème est arrivé ; on le refuse pas, n’est-ce pas ? ». A mon tour, j’évoque ma famille : « Chez moi aussi nous sommes 7, et le petit dernier est arrivé longtemps après les autres… aucun n’est en trop. ».

Toutefois, les trois compagnons cyclistes poursuivent leurs pensées sur la relation entre la terre d’ici et ses habitants. « Pas plus tard que ce matin, en venant, nous nous sommes fait la remarque : ne serions-nous pas trop nombreux ? » Ils traversaient des étendues traditionnellement réservées aux pâturages des troupeaux nomades, et ils s’apercevaient que les champs cultivés grignotaient progressivement ces contrées.

Leur réflexion démographique est corroborée par le dernier recensement. La région Extrême-Nord est la seconde région la plus peuplée du Cameroun, 3,5 millions d’habitants, soit presque un Camerounais sur 5 ! Plus précisément dans les Monts Mandara, on dit que la densité atteindrait 270 hab/km².

Je m’aperçois que le sujet n’est pas tabou pour ces trois pères de famille. Ce sont des personnes réfléchies et leaders dans leur milieu. Aujourd’hui, ils participaient à l’assemblée générale de l’association Promagri (sorte de Groupement de vulgarisation agricole). Ce matin, sur leurs vélos rafistolés, les trois hommes ont parcouru 35 km de mauvaises pistes, maintenant ils s’en retournent aussi courageusement avant la nuit.

 

Certes, beaucoup trop d’hommes et de femmes nous semblent faire des enfants sans se soucier de leur éducation et de leur avenir. Cependant, nous notons que d’autres réfléchissent sur le nombre d’enfants qu’ils peuvent accueillir. Parfois, la femme utilise un moyen contraceptif à l’insu de son mari. Le centre de santé respecte cette situation, mais accompagne et encourage autant que possible la réflexion en couple.

 

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Le temps des semis

Mi-juin, enfin quelques vraies pluies ont daigné s’abattre sur la région de Maroua. Trois bonnes pluies d’orage en une semaine. Ce n’est pas encore l’inondation, mais le paysage débute sa mutation et la population retrouve le moral. Vite, vite, chacun s’empresse vers son champ pour semer, semer et semer encore.

Les habitants se sont comme volatilisés dans la « brousse ». Je me retrouve presque seul sur la piste conduisant à Jéricho. Je traverse des villages quasi déserts où même les puits semblent abandonnés, à peine une personne ou deux autour de chaque margelle. Seuls des troupeaux de moutons, chèvres ou bœufs et quelques ânes continuent à occuper le paysage. Pour la première fois depuis des mois ces animaux ne me font plus pitié, pour eux aussi une promesse de verdure est là !

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Progressivement mon œil interprète les nuances de couleurs du sol. Ici et là des rectangles plus foncés se dessinent, la terre y a été retournée.

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Les plus petites surfaces sont travaillées à la houe manuelle. Entre les rochers j’aperçois des personnes pliées en deux maniant une sorte de grosse binette à manche court. Leur travail s’apparente à un bêchage. Cependant beaucoup d’autres surfaces sont retournées à l’aide d’une petite charrue à traction animale.

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Une paire de bœufs est nécessaire là où la terre est lourde, argileuse…

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…un âne suffit pour les terres légères, sablonneuses.

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Et la famille entière est dans le champ, le mil (sorgho) doit être semé sans tarder.

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Au centre agricole de Jéricho, les ânes ne sont déjà plus à la tâche ; ils ont labouré la terre depuis quinze jours. Un pari a été fait sur l’arrivée de la pluie et les semis de sorgho sont terminés depuis 8 jours. Les variétés choisies ont un long cycle de végétation. Cela oblige à anticiper sur un éventuel arrêt précoce des pluies, parfois dès fin août. Dans les jours prochains, si par malheur la germination s’avérait trop mauvaise, il serait encore temps de ressemer avec des variétés à cycle plus court... mais moins productives.

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Pour aujourd’hui, chacun des 12 couples en formation est pleinement occupé au semis de l’arachide sur la parcelle qui lui a été attribuée, par tirage au sort.

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A intervalle de 40 cm entre chaque ligne, l’homme et sa femme tendent un cordeau sur la longueur du terrain.

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Puis ils progressent l’un vers l’autre en déposant en terre une graine tous les 20 cm.

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Jusqu’à se rejoindre bientôt.

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Comme dans le voisinage, cela se passe en famille…

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…sans oublier le poussin !

Peau tannée

Quel touriste peut quitter l’Afrique sans s’être procuré une ceinture, un sac à main, une sacoche, une paire de chaussures… dont il ne manquera pas d’indiquer à ses amis leur provenance d’artisans locaux ?

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Chacun sait que ces objets sont le résultat d’une élaboration débutant par le tannage du cuir. L’élevage étant bien implanté dans la région, Maroua abrite une tannerie artisanale qui peut se visiter. Le circuit démarre avec une négociation serrée sur le prix demandé par le guide. Nous savons que le « smic » d’un manœuvre est d’environ 1 000 F CFA par jour (1,50 euro), aussi trouvons-nous exagéré qu’un tel montant soit demandé à chacun d’entre-nous pour une simple visite. Finalement, Abba nous guidera avec gentillesse et compétence pour 500 F par personne.

 

La tannerie s’approvisionne en peaux dans les quelques abattoirs de bovins de la ville (qui ne sont que de simples hangars affectés à ce service) ou dans les abattages domestiques de petits animaux, chèvres et moutons.

 

Procédé de tannage des peaux

1. Peau fraîche ou semi-sèche immergée durant trois jours dans une eau chargée de cendre de bois et de chaux (trous au premier plan de la photo générale du site).

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2. Enlèvement des poils avec un grand couteau. Opération délicate, il ne faut pas percer la peau.

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3. Nettoyage des poils restant et enlèvement de la chaux par un trempage dans une eau chargée de fiente d’oiseaux. Ces fientes en grande quantité sont récupérées dans la région de Yagoua où nichent d’immenses colonies d’oiseaux granivores, les mange-mil. Soit dit en passant, dans une bonne partie de l’Afrique ces passereaux causent de graves dégâts dans les récoltes. Maryvonne a pu en observer un impressionnant ballet en visitant le parc naturel de Wasa.

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4. Assouplissement par brassage manuel dans un troisième bain contenant des graines pilées d’acacia. Pour accélérer son pouvoir d’assouplissement la solution de poudre d’acacia peut être chauffée. La récolte des gousses se fait dans le voisinage car des plantations ont été mises en place autour du site.

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5. Il ne reste plus qu’à faire doucement sécher ces peaux sur des cordes tendues un peu partout. Ici tout est vraiment artisanal et naturel. Seule la coloration éventuelle des cuirs s’effectuera dans un bain de produits chimiques.

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Ce dur travail est-il rentable ? Dès l’abord, notre guide s’est plaint de la concurrence des tanneries industrielles du Nigéria qui offrent un meilleur prix - jusqu’au double - pour la matière première. Ici une peau brute est achetée 500 F en moyenne pour être revendue tannée à 1 000 F CFA. Il nous dit que les travailleurs d’ici sont payés à la tâche et qu’ils gagnent bien leur vie. Toutefois aucun d’entre eux ne se contente de cette activité, ils sont tour à tour maçons, cultivateurs, petits vendeurs… au gré des opportunités. Mains à tout faire n’est-ce pas ?

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Selon leurs besoins, les artisans locaux viennent sur place s’approvisionner en peaux tannées. Apparemment leurs demandes déterminent le volume traité sur le site. En ce moment on nous parle de 400 peaux par jour.

Le produit fini, agréable au toucher, se retrouvera bientôt transformé en de multiples objets utiles et esthétiques. Quelques uns orneront les étals en attendant que des touristes, hélas trop rares, se laissent tenter.

 

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Une nouvelle église

A l’heure où l’on parle, sur notre vieux continent, de démolir des églises trop vétustes il s’en construit de nouvelles dans la jeune Afrique.

Elles s’apparentent le plus souvent à des chapelles, construites avec les matériaux indigènes, murs de terre et bancs rudimentaires. Toutefois certaines présentent des volumes nettement plus imposants, en corrélation avec les besoins d’une population en expansion. Il faut alors que le curé en place ait un charisme de bâtisseur et bénéficie de moyens financiers importants, car l’apport local demeure généralement modeste. Ces conditions étant réunies à Zamay, un superbe édifice est sorti de terre. Invités par le père Frans Byl nous avons eu la chance de participer, pour la première fois de notre vie, à la consécration d’une église.

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L’officiant principal pour cette consécration est l’évêque du diocèse, le père Philippe Stevens. La cérémonie débute à l’extérieur. En premier lieu, l’architecte remet au prélat les clés du bâtiment. L’évêque frappe alors trois coups sur le montant de la porte principale avant de l’ouvrir.

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La chorale donne à plein régime. Des fillettes ajoutent de la dynamique en agitant des plumeaux, en rythme. La cérémonie va durer 4 heures !

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L’une des marques de consécration est l’onction d’huile sainte, symbole de force, apposée sur 12 emplacements des murs et piliers.

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Dans son sermon, le père Philippe ne manquera pas de rappeler que le bâtiment église, avec un petit « é » n’est qu’une manifestation de l’Eglise, avec un grand « E », constituée de toutes les communautés de croyants. L’évêque exhorte la communauté catholique de Zamay à se mettre au service de l’ensemble de la société, à s’engager pour plus de justice, à travailler pour un développement économique et social harmonieux… Une fois ces tâches entreprises elle pourra alors se réunir dans cette église pour célébrer et prier Dieu.

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Le christianisme n’est pas majoritaire dans cette partie du Cameroun. Mais sa vitalité est certaine. A titre d’exemple, quatre-vingts personnes, de 10 à 70 ans, ont reçu le sacrement de confirmation au cours de cette cérémonie. Symbole fort : en même temps qu’un bâtiment est consacré, de nombreuses personnes demandent à être confirmées dans leur foi.

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L’architecture de l’édifice nous plaît beaucoup. L’intérieur s’élargit en paliers depuis le chœur jusqu’à une large façade de fond constituée de grands panneaux en fer forgé. De l’intérieur comme de l’extérieur ces motifs se contemplent tout simplement.

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 Miracle ou bonne intendance, après ces heures intenses toute l’assemblée a pu se régaler d’un poulet au riz. Nos petites danseuses, devant la chorale, l’avaient particulièrement mérité n’est-ce pas ?

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Épilogue :

Le curé de Zamay, le père Frans Byl est originaire du diocèse de Bruges en Belgique. Ayant longtemps enseigné en coopération, il perçoit une indemnité mensuelle de son gouvernement et peut aussi s’appuyer financièrement sur tout un réseau d’amis bienfaiteurs. Ces dons lui ont permis de conduire le chantier de l’église de Zamay, car selon sa parole : Ce que l’on reçoit doit être donné.

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Eau canari

Il est une coutume largement répandue ici que nous n’apprécions probablement pas à sa juste valeur. Je l’appellerais « L’eau canari ».

Dès qu’un visiteur arrive dans une habitation, il ne se passe pas 2 minutes avant qu’une femme vienne lui présenter une grande timbale en fer blanc, bien remplie d’une eau claire. Par politesse, il arrive que l’occidental(1) prenne une gorgée de cette boisson offerte avec déférence. Et là, surprise, l’eau est presque fraîche, pas tiède en tout cas comme il s’y attend. D’où vient cette eau ?

L’observation des allées et venues dans la concession peut le renseigner. Muni d’un gobelet en plastique un enfant s’approche, soulève un plateau posé sur une jarre à moitié enterrée, plonge son récipient et boit paisiblement avant de reposer consciencieusement le couvercle sur le canari. Un peu plus tard ce sera au tour de la grand-mère sortie de sa cuisine, ou encore du mari qui revient des champs. Partout ces scènes se répètent, y compris dans les lieux collectifs : enceinte des paroisses, des administrations, parfois des écoles…

Nous avions bien observé cette pratique ici ou là, mais il nous aura fallu un moment avant de nous rendre compte de son universalité. L’eau de boisson mise à disposition du visiteur est vraiment une pratique sociale qui va de soi dans cette région.

Nous avions été plus sensibles à la beauté des colonnes de femmes marchant sur le bord des routes, avec chacune un énorme canari en terre posé transversalement sur sa tête. Au petit matin, quand nous partons en brousse en véhicule, elles s’empressent vers les marchés de la ville. Nous en croisons jusqu’à 20 km à la ronde, et sans doute leurs villages sont-ils encore à quelques km !

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Revenons à notre eau « fraiche ». Dans nos sociétés sophistiquées, nous n’imaginons guère pouvoir en produire en dehors d’un réfrigérateur. Et pourtant depuis des millénaires les hommes connaissent les propriétés rafraîchissantes de ces jarres en terre cuite. Tout se résume dans la porosité de leur paroi. Un petite partie de l’eau contenue traverse la cloison jusqu’à se trouver en fine pellicule, invisible, à l’extérieur du récipient. Là, naturellement, elle va s’évaporer dans l’air. Mais ce changement d’état, ce passage de liquide à vapeur d’eau, nécessite des calories, beaucoup de calories (80 calories/gramme d’eau). Alors, il se trouve qu’une partie de cette chaleur va être fournie par l’eau présente dans le canari. L’eau de l’intérieur va donner des calories à l’eau de l’extérieur, c’est ainsi que de 35°C elle va passer à 25°C (2).

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Ajoutons encore que la mise en œuvre de ce service nécessite beaucoup de travail, la plupart du temps assuré par les femmes. Il faut régulièrement nettoyer et ré-alimenter cette « source » avec une eau aussi propre que possible, tandis que le puisage se fait majoritairement à la main, dans des lieux trop souvent éloignés de l’habitation…

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(1) Chacun sait ici que le « blanc » ne se déplace jamais sans sa propre réserve d’eau (minérale ou filtrée). C’est une précaution élémentaire de santé. Ceux qui enfreignent cette règle se font vite rappeler à l’ordre par leurs intestins…

(2) Soit dit en passant, c’est aussi pour cela que nous transpirons, pour permettre à notre corps de se refroidir par l’évaporation de la sueur à la surface de notre peau.

 

Fête nationale

Peut-on vivre dans un pays sans s’intéresser à son histoire ? L’équivalent de notre 14 juillet est ici le 20 mai, date anniversaire de la création de l’Etat unitaire du Cameroun.

Un pays réunifié

Les frontières actuelles du Cameroun sont proches de celles tracées arbitrairement par les Allemands dans les années 1880, sous leur Protectorat. Une sorte de long triangle isocèle avec une large base dans la forêt équatoriale, au niveau du Golfe de Guinée, et une pointe étroite qui monte jusqu’au lac Tchad, en zone sahélienne.

A la première guerre mondiale, le territoire fut partagé entre la France (4/5ème) et le Royaume-Uni (1/5ème). Ainsi l’Ouest du Cameroun fut longtemps rattaché à la colonie britannique du Nigéria, avant que la population la plus au Sud ne se détermine par référendum pour un rattachement à la république du Cameroun. L’Etat devint alors fédéral. C’était le 1er octobre 1961, presque 2 ans après l’indépendance de la partie française le 1er janvier 1960.

Puis, par un nouveau référendum, le 20 mai 1972, les Camerounais francophones et anglophones optèrent à 99,9% des voix pour un État unitaire.

 

Ce calendrier particulier du Cameroun complique un peu la célébration de son indépendance. En effet, tout le pays ne l’a pas obtenue en même temps, et la forme actuelle de l’Etat est plus récente. Une banderole veut récapituler tout ça en ce 20 mai 2010.

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La fierté du drapeau

Dans les conversations il n’est pas si facile de percevoir une fierté d’être Camerounais. C’est plutôt la corruption de leur société qui est le plus souvent mise en avant par nos interlocuteurs. Pourtant, un symbole semble vraiment rassembleur : c’est le drapeau. En tout temps, il flotte partout où une parcelle d’autorité existe : chefs de quartiers, écoles, administrations…

Pas un défilé évidemment sans qu’il soit fièrement arboré.

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Armée et corps constitués

Pas de fête nationale, bien entendu, sans montrer ses muscles ! Défilé pédestre tout à fait classique des diverses forces armées. Photos interdites ; on s’en passe.

 

Cinquantenaires

Pour cette parade les cinquantenaires ont tenu à former un « carré spécial ». Notre commerçante de quartier en faisait partie.

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Jeunesse

50 années, cette durée dépasse largement la vie de la plus grande partie de la population : un Camerounais sur deux a moins de 18 ans !

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Chaque école tient à présenter une délégation dans ce cortège. Une délégation seulement, car pour avoir l’honneur de défiler il faut disposer d’une tenue en bon état, ce qui exclut d’emblée les 9/10ème des élèves.

Bien entrainé depuis de longs jours - nous entendions les chants des troupes d’enfants résonner partout dans la ville - l’enthousiasme était vraiment au rendez-vous pour le grand jour.

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Musique

Par contre, dans ce genre de manifestation, pas vraiment de quoi se réjouir les oreilles. L’accompagnement sonore est le plus souvent pré-enregistré, avec des airs standards. Deux speakers insipides commentent comme ils peuvent la succession des groupes. Une fanfare officielle ponctue le passage des autorités. Les chants aigus des enfants se suffisent largement à eux-mêmes, même si, ici et là, un tambour tente de leur donner le rythme.

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Juste une heureuse surprise : l’orchestre de la toute nouvelle université de Maroua. Sortie de nulle part, voilà une harmonie bien agréable.

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Indépendance ?

Pour un bilan de demi-siècle, faut-il considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein ?

Le pays présente une indéniable stabilité politique puisque seulement 2 présidents l’ont gouverné jusqu’à maintenant. Sous la coupe de l’un comme de l’autre, la barque a tangué à de nombreuses reprises mais le bâtiment Cameroun a tenu le coup. De 1960 à 1982, Ahmadou Ahidjo, le premier président, était du Nord et musulman. Le second, Paul Biya, est du Sud et chrétien ; il se maintient fermement au pouvoir depuis 28 ans. La prochaine élection présidentielle devrait avoir lieu en 2011. Quel avenir les Camerounais choisiront-ils pour leur pays ? A eux seuls de répondre, puisque comme le résume l’un de mes interlocuteurs : « Nous sommes en voie d’indépendance ».

Pouce !

Vraiment trop chaud. Ce jeudi de l’Ascension est bienvenu. Une journée entière à ne rien faire. Juste, bien malgré soi, suer à grosses gouttes, encore et encore.

On redoutait cette période, elle est là ; pour au moins 15 jours selon les « météorologistes » locaux, peut-être jusqu’à un mois disent les plus pessimistes (ou réalistes).

Deux pluies d’orage sont tombées voici une dizaine de jours (2 fois 20 mm environ). Sur le coup, elles ont bien rafraîchi l’atmosphère, mais l’effet n’a duré qu’une ou deux journées.

Toutefois ces premières pluies sont le point de départ de toute l’activité agricole du Grand-Nord camerounais. On dit que beaucoup se précipitent dans leurs champs, dans la fébrilité souvent. Ont-ils raison de commencer à semer ou ferait-il mieux de patienter un peu ? Nul ne le sait. Si les prochaines pluies ne tardent pas trop (d’ici 15 j. maxi) leur pari sera bon. Si, comme l’an dernier, il se passe un mois avant un sérieux apport d’humidité, alors le semis sera à refaire !

Quant à moi, j’ai pensé ces derniers jours qu’il n’était guère raisonnable d’affronter le thermomètre pour aller rendre visite à l’un ou l’autre sur le terrain. Nos corps de blancs ne semblent rien pouvoir faire d’autre que de refroidir nos carcasses. Peut-être l’âge y est-il pour quelque chose ? Cependant, nous constatons que les Africains souffrent aussi.

 

Pour tous, l’une des choses difficiles est le sommeil. L’endroit idéal est dehors, car une fraîcheur relative arrive dans la nuit. Nos relevés de ces derniers jours donnent en extérieur : 41° à l’ombre l’après-midi, 38° le soir, 35° à minuit, 31° au petit matin. A l’intérieur de la maison ça semble « frais » l’après-midi : 36°, mais au matin il fait encore 34° !

Alors, suivant les conseils avisés des habitants, j’ai monté un « hangar » dans la cour de notre Villa-Rosa. Il s’agit d’un abri couvert de « sécos » (paille tressée). Nous y avons installé notre matelas, sur un lit traditionnel, en branches assemblées. Confort suprême : toute la nuit nous laissons tourner un ventilateur sur pied, une légère brise nous caresse alors le corps… au risque de nous enrhumer !

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Certains Camerounais préfèrent dormir directement sur un tas de sable, ils disent que c’est très confortable. Nous en avons bien un dans notre cour mais nous n’osons pas trop nous y installer…

Concours : A votre avis qui a bien pu faire la superbe déco qui orne notre mur d’enceinte ?

Promis, un paquet d’arachides sera offert à notre retour aux premières bonnes réponses.

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Premier mai, vive l’entreprise !

Le Cameroun aime défiler, les occasions ne manquent pas : fête de la jeunesse en février, fête de la femme en mars, fête du travail au 1er mai, fête nationale le 20 mai… Longue avenue nettoyée, tribune officielle, groupes multicolores, badauds… le scénario est bien rodé, et le spectacle agréable à vivre.

 

« Non, le CDD n’ira pas défiler ce premier mai ; nous n’avons rien à vendre ! », claire réponse à mon interrogation. Rapidement en effet, nous allons nous apercevoir que ce défilé est avant tout une superbe opportunité pour la promotion des entreprises.

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Dans son allocution d’ouverture, le gouverneur rappelle brièvement qu’il a entendu la véhémence des revendications syndicales. Mais la tonalité de son discours est ailleurs : Le Cameroun a choisi de faire de cette fête une exaltation de la valeur du travail, selon la devise de notre pays : « Paix, Travail, Patrie ». Nous invitons donc chacun à travailler pour manger, l’ouvrier qui ne travaille pas ne mérite pas son salaire, de même l’enfant qui ne travaille pas n’a pas le droit de manger (sic).

 

Cent quarante trois représentations d’entreprises vont défiler, soit quelques 3 463 participants, selon la fiche prévisionnelle des groupes. L’ordre de passage nous semble répondre à des critères protocolaires et socio-économiques. Alors, pourquoi pas tenter de repérer le poids, réel ou symbolique, de chaque secteur d’activités dans la société ?

 

A tout seigneur, tout honneur, la première partie du cortège est constituée des administrations publiques. D’abord celles qui sont directement rattachées à la Présidence de la république, me précise-t-on. Viennent ensuite les autres administrations, et elles sont nombreuses ! (voir le billet : Maroua city ). Leurs slogans retentissent souvent comme autant d’exhortations à des objectifs chimériques.

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En intermède, voici la société Hysacam (Hygiène et salubrité du Cameroun), entreprise privée de nettoyage urbain entièrement financée par des fonds publics locaux et nationaux. La population applaudit le service quotidien assuré par ces éboueurs. A la fin du défilé pédestre, le passage ronflant de ses camions bennes rutilants sera lui aussi très apprécié. Remarque amusante pour nous, sur l’un des véhicules le logo de la société recouvre à peine l’inscription Ville de Nantes encore apparent.

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Puis vient la longue litanie des établissements financiers. Je passe sur les filiales des grands établissements financiers : Crédit lyonnais, Crédit agricole, Société générale, Western union, etc. Le Cameroun regorgerait-il d’argent ? Ils sont suivis d’une quantité aussi étonnante de petits établissements de crédit, dont on se demande si certains n’auraient pas pour seule réalité que leur pancarte ?

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De la même façon qu’en France, les assurances ne sont pas en reste. Elles talonnent les banques, comme pour prendre leur place !

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Arrivent ensuite les entreprises de communication, les maisons mères et leurs divers partenaires. Qui n’a pas encore son téléphone portable au Cameroun ? Même moi, me voici, pour la première fois de ma vie, avec un téléphone à la ceinture.

 

Peut-être en sommes-nous aux 2/3 du cortège ? La place est enfin libre pour de multiples autres activités bien utiles à une société. Les entreprises de transport en commun, des garages, quelques gros commerçants, l’union des cafetiers, divers regroupements d’artisans : imprimerie, chaussures, boulangerie, couture…

Au passage Maryvonne épingle « sa » couturière, aux lunettes noires.

 

Quant à moi, j’encourage plutôt le GIC (Groupement d’intérêt commun) des jeunes forgerons de Maroua.


Vous l’aurez compris, la simple observation de l’ordonnancement de cette parade fait réfléchir à la conception du travail qui prévaut ici. Toutefois, gardons-nous d’en tirer trop rapidement une conclusion ; les préséances seraient-elles si différentes chez nous ?

 

En réalité, ce qui me frappe le plus en cette fête du travail, ce sont les innombrables absents. Aucune trace dans ce défilé des centaines de commerçants du marché central, encore moins des petites vendeuses alignées sur les nombreux marchés de quartiers. Aucun représentant des milliers de « débrouillards » qui vivotent de la vente de 3 babioles ou de la réparation de tout et n’importe quoi, avec les moyens du bord bien sûr. A peine quelques représentants d’artisans locaux : menuisiers, garagistes…

Pas de défilé non plus, aujourd’hui sur cette avenue, de la multitude de « clandos » (motos-taxis) qui se faufilent à longueur de temps jusque dans les quartiers les plus reculés, et les moins reluisants, d’un Maroua en perpétuelle extension.

Sans parler des enfants qui, après une demi-journée dans une classe surchargée (250 élèves dans un niveau, la moitié le matin, l’autre moitié l’après-midi), assurent la plus grande part des corvées d’eau, le nettoyage permanent des abords d’habitation, le remplissage des brouettes sur les chantiers, les heures de planton près du commerce de rue du « grand frère »…

Oui, ceux qui ont défilé ce 1er mai sont loin d’être les seuls à avoir gagné un droit à leur pain quotidien.

L’argent ne pleure pas !

C’est l’histoire d’un ministre, revenu au village après quelques années au gouvernement. Chacun savait ouvertement que cette position au pouvoir lui avait permis de se constituer une petite fortune.

Cependant, il se voulait proche des habitants. Ainsi, quand le deuil frappait une famille de son entourage il envoyait toujours quelqu’un porter son groupe électrogène afin que la veillée funéraire soit bien éclairée. Il demandait aussi à sa femme de préparer une bonne quantité de couscous pour nourrir les nombreuses personnes venues de partout entourer la famille en souffrance. Mais lui restait dans sa maison.

Un jour le malheur le frappa à son tour, son fils mourut. Toutes les familles du village vinrent chez lui. Elles y déposèrent chacune une petite lampe et un peu de mil cuisiné. Puis, elles repartirent après les salutations d’usage.

Quand le soir arriva le ministre se retrouva tout seul près du cadavre au milieu des petites lampes et des boules de mil.

Il en fut si malheureux qu’il se rendît compte que le village venait de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il pensait avoir soutenu les gens dans la peine en mettant à leur disposition une partie de ses biens. Il comprit alors que la chaleur humaine passe par la rencontre ; qu’il ne suffit pas d’être généreux en biens matériels ou en argent pour qu’une relation humaine s’établisse ; que ce qui est d’abord attendu est une présence de proximité. Une cohésion sociale, insiste celui qui m’a raconté cette histoire.

Quant à moi, je me dis que la maxime préférée des Camerounais, « On est ensemble », trouve peut-être là tout son sens. Non, l’argent ne peut pas pleurer avec toi.

Ma-ri-a-ge et gaspillage

« Il faut que nous apprenions à mieux gaspiller l’argent ». Un peu interloqué par la formule, j’ai demandé la répétition de la phrase, puis je l’ai consciencieusement écrite au tableau. C’était lors d’un cours de gestion au centre de formation agricole de Jéricho. Quelques minutes plus tard, je trouvais bien sûr le temps d’expliquer le mot gaspillage, selon le dictionnaire, et j’ajoutais que l’expression « mieux utiliser l’argent » serait probablement préférable, en matière de gestion en tout cas.

 

« Vous allez voir comment l’argent va être gaspillé, des billets et des billets qui vont voler partout. Ah oui, vous avez de la chance, vous allez assister à un grand mariage ». Tizé est tout émoustillé à l’idée de nous faire découvrir cet évènement. « Vous voyez tous ces gens qui marchent, bien habillés, ils vont à la fête ».

Pour l’heure, il est 16 h, il nous faut livrer des médicaments au prochain Centre de santé et nous constatons effectivement qu’à plusieurs km, de part et d’autre, des groupes colorés s’acheminent vers le lieu désigné. « Quand on va repasser la danse aura commencé, et là vous verrez les billets ! ».

 

Deux heures plus tard, en bordure de piste, au beau milieu d’un champ, l’attroupement est bien visible. On entend le son éraillé d’une guitare électrique accompagnée de quelques djembés. Un mini groupe électrogène assure le courant pour l’ampli et 3 ou 4 lampes accrochées à des piquets.

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Nous l’avions remarqué tout à l’heure, plusieurs femmes portaient des marmites sur la tête. Là, elles s’installent en ligne, à même le sol, et allument des feux pour cuire ou réchauffer les aliments qu’elles ont apportés. C’est un vrai marché qui prend forme, avec une série d’étals de colifichets et de boissons.

Nous traversons ce petit capharnaüm pour accéder au « sanctuaire », un espace vaguement délimité par un rang de fil de fer barbelé. La danse a commencé, une file d’hommes, une file de femmes forment comme un cercle. Les corps oscillent en cadence, les pieds marquent le sol, se déplaçant à peine. Un vigile, chicotte à la main, empêche les intrus de pénétrer ce domaine réservé. Deux jeunes filles restent accroupies au milieu, avec des cuvettes : « Elles sont chargées de l’argent, elles vont le récupérer ».

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A intervalles, les groupes de danseurs vont se succéder dans l’enceinte ; d’abord les amis du marié, les amies de la mariée, la famille de la mariée... C’est parce que ce couple a de nombreux amis que le mariage est grand.

Un griot miséreux invite chacun à être généreux envers le jeune couple. Entre deux danses, le « blama » (chef de quartier) prend le micro pour assurer que toutes les dispositions ont été prises afin que cette fête se déroule sans incident, on ne dépassera pas 2 heures du matin.

 

Photo : 20100416-Ligi-Mariage-ConsignesDuChef-2


La danse se poursuit. Et voilà qu’une personne remonte rapidement la file des danseurs avec un paquet de billets de banque en main. Elle puise dans sa liasse et appose quelques devises sur le front de chaque danseur. Bien entendu, les billets s’égaillent sur le sol. Les jeunes filles, préposées à cette tâche, s’empressent de les récolter de chaque côté de l’enfilade. Les danseurs poursuivent leur piétinement sans se soucier des petites mains qui récupèrent les coupures sous leurs pieds. Un peu à l’écart, trois trésoriers comptent et classent toute cette monnaie sur une table, symboliquement protégée. A peine une personne a-t-elle fini sa distribution, qu’une autre prend le relais. Certains ne vont remettre leur don que sur le front de l’une ou l’autre des personnes à l’honneur : la mariée, sa mère, son beau-père….


Tizé nous avait mis la puce à l’oreille en nous informant que la mission catholique demandait aux chrétiens de ne pas organiser ce genre de fête où l’argent semble gaspillé. « C’est une tradition assez nouvelle ici, elle vient du Nigéria, tout proche. C’est beaucoup d’argent mais ce n’est pas beaucoup ! ! »

Hé oui, parce qu’il y a une astuce pour disposer de tels volumes de billets. La distribution se fait avec la monnaie nigériane : le Naira. Et cette devise ne dispose en pratique que de billets, dont les premiers ont évidemment une valeur très faible !

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Sur cette zone frontalière, un billet de 5 nairas s’échange contre 15 francs CFA, soit 0,15 de nos « ex-francs », autrement dit 2 centimes d’euro ! Des changeurs passent dans les rangs des invités pour convertir leurs francs CFA en nairas. Un petit billet de 1 000 F CFA devient 60 billets de 5 nairas ! Maryvonne en profite pour obtenir deux jolis billets de 5 et 10 nairas pour la collection de notre Lolotte.


Un participant me confie « Aujourd’hui, je prévois de donner 10 000 F CFA à l’occasion de cette fête, quand ce sera mon mariage je récupérerai largement cette somme ».

 

 

Un hôpital de brousse

Depuis mon arrivée, j’entends souvent « Tu devrais visiter l’hôpital de Tokombéré ».

Le vendredi 9 avril, j’ai la joie de passer une matinée dans ce centre grouillant de vie, bien accueillie et guidée par Kamtchouloum (aide-soignant rencontré à l’occasion de 2 journées de formation que j’ai assurées à Maroua, sur les injections et les pansements).


Créé en 1959 par le Docteur Maggi (un médecin suisse) cet hôpital devient, sous l'impulsion de Baba Simon (prêtre Camerounais), puis de Christian Aurenche (prêtre-médecin français), un véritable Centre de Promotion de la Santé.

 « Notre objectif devrait être, l’homme et sa santé et pas seulement sa guérison. Nous ne devrions pas lutter d’abord contre la maladie mais pour la vie » (Christian Aurenche)

 L'activité curative ne permet pas, à elle seule, d'améliorer l'état de santé d'une population. Il faut aussi un engagement profond et durable des communautés humaines. Le Centre de Santé est tout autant un lieu de formation, de rencontres et d'accompagnement pour les villageois qu’un centre pour dispenser des soins.




La vie à l’hôpital

Chaque malade hospitalisé est entouré d’un ou plusieurs « gardes-malades » (famille, voisins, amis…) qui le prennent en charge pour la toilette, la surveillance des traitements, la nourriture, la lessive… La disposition des bâtiments permet cette intense participation des familles (puits, foyers, bac à lessive…)

La nourriture est préparée de manière traditionnelle. Des foyers sont situés sous des hangars et chaque femme achète un peu de bois à 200 FCFA le fagot (0,30 €) pour cuire la bouillie de mil de son malade. La viande peut aussi s’acheter dans l’enceinte !




Un grand service de pédiatrie

Les nombreux enfants hospitalisés en pédiatrie sont d’abord soignés pour leur pathologie, puis une éducation nutritionnelle est mise en place.

La malnutrition reste un problème majeur dans cette région. Elle est liée en grande partie à l’insuffisance de production de la culture vivrière, à la sécheresse et aussi à la mauvaise gestion des revenus agricoles. Pour calculer l'état de malnutrition, l'on divise le poids en kg par la taille (en m) au carré ce qui donne un IMC (indice de masse corporelle). Par exemple récemment, j'ai dépisté un enfant de 8 mois qui mesurait 63 cm pour 4,5 kg, soit un IMC de 11. On considère qu'une personne est en dénutrition lorsque son IMC est inférieur à 16.

Les enfants dépistés en PMI pour une malnutrition légère sont suivis dans le village et des conseils nutritionnels sont donnés aux mamans.

Si le cas est sévère, (par exemple 5 kg de poids pour 1 an ou plus, ce qui n’est pas rare) l’enfant est placé en hôpital de jour. Les mamans sont réparties par secteur linguistique pour faciliter la communication entre elles pendant les causeries éducatives.

Lors de ces animations, le responsable nutritionnel leur explique l’intérêt du « grenier de l’enfant » Il s’agit d’une réserve de mil exclusivement destinée à l’enfant, cette part ne risquera plus d’être utilisée pour la production de la bière locale (bilbil). Avec cette gestion la nourriture sera suffisante toute l’année pour garder l’enfant en bonne santé. Le village n’est-il pas le premier centre de santé ?

Il y a aussi, 3 fois par semaine, des démonstrations nutritionnelles où les mamans apprennent à faire la bouillie enrichie comme ci-dessous : mil + soja + arachides + F75 (lait thérapeutique).




Situé dans une région très pauvre, l’hôpital pratique un système de tarif allégé, le patient paie un forfait (voir le billet : Soigner par épisode).

Bonus

Au moment de quitter la maternité (120 accouchements par mois en moyenne), la vie m’a fait un beau cadeau : J’ai partagé la joie d’une maman qui m’a présenté son petit garçon. En effet, j’ai pu constater une fois de plus que les bébés naissent avec la peau claire avant de prendre la couleur de leur continent.

Maryvonne




Paysan cherche terre…

Paysan, un joli mot pour désigner celui qui cultive la terre de son pays.

Encore faut-il disposer de cette terre, je ne parle pas de la posséder, je dis bien en disposer, tout simplement.

Au Nord-Cameroun la problématique du foncier est vitale. Le climat est certes difficile, les pluies sont capricieuses, insuffisantes et dévastatrices à la fois, mais le plus contraignant pour un agriculteur n’est peut-être pas la météo. Une épée de Damoclès est suspendue, quasi en permanence, au-dessus d’une majorité des paysans d’ici : « De quelle terre vais-je disposer pour mes cultures à la prochaine saison des pluies ? »

 

Dans les discussions les mots « achat » et « vente » de terre reviennent souvent. Par exemple : « Cette année, j’ai acheté trois quarts ». Ici, la mesure de base de la surface agricole est le quart d’hectare (1/4 ha). Sur la région une famille moyenne cultive d’un à trois ha pour se nourrir et tirer son revenu de l’année !

Revenons sur : « j’ai acheté trois quarts ». Là, il faut absolument décrypter, il ne s’agit nullement d’un achat, mais au mieux d’une « location » ; espérons seulement qu’elle soit en bonne et due forme. Hé oui, parce que les écrits sont rares et que le « propriétaire » aura peut-être simultanément « vendu » son champ à une ou deux autres personnes !

Vous remarquez que mes expressions en italique sont nombreuses. C’est que le droit camerounais n’est pas simple, pas vraiment clair, et qu’il est bon d’être guidé pour le comprendre un peu. Vous voulez en savoir plus ? Allons-y.

 

Au Nord-Cameroun, plusieurs niveaux de « droits fonciers » se superposent, dans un syncrétisme tout africain.

Commençons par la Loi camerounaise. Selon elle : Le Cameroun appartient à l’Etat, aucune personne n’est vraiment propriétaire d’un terrain tant que l’Etat ne lui a pas accordé de titre foncier. Ainsi donc en l’absence d’une immatriculation dûment établie, personne ne peut acheter ou vendre une terre, ni même la louer. Précisons qu’un titre foncier est généralement difficile à obtenir. Même si un décret récent vise à accélérer les procédures, plusieurs années de démarche sont couramment nécessaires, tout particulièrement au Nord-Cameroun. Par exemple, le diocèse de Maroua n’a toujours pas de titres de propriété pour l’emplacement de plusieurs églises ; des demandes sont en cours, mais les dossiers trainent.

Un autre cadre de référence est la Coutume traditionnelle : La terre appartient au village. Le chef est responsable de sa distribution aux membres de la communauté. Là, une famille se voit attribuer un terrain à cultiver, l’usage de cette parcelle passe de génération en génération, mais au sens strict cette famille n’en est pas propriétaire. L’absence de mise en culture d’une terre peut signifier son abandon ; son usage devrait alors retourner au pot commun du village. Mais en pratique, une famille vivant à Yaoundé depuis 40 ans se souviendra, en temps opportun, que le grand-père (ou l’arrière grand-père) cultivait telle ou telle partie de montagne.

Un troisième cadre est la « Loi musulmane » : La terre appartient à Dieu seul. Son représentant sur terre est le Lamido (chef musulman) qui l’attribue à qui il veut. Dans le Nord-Cameroun, principalement dans la plaine, la structure des chefferies musulmanes est très présente. L’attribution d’un terrain s’accompagne de la dîme annuelle (sorte de denier du culte) due au Lamido.

Comment faire coexister ces diverses tutelles ? Comment régler les litiges qui ressortent de cet imbroglio de « législations » ? L’Administration (le Sous-préfet) compose couramment avec les éléments « traditionnels » (coutume et religion)… et un arbitre a pris place comme une « quatrième loi » : celle de l’argent !

 

Poursuivons. Légalement donc la propriété officielle d’une terre est rare en milieu rural. Toutefois, la population admet, comme un fait accompli, la propriété personnelle des terres que s’attribuent les chefs (chef de village, chef de famille, chef musulman). Donc, chaque agriculteur doit passer par un chef pour disposer d’une terre à cultiver.

Mais le pire de cette situation est qu’il s’agit d’une « location » de très courte durée : figurez-vous que 50 % des terres du Nord-Cameroun sont mises à disposition pour un an seulement. Un paysan sur deux n’a pas l’assurance de disposer de la même terre l’année suivante !

Sans être agronome, chacun imagine facilement les aspects néfastes d’un tel système. Chaque année, le « propriétaire » est à l’affût d’un nouvel utilisateur qui lui donnera un peu plus d’argent que le précédent. Le « locataire », quant à lui, n’a que l’objectif d’une récolte immédiate. Il ne va nullement chercher à améliorer la fertilité du champ (diguettes pour limiter l’érosion, apport de compost, rotation de cultures, etc.) ; D’autant plus que si son rendement devient meilleur, il suscitera la convoitise de voisins qui proposeront alors au propriétaire de lui louer cette terre à un prix supérieur !

 

Pour que cette situation, globalement mauvaise pour tous, s’améliore le CDD propose la mise en place d’un contrat entre « propriétaire » et « locataire ». Le libellé d’un tel contrat nécessite de la prudence car légalement la propriété n’est pas attestée. Il est donc considéré que le chef dispose d’un « droit de jouissance » sur ses terres et qu’il a la possibilité de le « mettre à disposition » d’une autre personne. La contrepartie de la mise à disposition de ce droit de jouissance sera quant à elle mentionnée comme « un cadeau ». Ces papiers de « location » d’un an sont un premier pas vers plus de sécurité foncière ; les chefs traditionnels les admettent de plus en plus, les musulmans sont encore assez réticents.

Pourtant seul un allongement de la durée de location peut améliorer simultanément la sécurité de l’exploitant et la qualité des sols. Un type de contrat gagnant-gagnant est désormais proposé : Je mets à ta disposition pour 3 ans (ou 5 ans) cette terre dont je suis responsable, mais tu devras y réaliser tels travaux d’amélioration foncière : construire 150 m de diguettes, planter 5 arbres fruitiers, apporter du compost chaque année…

Pour la qualité des terres du Nord-Cameroun et pour la vie de ses paysans, espérons que la sagesse l’emportera et que ces contrats deviendront largement admis. Nous sommes loin de l’assurance de nos baux ruraux, mais ne faut-il pas un commencement à tout ?

 

Jéricho, terre nouvelle

A Jéricho, Lucien cultive les hommes comme il cultive la terre, patiemment, fermement. Durant une année pleine, il tente d’amener chacun et chacune à produire le meilleur de lui-même.


Étrange, fascinant, ce lieu perdu dans la campagne camerounaise. A ma première question : "C’est où Jéricho ?", la réponse était toujours la même : "Quelque part du côté de Douroum". Alors, il faut d’abord faire un bout de chemin, puis demander : "Oui c’est devant ; allez, c’est pas loin" (ce n’est jamais loin !). Encore une ou deux requêtes, et quelqu’un monte à vos côtés, ou roule devant à bicyclette, pour vous guider dans les derniers hectomètres.


Depuis un bon mois, me voici au cœur des tâches mentionnées dans ma fiche de poste : Le volontaire assurera une partie de la formation agricole au Centre Jéricho, et il assurera appui et conseil aux couples stagiaires pendant la réinstallation à leur retour au village.

Autant vous le dire tout de suite, ces activités me plaisent beaucoup, j’y prends mon pied !

Au sein du Comité diocésain de développement (CDD) de Maroua, cette structure de formation tient une place essentielle. Venant de l’ensemble du diocèse (superficie et population équivalentes aux trois-quarts de la Bretagne) 12 jeunes couples d’agriculteurs sont invités à venir vivre une année complète dans ce lieu. Il est demandé que l’homme ait au moins le niveau de fin d’études primaires ; assez fréquemment sa compagne est analphabète. Avec de la patience et beaucoup d’encouragement, elle franchira avec grande fierté le pas de l’alphabétisation.

Ils viennent avec leur nourriture de base pour toute une année (2 sacs de mil par personne). Sur place, ils reçoivent un petit pécule mensuel (6 à 9 000 F CFA, soit 10 à 15 euros) pour couvrir leurs autres besoins : achat de viande, poisson, sauce, habillement, santé, déplacement…

Leur vie sur place est semi-communautaire ; chaque couple, presque toujours accompagné d’un ou deux jeunes enfants, dispose d’une case en dur, avec cuisine (petite construction en extérieur) et poulailler.


Pour entreprendre cette formation, ils sont sollicités par les Comités de promotion humaine (CPH) des paroisses. Le premier objectif de l’année est la formation personnelle et professionnelle de chacun ; cependant, il est aussi attendu que ces jeunes couples soient des modèles, des exemples pour le développement de leur milieu. Ils se savent pionniers pour la mise en œuvre d’une agriculture « durable ». Nota : le mot n’est pas utilisé ici, mais je peux vous assurer qu’il s’agit bien de cela, et l’agriculture la plus couramment pratiquée ici ne va guère dans ce sens ! Bientôt, je ferai un billet sur la gestion des terres au Nord-Cameroun.

La formation est à la fois pratique et théorique, professionnelle et familiale, humaine et chrétienne... Il s’agit bien du développement de tout l’homme selon la belle expression d’une lettre du pape Paul VI sur le développement des peuples (Populorum progressio, 1967). Voici quelques temps, le curé de Douroum me disait enthousiaste, admiratif : « A Jéricho j’ai vu des hommes et des femmes se mettre debout. »


Je vais sur place une journée par semaine, pour y donner le cours de Gestion d’exploitation agricole familiale. Comprenez bien, il s’agit de formation d’adultes, avec une pédagogie active, alors j’ai vraiment l’objectif que ce soient les stagiaires eux-mêmes qui remplissent le contenu de ce cours… je puise simplement le cadre dans des livrets du CDD (voir par ex. Pour des cacahuètes).

A la fin de l’année, chaque famille retourne chez elle avec la récolte obtenue du travail de la parcelle qui lui a été attribuée. Ce n’est plus 2, mais 10 ou 15 sacs qui les accompagnent ! Sans oublier l’âne qui a soulagé leur peine... et l’enfant supplémentaire conçu sur place !

La seconde année de formation va désormais se passer sur leur propre terrain (à suivre…).

Dolce vita camerounaise

Sans commentaire ! ...



Journée de la femme

Comme partout dans le monde, la journée du 8 mars est jour de fête à Maroua.

Depuis des semaines, des mois parfois, les femmes en parlent, se rencontrent, préparent les expositions de leur travaux… Chacune fait coudre le pagne que son mari lui aura acheté. Il arrive même que des collègues hommes se cotisent pour l’offrir aux femmes de leur entreprise. Quant à moi, évidemment, je me le suis offert !

Son prix est unique : 5 500 Francs CFA soit ~8 €. Ensuite tout est dans la coupe et les broderies qui dépassent souvent la mise initiale.

Enfin arrive le jour J. Vêtues de leurs jolis pagnes aux couleurs du drapeau Camerounais, un nombre important de motos les transportent des quatre coins de la ville.


Toutes se dirigent vers le lieu du défilé où les attendent  les personnalités locales (gouverneur, consul, députés, maire, évêque... enfin tout le gratin de la ville de Maroua).

Après l'hymne national et les discours d’usage, les femmes se rangent derrière la bannière représentant leur association. Parfois elles ne seront que 3 ou 4 mais la qualité ne dépend pas du nombre ! L’essentiel est d’être là.


Au passage des 140 délégations, les personnalités applaudissent.

La matinée se termine par le resto pour les plus fortunées ou tout simplement devant quelques bières « 33 » dans le café du coin.

Pour certaines cependant le 8 mars ressemble à tous les autres jours. Le long de la route les vendeuses de beignets, de carottes, de tomates... essaient de gagner quelques pièces pour faire vivre leur famille.


Point de 8 mars non plus pour ces nombreuses mamans venues à la consultation avec leur enfant malade. Elles devront patienter encore et encore car il n’y a que 3 hommes infirmiers et la Nassara (la blanche) présents ce jour là. En général, dans notre centre de santé, le lundi il n’est pas rare de voir 60 malades dans la matinée. Bien que ce ne soit pas un jour férié, les 11 femmes qui y travaillent sont absentes, malgré la demande du chef de s’organiser pour une permanence. Pour elles, cette journée du 8 mars semble plus importante que tous ces malades qui devront être encore plus « patients » que d’habitude.

Cette désinvolture m'interroge.

Maryvonne

Pourtant que la montagne est belle

Agence France Presse le 13/03/2010 à 16h19 : Le chanteur engagé Jean Ferrat, qui résidait depuis des années en Ardèche, ce qui lui avait inspiré sa célèbre chanson "La montagne" en 1964, est décédé ce samedi à l'âge de 79 ans…

Habituellement je n’ai guère le réflexe de l’immédiateté, si prisé des internautes. Pourtant, en la découvrant sur le portail Orange, cette nouvelle me touche et je me dis : C’est le moment, compose ce billet qui te trotte dans la tête depuis ton premier jour au Nord-Cameroun.

« Pourtant que la montagne est belle, comment peut-on s’imaginer, en voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver. » Ce refrain occupe fréquemment mon esprit, au cœur de ces superbes paysages des monts Mandara. Est-ce l’automne ici aussi ? Quel avenir pour ces montagnards ?

Durant de nombreuses années, j’ai interprété "La montagne". Récemment, mon père m’a confié que, depuis notre ferme, il m’avait entendu la chanter au micro à la kermesse de la paroisse. C’était peut-être l’année de sa création, je devais avoir 18 ans.

« Avec leurs mains dessus leur tête, ils avaient monté des murettes jusqu’au sommet de la colline »


Ici la phrase ne se conjugue pas au passé, elle est bien au présent, à l’impératif présent.

Ici, nul besoin de transporter les pierres, elles sont là, partout. Partout elles sont déplacées, relevées, alignées, entassées dans un désordre ordonné. Partout, en cette saison sèche, des moignons de tiges de sorgho attestent de la culture de cette plante nourricière à la saison favorable.


« Deux chèvres et puis quelques moutons, une année bonne et l’autre non »

A nouveau, une strophe qui résonne aussi justement ici qu’en Ardèche. Chaque année la même inquiétude : comment seront les pluies ? Nous permettront-elles une récolte suffisante pour nourrir toute la famille ? Devrons-nous nous séparer de nos animaux pour acheter le sac de mil qui nous manque ?

« Qu’importe les jours, les années, ils avaient tous l’âme bien née, noueuse comme un pied de vigne. »

On pressent la ténacité de la population, accrochée à ses coteaux depuis des générations. Bien sûr, aujourd’hui certains quittent leur terroir, à la recherche d’une vie moins dure, mais beaucoup veulent y vivre encore et encore. Seraient-ils mieux ailleurs ?

Ils vivent par leurs racines. Qu’ils se déplacent un peu, vers les terrains de piedmont, ou plus loin, vers la ville, ils gardent chevillés au corps leur sol natal (l’omniprésence des rochers me fait hésiter à utiliser l’expression terre natale).


Ainsi, en ville, il n’y a pas besoin d’une longue conversation avec quelqu’un pour qu’il vous informe : Je suis de … On comprend vite qu’une partie de sa vie est là-bas.

Certains coins de montagne sont-ils encore vivables ? La question se pose vraiment. Le sol est ingrat, l’eau manque. Mais au pied des collines la terre est sur-occupée et les puits s’assèchent trop souvent à partir du mois de mars. Pourtant des hommes et des femmes courageux retroussent leurs manches pour améliorer la fertilité de leur terroir et en demeurer fiers. (voir la conclusion du billet : Un nouveau mayo.)



Pour des cacahuètes

Travailler pour des cacahuètes ! Cette expression populaire a, chez nous, une connotation de gagne-petit ? Mais au Nord-Cameroun, je découvre que cette culture est un précieux revenu pour nombre de familles rurales.

Depuis quelques jours, me voici aiguillonné par les questions de Juliane, jeune stagiaire française cherchant à retracer le circuit commercial de l’arachide. Alors, j’entre en contact avec Jérôme, qui me renvoie vers Sidi, pour finir, comme aimanté, par Gonzague et son érudition, toujours pragmatique.

« Oh, l’arachide c’est beaucoup de travail ! C’est même la culture qui donne le plus de travail. Mais c’est une culture très intéressante, et bien des familles en retirent un sérieux revenu dans certaines zones du Nord-Cameroun. »

Quelques minutes plus tard, Gonzague m’extrait de ses étagères à trésors le fascicule de vulgarisation qu’il a consacré à cette « légumineuse ». Faut-il préciser que ce mot n’indique pas que cette plante soit un légume ? En fait ce terme agronomique désigne les plantes ayant la capacité de stocker sur leurs racines l’azote qu’elles ont puisé dans l’air. Voilà un premier bénéfice : l’arachide apporte dans le sol un engrais, gratuit et biologique. D’autres plantes s’en nourriront, le mil par exemple.

Le livret précise que les arachides sont une très bonne nourriture pour l’homme, spécialement pour les enfants. On les retrouve souvent dans les sauces, si prisées des africains. Il en est extrait aussi de l’huile, et le tourteau qui en résulte est consommable. En supplément, les fanes sont également un excellent fourrage pour les animaux. Chaque jour nous croisons, même en ville, des vélos chargés d’une grosse botte de ce « foin », pour les chèvres, les moutons et même les bœufs dans les concessions.

Je passe sur les multiples pages pratiques consacrées à la culture (Une devinette : Où se trouvent les gousses de cacahuètes quand on va les récolter ?).

Les surfaces sont bien sûr assez réduites, quelques ares, l’arachide pousse bien en culture associée avec du mil, dont elle ne réduit guère le rendement.


La moitié du travail reste à faire après la récolte. Pour 1 000 m², les temps de travaux ont été calculés sur la ferme expérimentale du Village de l’amitié à Mokolo. De la préparation du sol à la récolte en gousse : environ 280 h. L’ouverture des gousses : 270 h. On constate donc que sur un total de 550 h de travail, 49 % sont consacrées au décorticage ! C’est un travail que l’on fait en famille, souvent le soir, et l’on ne compte pas son temps ! Seconde devinette (plus facile) : Combien de temps faudrait-il passer au décorticage manuel si une famille cultivait un ha d’arachide ?


Toute la récolte est vendue décortiquée, le plus souvent en petites quantités à la fois. Pour se rendre au marché local on se déplace à pied, en vélo, en moto, avec l’âne… avec des bassines ou des petits sacs.

Là des marchands remplissent leurs sacs, ils ont souvent un petit entrepôt de stockage en bordure de marché.


Ensuite des petits camions acheminent cahin-caha cette denrée jusqu’en bordure d’un axe goudronné.

Enfin la marchandise quittera la région dans d’énormes semi-remorques qui rejoindront le port de Douala, à 1000 km tout au sud. On dit que là-bas les principaux acheteurs sont les Gabonais.

A mon avis, quelques bateaux doivent sûrement mettre le cap vers l’Europe, foi de cacahuètes !

 

Pour les devinettes :

1. Je n’ai pas de photo d’arachide dans les champs car ce n’est pas la saison. La plante ressemble assez à un pied de haricot, mais, bizarrement, l’ovaire fécondé descend en terre et les gousses se forment et murissent à une profondeur de 3 à 5 cm dans le sol.

2. Vous n'êtes pas sûr, cherchez encore… même Mamoudou aurait donné la réponse exacte ! (voir le billet : Comment j’ai quitté l’école).

Comment j’ai quitté l’école !

« Allez, raconte, oui raconte. ». Au Bar des amis les copains attablés sont impatients de la bonne histoire qu’ils ont pourtant déjà entendue cent fois. Nous sommes 6 coopérants DCC à être reçus à Ngong par le club des vétérans. Notre introducteur est Baudoin, volontaire en poste ici depuis plus d’un an, il apparaît parfaitement intégré à ce groupe de sportifs, dont aucun ne louperait cette 3ème mi-temps autour d’une bière.

Depuis notre arrivée, une musique, rythmée et lancinante à la fois, s’échappe d’un baffle posé sur le muret. Elle est suspendue pour les discours d’usage. Un délégué du maire de la commune vient de s’intercaler sur un banc sous l’appentis. Le président du club lui explique qui nous sommes. L’élu dit son plaisir de nous accueillir dans sa ville. Le chargé de mission de la DCC, souligne que les uns et les autres peuvent retirer beaucoup de cet échange de culture. Applaudissements et redémarrage du CD.

Les convives se balancent en cadence et fredonnent le chant : « Tu étais sous mon toit, mais tu as quitté mon toit… Alors je dis vas-t-en, vas-t-en. Je n’en peux plus, peux-plus. Tu m’as déçu, déçu… »

Cependant des voix s’élèvent : « Mamoudou, comment t’as laissé l’école ? » Et tous de reprendre : « Oui, Mamoudou, raconte comment ça s’est passé.»(1)


Juste ce qu’il faut de faux-fuyant, puis Mamoudou se lève nonchalamment. Le silence se fait. Il passe ses mains sur son ventre arrondi « J’ai un ventre bien plein, mais ma tête l’est beaucoup moins, je vais vous dire pourquoi : » (2)

En ce temps-là, je fréquentais l’école normalement. J’avais ma place sur un banc de la classe. Un jour, en géographie, la maîtresse a posé une question : « Qui a été le premier à faire le tour du monde ? »

Tous les bons élèves, ceux qui sont devant, ont levé le doigt : « Moi madame ; moi, madame. » Mais la maîtresse ne les a pas interrogés. Elle a pointé sa main vers le fond de la classe : « Toi. »

Moi, je discutais tranquillement avec mes camarades. J’ai regardé derrière. Il y avait encore une dernière rangée, celle de ceux qui s’appuient contre le mur, aucun d’eux n’avaient le doigt levé.

La maîtresse s’est approchée : « Toi. » Elle me pointait. J’ai regardé tout autour, personne n’avait de doigt levé, seulement les bons élèves, ceux qui sont tout devant.

« J’ai dit toi. »

« Moi ? ? Mais madame je n’ai pas levé le doigt. Il y a 113 élèves dans la classe, ceux de devant lèvent tous leur doigt, c’est eux qu’il faut interroger. »

Elle continuait à me « pointer », à m’« indexer ».

« Elle le pointait, lui ! » S’esclaffe une de ses fans. « Elle l’indexait ! »

« Je n’ai pas levé le doigt, madame… je ne sais même pas la question que vous avez posée »

« Qui a été le premier à faire le tour du monde ? »

« Mais regardez, madame, tous les bons élèves veulent répondre… Moi j’ai pas levé le doigt ».

« Il n’a pas levé le doigt ! » Reprend son admiratrice.

« J’ai dit toi. »

Alors, je me suis levé, j’ai mis mon sac en bandoulière et je suis rentré chez moi.

C’est comme ça que j’ai quitté l’école, définitivement !


 (1) Pour les initiés, nous précisons que cette sollicitation nous a aussitôt transportés dans l’ambiance qui précède l’histoire de la « D’gépe » (guêpe en gallo) si souvent réclamée à Dominique par sa famille et ses amis.
(2) Ici, il faudrait rehausser notre récit du superbe accent camerounais, et imaginer cette prose avec toute la saveur de ses répétitions progressives qui font durer la narration.

Villa rosa

« C’est une maison rose… » (air connu). Oui je sais, la demeure de Maxime Le Forestier était plutôt de la couleur du ciel : « C’est une maison bleue, adossée à la colline, on y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clé. ». Pourquoi cet air me trotte-il dans la tête à l’approche de notre nouvelle maison alors qu’elle n’a pratiquement aucun point de ressemblance avec celle du chanteur de San-Fransisco ? Préservons le mystère des associations d’idées.

Depuis début février, nous voici donc entrés dans notre home. Quelques bonnes journées d’aménagement ont été nécessaires. Cela explique notre « silence blog » depuis près de 3 semaines (avec en plus des activités « professionnelles » qui s’intensifient quelque peu, comme il se doit).

La Villa rosa est bien connue dans le quartier Djarengol. Jusqu’en décembre 2009 ce lieu servait de cybercafé. Son grand mur d’enceinte vient de recevoir une nouvelle couche de rose flashy !

Heureusement, c’est un bleu tendre qui a prévalu pour la plupart des autres faces intérieures et extérieures. Nous aimons bien.

Arrosage et décapage général des fenêtres et du sol, rideaux ici, petits meubles là, tournevis par-ci, lubrification par-là, petit à petit la grande maison poussiéreuse devient un chez-nous.

C’est le CDD qui loue cette habitation pour nous. Bien que sa dimension soit au-delà de ce que nous aurions souhaité, elle a deux grands avantages : primo, elle est tout proche de nos lieux habituels de travail ; secundo, de hauts murs la protègent d’intrusions malveillantes. Cette protection n’est pas spécialement à notre goût mais il semble bien que ce soit simplement du bon sens.

Cela ne nous empêche pas d’entrouvrir la grande porte, aux voisins et enfants du quartier qui viennent se régaler de biscuits offerts par la « nasaara » (la blanche).

Encore un avantage, et non des moindres, nous avons une chambre totalement disponible pour les amis, alors si un taxi brousse (ou même un avion parfois) vous amène jusqu’à Maroua n’hésitez pas à solliciter un petit coin de natte !

Un nouveau mayo.

Nous souffrons trop du manque d’eau, nous voulons construire des biefs en pierres calées. La demande des habitants pour un accompagnement est sans équivoque. Pourtant, le staff « développement rural » du CDD, 3 équipes de 2 animateurs, a décidé de tenir là une première réunion de type « Approche village » (voir le billet du 7 janvier 2010).

Après quelques km de bitume, nous empruntons une assez bonne piste, puis nous abordons des sentiers pédestres où le chauffeur du 4X4 hésite à s’engager ; subitement j’entends « Là, arrête-toi là », c’est au beau milieu d’un champ ! Nous ferons un bon km à pied pour rejoindre la première habitation du village.

Il fait frisquet, le vent d’harmattan souffle du Nord. Un crieur lance des appels au loin.

On ouvre les ventaux de tôles de la chapelle protestante. D’ici une heure, arrivant par petits groupes, une soixantaine de personnes y auront pris place. Mais sans attendre, Salomon a débuté la carte des ressources du village. On représente les « routes » et les cinq quartiers de ce plateau de piedmont. Pour chacun d’eux, puits, forage, école, chapelle, grenier communautaire… sont recensés.

Quatre quartiers ont un puits ou un forage mais ils tarissent vite. Il faudrait retenir l’eau qui passe rapidement dans le « mayo ». Ce ruisseau-torrent laisse l’eau s’écouler à toute vitesse et se retrouve à sec dès la fin de la saison des pluies. En construisant des biefs, petits barrages en travers du mayo, l’eau a le temps de s’infiltrer dans le sol et d’alimenter la nappe phréatique. Il faut en faire suffisamment, chaque 50 mètres, pour une infiltration maximale. Depuis plus de 20 ans, des milliers de biefs ont été construits dans tous les monts Mandara. Pour garantir leur efficacité, leur mise en œuvre doit se faire selon des techniques éprouvées, la plupart du temps à l’aide de pierres calées les unes sur les autres, sans ciment. Un organisme, proche du CDD, s’est spécialisé dans le conseil et le suivi des travaux. Ici, il n’y a que deux biefs, leur efficacité est insuffisante pour les puits.

Les habitants sont prêts à s’investir dans la construction d’une vingtaine de biefs en pierres calées

Et voilà que le CDD souhaite les emmener sur d’autres terrains ! Quelles sont les causes de la situation actuelle ? Qu’est-ce que le développement pour vous ? Si les choses se poursuivent comme maintenant, qu’est-ce qui adviendra pour votre village ? Dur, dur !

Commence alors une intense cogitation pour la recherche de causes et de solutions. Nous sommes plus nombreux, nous avons plus d’animaux, il pleut moins qu’avant et c’est mal réparti, nous coupons le bois, c’est Dieu qui décide, la roche est trop dure elle ne retient pas l’eau…

Je ne vous refais pas toute la réunion (pourtant fort intéressante) et j’en viens à ce que j’ai découvert en même temps que beaucoup de villageois, me semble-t-il.


Autrefois, nous avions de l’eau sans discontinuer dans nos puits traditionnels. Pourtant nous n’avions pas de bief… et il n’y avait même pas de mayo à traverser le village ! Ce mayo est nouveau.

Ce mayo est apparu parce que le ruissellement est accéléré. Pour cultiver nous avons supprimé la brousse et les arbres, pour faciliter nos semis de mil nous brûlons les chaumes, les végétaux décomposés ne retournent plus au sol, la terre devient légère et des ravines se forment rapidement même quand la pente est faible.

Alors, c’est décidé, dès cette année nous allons construire 20 biefs, recreuser 2 puits, planter des arbres ; mais il nous faudra aussi travailler autrement. Sur nos terrains assez plats nous ne cultivions pas en terrasses, il va falloir le faire, et apporter du fumier, si nous voulons le développement du village…



 

Soigner par épisode

La vie continue...

Il nous semble entendre Arnaud(*) nous susurrer : Regardez, les vivants ont encore besoin de vous, allez, retournez maintenant prendre soin d’eux.

Alors allons-y, allons « soigner par épisode » selon la formule des centres de soins du diocèse de Maroua. Quelle drôle d’idée ces soins par épisode ! Ne faudrait-il soigner que de temps en temps ? Ne soigner que par intervalle ?

Mais non, vous l’avez deviné : il s’agit de l’épisode d’une maladie. Evident n’est-ce pas ? Pas si sûr ; tentons d’expliquer un peu.

Dans les 12 centres de soins catholiques du diocèse il est établi qu’un malade n’a pas à repayer le traitement tant qu’il demeure dans le même épisode d’une maladie. Lors de la première consultation, l’infirmier jauge la gravité de la pathologie et note sur le carnet du patient un prix forfaitaire de médicaments. Première difficulté pour notre esprit cartésien, le diagnostic est-il fiable ? …

Est-ce primordial de le savoir ; c’est un forfait n’est-ce pas ? Et puis, c’est pour les médicaments ; et puis, il est fort probable que le malade n’ait pas suffisamment d’argent sur lui pour les payer totalement ce même jour ; et puis, il n’est pas tenu de se les procurer sur place…

Donc, le plus souvent, ces médicaments seront délivrés progressivement, sur plusieurs jours, au prorata de la somme disponible dans la poche du malade ou d’un proche… et le forfait indiqué ne sera pas nécessairement atteint si la guérison survient rapidement. Mais si l’épisode maladif se poursuit, alors les médicaments continueront à être délivrés par le dispensaire, sans que le coût demandé au malade ne dépasse le montant initial noté par l’infirmier consultant (sauf, toutefois, si une nouvelle maladie est découverte par un examen de laboratoire).


Jusqu’ici j’ai surtout évoqué les médicaments, vous avez donc compris que le centre de soins fait office de pharmacie, les comprimés y étant généralement délivrés à l’unité. Mais les consultations, me direz-vous, doit-on payer à chaque visite ?

Hé bien figurez-vous que dans les centres de soins catholiques de ce diocèse, la question ne se pose même pas. L’option y a été prise que toute personne malade puisse bénéficier au moins d’un diagnostic du mal qui la frappe ; alors, la consultation y est toujours gratuite.

 

(*) Voir le billet : Nono est parti

Nono est parti.

Partir, il nous faut tous partir !

Mais pas comme ça, pas si vite, pas sans se préparer, pas en nous laissant désemparés, pas à cet âge, pas en abandonnant deux jeunes enfants, une épouse, une mère, un père, un frère, une sœur, des tantes, des oncles, des cousines, des cousins, des amis, des connaissances…

Dimanche, à 10 h 15, un SMS nous apprend la terrible nouvelle : Nono est mort, écrasé sous un arbre

Maryvonne s’écroule. Non, ce n’est pas possible. Pas lui.

 

Pourquoi vous associer à cette souffrance, amis lecteurs ? Peut-être parce qu’une douleur partagée est aussi allégée ; qui d’entre-nous ne l’a déjà expérimenté ? Peut-être aussi, parce que nous avons pris le parti de vous associer, durant cette année, à quelques moments forts de nos vies ; de vous unir à ce que cette vie loin de l’Europe nous apporte de joies, d’étonnement, de découvertes… et de tourments aussi. Vous êtes plusieurs à nous écrire que cela vous touche, et nous ne pouvons répondre à chacun…

Alors, ce journal en ligne vous crie la nouvelle qui nous frappe au cœur : Arnaud a quitté notre monde, et nous sommes loin, très loin de nos proches…

 

Arnaud était le gai luron de la famille, conteur inégalable de ses aventures… Le jour de son anniversaire, 36 ans, dans la campagne qu’il aimait, de sales ronces l’ont empêché de se retirer à temps de l’arbre qu’on abattait. Hémorragie interne, son souffle s’est éteint, en présence de son père, son frère et son beau-frère.

 

Pour Maryvonne, Nono était non seulement son filleul mais aussi comme son « premier fils ». Bébé, elle l’avait pris en particulière affection quand sa mère était devenue jeune veuve. Ces liens se sont maintenus par la suite, même quand Arnaud a bénéficié d’une immense complicité avec son nouveau papa.

 

Permettez-nous de vous confier le message que Maryvonne a composé pour sa cérémonie d’enterrement.

Mon Nono

Samedi après-midi, jour de ton anniversaire, en me promenant dans la brousse au Cameroun, je pensais à toi et à Marie-Claire ta maman…  au plaisir que j’aurai à vous faire découvrir ces paysages Africains au mois d’octobre prochain.

Toi si curieux de tout ce qui intéresse l’humain et tout particulièrement de ce que nous vivons ici.

Pendant ce temps là, dans ta belle vallée, tu nous quittais définitivement.

Comment y croire ?

Bien que des milliers de kilomètres nous séparent, je voudrais te dire Au-revoir.

Je veux croire que tout l’amour, l’amitié et la joie que tu as su nous donner ne sont pas perdus à jamais.

Nous n’oublierons pas le Nono qui nous faisait rire, qui était toujours là quand quelqu’un avait de la peine.

Désormais, tu seras avec nous dans une nouvelle présence.

Prends par la main ta famille et accompagne chacun de nous sur le dur chemin de la séparation

Ta marraine.

Maroua city

In English of course ! Hé oui, le Cameroun est officiellement bilingue. Il y aurait bien 250 langues vernaculaires au Cameroun, pourtant les 2 langues officielles sont le français et l’anglais(*).

Maroua, ville de province, abrite une foule de délégations de Ministères et Services de toutes sortes, toujours identifiés dans ces deux langages. Dix fois par km, on se trouve face à l’une de ces pancartes de bord de route annonçant consciencieusement le « parrainage » d’un service officiel.

Nous sommes en pleine ville mais le cadre est presque bucolique. Maroua ne ressemble guère à nos cités bétonnées. Elle est sillonnée de larges voies, sableuses ou bitumées, bordées de grands arbres. Leurs vastes ramures protègent les passants des ardeurs du soleil. D’amples espaces, devenant vite terrains de jeux, s’intercalent entre les constructions. Poules, moutons, chèvres, petits troupeaux de bovins font aussi partie du paysage.

Bien sûr le centre ville, avec son grand marché et sa foule bigarrée, ressemble assez aux clichés habituels des villes africaines. Pour aujourd’hui, ce qui me frappe à Maroua ce sont ces espaces apparemment libres, mais on nous dit qu’ils deviendront intensément cultivés dès les premières pluies de juin.

La ville est traversée sur tout son long (10 km ?) par deux larges « mayos » sableux. Ce type de rivière coule uniquement durant la saison des pluies. En saison sèche on en extrait du sable de construction et, ici ou là, dans quelques trous des gens trouvent le moyen de laver du linge !

Ainsi l’eau ne serait pas si loin au-dessous, comme l’attestent les puits répartis dans les quartiers. Le problème est de la conserver en quantité suffisante dans le sous sol durant les 9 à 10 mois de sécheresse. Avec une population s’agrandissant chaque année, beaucoup disent que le niveau des puits baisse sérieusement à partir de février.


Allez, encore une particularité de cette ville étonnante : on n’y connait pas d’embouteillage ; les voitures y sont en minorité pour le moment. Voici quelques années, pour leurs déplacements en ville, les habitants ont réfuté les voitures-taxis pour choisir le système des motos-taxis. Ces 2 roues sont omniprésents, ils vous prennent et vous déposent à l’endroit qui vous convient et ne sont pas trop onéreux (0,15 euro pour 2 km). Mais, outre les accidents assez fréquents, ils ont l’inconvénient de répandre généreusement leurs gaz d’échappement.


 

 

(*) En réalité les anglophones sont très minoritaires ici, et le foufouldé (langue des commerçants Peuls) semble plus répandu que le français dans les échanges courants.

Allons devant, avançons.

« Des éleveurs de porcs voudraient s’organiser pour la commercialisation. Ils ont demandé qu’un responsable du CDD vienne les aider à s’organiser ». C’est sur ces indications que je reprends la route de Mokolo pour accompagner Joseph(*). Après le bitume, bifurcation vers Koza, 20 km de mauvaise piste (très mauvaise, pas si mauvaise, les avis divergent, mais le qualificatif demeure).

L’agglomération a l’allure d’un petit chef-lieu, avec, comme souvent ici, de grands espaces entre les groupes de bâtisses. La réunion va se tenir dans la grande salle de la mairie, car l’un des responsables est conseiller municipal.

D’emblée le bureau précise le contexte, nous sommes la Fédération « Nga Dakona Ama », expression Mafa qui signifie : Allons devant, avançons. Nous regroupons seize Unions de producteurs, chacune de ces unions étant elle-même constituée de groupes divers(**). A raison d’1 à 6 délégués par union, l’assemblée atteint une bonne soixantaine de participants, hommes et femmes à égalité, certains sont membres de plusieurs unions. Je découvre alors que les producteurs de porcs ne sont pas seuls. Les groupements semblent être constitués par production : soja, oignons, céréales, petits ruminants, porcs, bovins, culture communautaire… et aussi : reboisement, magasin de stockage, artisanat…

Dans la discussion, trois productions sont mises en avant : le soja, les petits ruminants et l’élevage de porcs. Joseph propose la constitution de sous-groupes pour affiner la réflexion en 2 étapes.

1. Lister tous les éléments mis en œuvre pour chacune de ces « filières », depuis le choix de la production jusqu’à sa commercialisation et pointer les problèmes rencontrés.

2. Proposer des améliorations.

Un animateur suscite et canalise les discussions dans chaque sous-groupe.

Pause ; à la dernière minute le maire a demandé à disposer de la salle pour y célébrer un mariage. Chacun en profite pour acheter quelques beignets à 2 petites marchandes de passage.

La mise en commun est rondement conduite, les animateurs s’expriment en français, le délégué (appelé président dans nos assos) continue à tout traduire. Pour chacune des filières, je m’empresse de noter de nombreux éléments de gestion courante. Pour vous situer, la base de surface cultivable dans cette montagne surpeuplée est le « quart » (1/4 d’ha). Beaucoup de familles disposent d’à peine un ha pour faire vivre 6 à 10 personnes.

A la fin, Joseph récapitule les données et les classe en 3 grands types : techniques de production, stockage, commercialisation. Pour sa part, il suggère essentiellement la mise en place de formations aux techniques de production. Les participants imaginent des solutions pour le stockage du soja, des abris de la Sodécoton seraient disponibles. Quant à l’organisation nécessaire pour améliorer les achats et les ventes, les réponses sont le plus souvent renvoyées à « la fédération » !


Placé en observateur depuis plus de cinq heures, je suis maintenant invité à m’exprimer sur l’organisation des agriculteurs en France. Je leur fait part de mon expérience d’adolescent, lorsqu’avec un petit tracteur je parcourais des kilomètres dans le froid vif pour aller chercher, dans un wagon, l’engrais acheter en gros par une trentaine d’agriculteurs qui s’étaient regroupés pour un meilleur prix d’achat. L’organisation que je vois se mettre en place aujourd’hui m’a ramené à ces souvenirs. Je leur dit aussi que depuis cette époque nos fédérations de groupements se sont elles-mêmes fédérées, puis confédérées, puis… ont trop souvent échappé à leurs initiateurs, même si le mot « mutuelle » demeure dans leur appellation ! Je les invite à demeurer lucides pour conserver la maîtrise de leurs organisations. Je relate enfin qu’il existe en Europe des agriculteurs qui produisent essentiellement à partir des ressources locales. Ils limitent au plus juste leurs achats d’engrais, de traitements, de nourriture pour animaux… et ils gagnent leur vie.

 

 

(*) A propos des personnes citées. Dans mes billets, j’ai l’objectif de me tenir au plus près des faits que j’observe, cependant j’ai bien conscience que mon expression est partielle et subjective. Pour que mes réflexions ne mettent personne dans l’embarras, je prends le parti de modifier les prénoms.
(**) Ces groupes sont des GIC (Groupe d’initiative commune), structure juridique se situant apparemment entre notre association loi 1901 et une SARL ; j’en reparlerai probablement.

Un jour ordinaire

Le temps ? Aurions-nous déjà oublié nos sempiternelles préoccupations d’Européens ! Du temps qui passe (trop vite), du temps qu’il fait (trop froid) du temps à venir (tout programmé) ?

Heureusement, dans un commentaire sur ce blog, voilà que Louis-Marie nous rappelle à un peu de réalité : Parlez-nous de votre vie quotidienne ? La juste réponse serait : Eh bien on vit, tout simplement on est là et on vit. Mais nous sentons poindre une pincée d’impatience : Et encore ?

Alors OK, voici quelques éléments de vie ordinaire...

Le temps qu’il fait. Ciel sans nuage, bleu vif, virant parfois au grisâtre avec un soleil un peu masqué. Températures évoluant au métronome ; ces jours-ci : 25° le matin et 35° l’après-midi. Au jour de l’an, nous avions 20° et 30° ; on nous promet 30° et 40° pour début février. Et ça ne sera pas fini !

La santé. Vraiment rien à signaler. Actuellement nos organismes supportent bien la chaleur ; celle de l’AM nous fatigue un peu, mais nous récupérons la nuit, et les matins nous trouvent plutôt dispos.

Il faut dire aussi que nos menus sont de type européen (pas encore de boule de mil) avec des fruits locaux à chaque repas, papaye à volonté.

Photo : 20100103-Maroua-Evêché-AccueilChambres-600px

Notre logement. Camping amélioré. Nous occupons une chambre dans la structure d’accueil de l’évêché. Plutôt confortable par certains côtés, aucun souci d’intendance, couverts assurés. Cependant, envie croissante de disposer d’un chez nous. Une maison toute proche nous est promise, mais elle a besoin d’un peu de réfection… et nous n’apercevons guère d’ouvriers s’y empresser !

Nos lieux de travail. Pour le moment, à part quelques escapades, je me tiens principalement dans l’enceinte de la mission catholique. Là se trouve le siège du CDD (dont les services occupent trois petits bâtiments) et d’autres instances du diocèse : l’accueil des passagers, la « procure » (services administratif et financier), un atelier de mécanique…


Quant à moi, Maryvonne, je suis affectée au centre de santé du quartier de Domayo  Situé à environ 3 km de l’évêché, c’est un vrai plaisir de m’y rendre à pied le matin, accompagnée par les « Bonjour nasaara » (Bonjour la blanche) des enfants qui vont à l’école. Ici pas de « pédibus » mais une ribambelle de gamins vêtus de la tenue de leur école. De temps en temps, certains - plus fortunés ou habitant loin ? - se retrouvent sur la moto-taxi (2 devant le chauffeur et 3 derrière). Les malades arrivent au Centre à 7h30, je rejoins vite l’équipe qui m’a très bien accueillie. J’espère que je serai à la hauteur de leurs attentes ! Pour l’instant j’observe.

Les horaires. 7h petit déjeuner, 7h30 à 12h30 travail, 12h30 repas, 13h30 sieste, 15h à 18h travail, 19h30 diner. Mais, rassurez-vous, le vécu est parfois assez loin de cette rigueur affichée…

Les nuits sont scandées de repères : 4h, appel du muezzin de la mosquée voisine ; 5h, chant du coq annonçant le lever du soleil ; 5h30, carillon du grand séminaire tout proche ; 6h15, petite cloche pour la messe dans le « boukarou » de l’évêché. Et déjà le petit déjeuner est servi.

Les week-ends. Flânerie dans les marchés, découverte de Maroua (ville très agréable), lessive (vite séchée), messe du dimanche (2 bonnes heures !), messagerie électronique et blog. Et puis aussi repos, car qui veut aller loin ménage sa monture, n’est-ce pas.

A bientôt...

Mil de karal

Voilà une expression qui fleure bon les tropiques : mil de karal.

Gonzague me reprend vite : c’est du sorgho(*), tout le mil ici est du sorgho, sauf le mil pénicilaire traditionnellement cultivé une année sur deux dans la montagne. Soutenu par son compère Jean-Marie (voir le billet La belle étoile de Jean-Marie), il entreprend mon initiation et répond avec patience à mes questions saugrenues :

Karal ? Non ce n’est pas une variété, c’est le nom du type de terre argileuse portant cette culture.

Mil de contre-saison ? Y aurait-il donc une culture de saison qui l’aurait précédée ? Non, non c’est la seule culture annuelle sur ce sol. Simplement il est repiqué à la fin de la saison des pluies

Repiqué ? Oui, avec une barre à mine.

Une barre à mine ! ! ? Bien sûr, on fait un trou de 30 cm de profondeur. Certains utilisent encore le boukarou, un pieu ferré à l’extrémité.

30 cm ! ! Oui c’est ça, en octobre le plant élevé en pépinière atteint parfois 50 centimètres. On l’enfonce d’une vingtaine de cm et on verse un peu d’eau dans le trou.

Mais les surfaces sont immenses dans ces vallées...

C’est vrai, mais généralement chacun n'y cultive que quelques ares, qu'il sait reconnaitre. Beaucoup de familles louent un lopin, elles emploient aussi des saisonniers venant de la montagne. La préparation se fait durant la saison des pluies, on délimite des petits carrés de terre avec des diguettes pour retenir l’eau. Autrefois on coupait l’herbe et on y mettait le feu avant de repiquer le mil, maintenant l’herbe est éliminée par des épandages de Roundup.

A la récolte, en février, ce mil de karal rejoint dans les greniers le mil de pluie (ayant poussé de juin à août). Si les deux récoltes ont été trop faibles la « soudure » sera terrible. Cette « période de soudure » va de mai à septembre, c'est-à-dire depuis la sortie des semences du grenier jusqu’à la récolte du mil de pluie. En 1998, l’ensemble de la région a subi une disette, mais les conséquences ont été particulièrement dramatiques dans la montagne où le mil de karal n’existe pas. Depuis, le CDD a vivement encouragé la mise en place de greniers communautaires où des réserves de grains peuvent être constituées. On en reparlera...

(*) Sorgho et mil : pour faire simple, le sorgho pousse sur une seule tige, comme le maïs, tandis que le mil peut taller, la pousse initiale peut se subdiviser en plusieurs tiges, comme le blé.

Approche village : voir, réfléchir, agir

Jeudi 7 janvier 2010, je participe en observateur à une importante réunion de travail de l’équipe d’animation du CDD(*). Il s’agit de lancer l’année civile et de débuter la mise en œuvre du dixième plan cadre du CDD adopté au cours de l’année 2009 (plan triennal).

La rencontre rassemble une dizaine de personnes constituant l’équipe animatrice du CDD  (5 travaillant habituellement au siège, 5 autres personnes venant de divers endroits du diocèse)

De l’ensemble de la journée, je retiens les actifs échanges sur l’option d’animation à prendre pour 2010 : l’équipe d’animation doit-elle intervenir dans de nombreux villages ou bien concentrer son action sur quelques communautés villageoises apparemment plus impliquées dans une démarche de développement ? Au final, c’est plutôt cette seconde option qui est retenue car le nouveau plan cadre du CDD préconise une démarche volontariste de type « APPROCHE VILLAGE ».

Le secrétaire général argumente qu’il arrive trop souvent que le CDD soit considéré par les villageois comme une simple source de financement de besoins ponctuels (un puits, une école, un bief… parfois pour une seule partie du village). Fidèle à sa philosophie d’autopromotion, le CDD aimerait que toute réalisation pratique soit intégrée dans une démarche plus vaste, visant un développement cohérent de l’ensemble du village. Il s’agit donc pour l’équipe d’animation d’interroger la communauté villageoise : Qu’est-ce que le développement pour vous ? Que souhaitez-vous pour votre village dans son ensemble ? Pas seulement pour l’une de ses facettes, l’eau par exemple.

Ainsi, pour se donner les moyens de réussir cette option, le CDD préfère concentrer ses actions d’animation sur quelques villages. Dans une démarche expérimentale il va falloir élaborer des outils d’animation. L’un deux consiste à dresser avec les villageois la carte des ressources. Sur un support bien visible sont notés, au fur et à mesure de leur évocation, les emplacements des ressources présentes au village : puits ou autres points d’eau, école, centre de santé, quartiers (les villages sont généralement très étendus, sans centre), grenier communautaire, etc. Ce premier temps consiste donc à VOIR.


Il s’agit maintenant de REFLECHIR en abordant les causes et les conséquences de la situation actuelle : les puits sont tous dans le même quartier, le grenier communautaire est dans la cour du chef… Pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Que se passera-t-il pour le village si ça continue ainsi ?

Alors peut-on AGIR ? Bien sûr certains éléments nous dépassent, mais sur d’autres points nous pouvons commencer une action. Pour prévenir une famine toujours possible (celle de 1998 est toujours dans les mémoires), nous pouvons organiser un second grenier communautaire, pour augmenter les rendements nous pouvons mettre en place du compostage de végétaux…

 
(*) CDD = Comité diocésain de développement. Voir sa rapide présentation radiophonique dans le billet : Le CDD anime le milieu rural. Dans des billets à venir je ne manquerai pas de vous en dire plus.

La belle étoile de Jean-Marie

Nous avions découvert son existence sur Internet www.marouapromo.org Alors nous avons sollicité Jean-Marie pour nous y conduire. Mais d’abord, en ce jour de l’an, escale au cimetière de la mission. Une dizaine de tombes sobres dans l’enceinte de l’évêché. De simples passants et des « fondateurs » y reposent. Le frère Yves Lescanne est l’initiateur de la « Belle-Etoile », un de ses protégés l’a massacré en 2002, pour une poignée de francs.

A l’autre bout de la ville, déjà bien au milieu des champs de mil, un enclos d’un demi-hectare, une cour poussiéreuse, 3 petits bâtiments, une cuisine en extérieur, un puits à l’opposé. Ibrahim et Christine ainsi que Joël et Doris nous accueillent chaleureusement. Ce sont les 2 jeunes couples qui encadrent une vingtaine d’enfants de 4 à 16 ans. Une vingtaine, car les conditions d’accueil dans l’enceinte de la Belle-Etoile sont à dimension variable. Les pensionnaires ont en commun d’être temporairement en danger s’ils restaient dans leur milieu antérieur, le plus souvent la rue.

Ayant fini de se laver (ou de jouer !) autour du puits les enfants arrivent progressivement pour exprimer une « Bonne année mon père » et agrandir le cercle que nous formons. Jean-Marie s’enquièrent des absents, plusieurs ayant rejoint leurs familles pour les fêtes. Nous faisons en sorte qu’ils conservent autant de liens que possible avec leurs proches, nous confie-t-il. Echange de friandises, pop-corn et bonbons, la quiétude se lit sur les visages. Bientôt tout le monde est là

On se lève pour le tour de la propriété. Autour du puits un espace de jardinage, chaque enfant est responsable d’un carré (2, 3 m²) qu’il doit planter et arroser ; mais la saison n’est pas propice à la production. Poteaux de buts plantés à chaque extrémité de la cour, Ibrahim évoque les nombreuses parties de foot. Un maître, payé par l’association, vient chaque jour pour une classe multi-niveaux. L’école, simple appentis, abrite quelques bancs démantibulés, Jean-Marie rouspète un peu à la vue de ces bancs dont il exige la réparation au plus vite, par un menuisier au besoin.

L’habitation rudimentaire comporte 5 chambres contigües, un couple à chaque bout et les 3 pièces centrales pour les enfants et les jeunes. Des nattes au sol, une étagère brinquebalante à partager entre tous. Sur chaque porte est placardé le règlement intérieur rédigé par le frère Yves. Article premier : A la Belle-Etoile, aucun enfant n’a le droit de rester affamé…

Photo : La Belle-Etoile sur le site MPH

 

Jean-Marie Pouymiroo est prêtre de la Mission de France. Il travaille en Afrique depuis plus de 40 ans, tout comme son collègue le père Gonzague Dambricourt. Tous deux ont consacré leur vie à la promotion humaine au Cameroun. Depuis notre arrivée nous partageons leurs repas, une chance pour nous de nous enrichir un peu de leur longue expérience… Il est certain que des occasions nous seront bientôt offertes de vous en dire plus sur eux.

L’envol vers Mokolo

Allo… Oui chef... En fait, je m’envole vers Mokolo, avec « le couple ».Au volant de son 4X4 Toyota, Bello vient de répondre à un appel de son directeur, qui semblait vouloir lui confier une autre tâche. Mais, tout à l’heure, en nous promenant dans le quartier, nous l’avons salué. Il nous a appris que les maçons de Mokolo sont à court de ciment ; ils l’ont appelé et il doit donc aller les livrer.

Après 3 jours de ville, nous commençons à ressentir l’appel de la brousse. Le temps de charger une tonne de ciment dans le pick-up et nous voilà bien calés à trois dans la cabine.

La livraison doit se faire dans la montagne, quinze km de piste rocailleuse après les 80 km de bitume séparant Maroua de Mokolo. Route plutôt en bon état, parsemée seulement de quelques nids de poule, devenant ici et là des « nids d’autruche », dixit Bello.

Longue remontée de la vallée de la Tsanaga. D’abord de vastes étendues planes et vertes portant du mil de contre-saison (“karal”),

Photo : Paysage de la sortie Ouest de Maroua

 puis de petites plantations de coton en cours de récolte, quelques troupeaux de bovins apparaissent, marchant vers on ne sait où, et voici qu’émergent les premiers amoncellements de rochers. La route s’élève « en serpent », les concessions de toits ronds et pointus semblent se multiplier au milieu d’amas de roches. Seuls les arbres, assez nombreux, verdissent le paysage.

Nous continuons à nous élever, en slalom sur la piste à 10, 15 km/h, Bello nous confie son rêve d’accompagner un jour le « Dakar » !

Le chantier : la construction d’un bief, une digue de cailloux fortement cimentés, bien ancrée au fond d’un torrent aujourd’hui rempli de sable sec. A la saison des pluies elle doit empêcher l’eau de s’enfuir trop vite. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit bien haute, 50 cm au-dessus de la surface actuelle suffisent. L’eau sera retenue le temps qu’elle s’infiltre dans la nappe phréatique. Les arbres en profiteront et les puits tiendront plus longtemps. L’opération est répétée de multiples fois à quelques centaines de mètres d’intervalle.

Photo : Radier en construction, avec 20 travailleurs

Au moins 20 personnes sont à pied d’œuvre sous le soleil. Ce sont les paysans du secteur encadrés par 3 techniciens. C’est la population qui a demandé cette construction, résultat d’un long travail de sensibilisation conduit par le CDD. Aujourd’hui, les frais engagés sont accompagnés par une subvention de l’Union européenne, dans le cadre d’une lutte contre l’extension du sahel.

Partir !

Stage départ  

Volontaires DCC (Délégation catholique pour la coopération) novembre 2009


Super stage à Chevilly-Larue, pour 56 partants  vers les 4 coins de la planète...


Dix jours intenses pour faire le plein avant le grand saut.
Cure de rajeunissement pour nous deux, la moyenne d'âge étant la trentaine !
Stage aux multiples facettes : approche des cultures dans lesquelles nous allons être plongé, échange sur les missions qui nous serons confiés, approfondissement personnel pour tenir dans les coups durs, etc, etc.
Plus conscients de ce qui nous attend, nous voilà prêts à partir.

''Le texte Partir nous a touché ; alors nous le proposons à votre propre réflexion''.

        PARTIR...    

''Quand on a décidé de partir,'' il faut faire ses bagages, seller son âne et se mettre en route. La montagne est à peine visible dans le lointain. A l’aube il faut partir...

''C’est un grand départ.'' Il faut dire adieu. A quoi ?

A tout et à rien. A rien, car ce monde que l’on quitte sera toujours là près de nous, en nous, jusqu’à notre dernier souffle, toujours aussi près de nous. Étant chassé et repoussé, il a bien des chances de surgir avec plus de véhémence à l’intérieur de nous même.

A tout, car, en partant à la recherche de l’absolu, nous coupons les ponts avec tout ce qui pourrait nous en détourner.


''La séparation,'' finalement, n’est pas dans l’éloignement mais dans le détachement. Il faut à tout prix empêcher notre personnalité de se replier sur elle-même, de se construire une citadelle.


''Avant de partir,'' il y a quelques coups de hache et de serpe à donner. En tranchant autour de soi, on voit immédiatement que l’on tranche en soi. Mais il ne faut pas attendre d’être détaché de tout et de soi pour partir.


''Qu’emporter avec soi ?'' Tout soi-même et rien de moins. Étrange réponse après avoir dit qu’il faut tout laisser et surtout se laisser soi-même. Et pourtant c’est vrai, il faut s’emporter tout entier. Beaucoup ne partent qu’en apparence. Ils se mettent eux-mêmes en sécurité avant de se mettre en route. Ils se font une personnalité artificielle, ce robot, cette ombre d’eux-mêmes qu’ils envoient. Ils n’entrent jamais vraiment de tout leur être dans l’expérience.


En partant, il faut mettre sur son âne tout ce qu’on possède et partir avec tout ce qu’on est, il faut tout prendre, les grandeurs et les faiblesses, les grandes espérances, les tendances les plus basses et les plus violentes, tout, tout, car tout doit passer par le feu.



D’après un texte du Père RAGUIN «''Chemin de Contemplation'' »

Notre projet vu par Ouest-France

Gabriel et Maryvonne Lucas s'envolent pour le Cameroun

Ouest-France, Séné, mercredi 2 décembre 2009

Bien connus des Sinagots pour leurs engagements respectifs au sein des antennes locales du CCFD et d'Emmaüs, ils s'apprêtent à partir en Afrique, où une mission de coopération les attend. Le 29 décembre, ils s'envoleront pour N'Djamena, la capitale du Tchad, d'où ils rejoindront la région de Maroua, dans le nord du Cameroun. Un projet mûri depuis de nombreuses années...

Depuis quand cette idée vous trotte-t-elle dans la tête ?

Maryvonne : Gaby est déjà parti en coopération en Côte d'Ivoire dans le cadre de l'association des Volontaires du progrès (1). Quant à moi, je suis passionnée par l'Afrique depuis l'âge de 12 ans, suite au passage de missionnaires qui venaient à l'école nous parler de ce continent. Je voulais aider les gens. Nous avons attendu que Gaby soit en retraite pour partir.

Quelles seront vos missions ?

Gabriel : J'assurerai la formation agricole de jeunes couples, envoyés par des communautés villageoises afin de servir de référence pour aider les autres villageois à améliorer leur vie. A une époque où des barrières s'installent entre la France et l'Afrique, j'y vais surtout pour établir des liens afin que l'on se connaisse mieux. Nous partons avec la Délégation catholique pour la coopération (2) et nous serons accueillis, sur place, par le comité diocésain de développement de Maroua, une région très peuplée, mais aussi très pauvre, en raison des problèmes de communication entre le nord et le sud du pays, coupé par une barrière montagneuse.

Maryvonne : Infirmière, je travaillerai au centre de santé et je serai chargée, notamment, de la gestion des médicaments et de l'amélioration du circuit des malades. J'ai envie de rencontrer des gens différents, et partager ma vie avec eux. Nous choisissons d'être bousculés dans notre confort quotidien. Le plus important, pour nous, est de tenir compte du contexte local, des gens, de leur vie, leurs croyances, et apporter des choses en sachant doser, petit à petit, notre intervention professionnelle.

(1) L'association des Volontaires du progrès est désormais opérateur de ministère des Affaires Étrangères et Européennes (MAEE). Sa mission s'intègre à son programme « Solidarité à l'égard des pays en développement ». (2) La DCC, Délégation catholique pour la coopération est un organisme de volontariat de l'Église de France.

  • Merci à Anne Dalmais pour ce petit article-interview qui résume bien notre état d'esprit à la veille du départ.

Soirée de découverte du Nord-Cameroun et d’au-revoir.


Quand nous parlons de notre projet à notre entourage, nous sentons bien que notre démarche interroge, intrigue, étonne… Qu’allez- vous faire là-bas ? Ont-ils besoin de nous ?... Alors pourquoi pas une soirée de découverte du Nord-Cameroun qui serait aussi une façon de dire au revoir.


Malgré un froid vif à l'extérieur, samedi 19 décembre 2009 fut une soirée chaleureuse.

Marie-Annick Daniel revient d’un volontariat de 2 années dans la région de Poli (300 km au sud de Maroua). Avec des photos et un témoignage poignant, venant du cœur, elle a permis aux uns et aux autres d’approcher un peu la difficile vie quotidienne des populations et leurs efforts d’amélioration de leurs conditions de santé.

A l’été 2009, Joël et Michèle Le Gloahec sont allés visiter leur fille Marthe, volontaire du progrès à Maroua. Elle participe à la mise en place d’un tourisme solidaire. Cette région montagneuse est vraiment magnifique et une certaine forme de tourisme peut permettre à la population de mieux vivre. Avis aux adeptes de dépaysement…


Bien sûr, nous avons aussi évoqué ce qui nous attend, mais patience nous en parlerons plus justement quand nous serons sur le terrain…

Un grand merci à chacune et chacun pour les encouragements et l’amitié exprimés

Et puis, à la messe du dimanche matin, sur la demande du père Alberto, nous avons aussi associé la communauté paroissiale à notre prochaine année africaine…

Géographie du Cameroun

Le Cameroun est presque aussi grand que la France.
La moitié de ses 20 millions d'habitants à moins de 20 ans.

Le Cameroun est situé en Afrique centrale, il a une façade Atlantique, une large base dans l'humide forêt équatoriale et monte jusqu'au lac Tchad, zone touchée par la sécheresse,

Quelques mots de présentation du contexte humain et géographique du diocèse de Maroua-Mokolo au Nord-Cameroun
(cliquer pour écouter)

extrait d'une émission RCF du 28-09-2009

Le CDD anime le milieu rural

Rapide présentation du CDD (Comité diocésain de développement) de Maroua. C'est l'organisme qui nous accueille.
(cliquer pour écouter)

extrait d'une émission RCF du 28-09-2009
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Animation du milieu par le CDD de Maroua
(cliquer pour écouter)

extrait d'une émission RCF du 28-09-2009

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La « souveraineté alimentaire » en Afrique ?

Intéressante réflexion d’acteurs de terrain au Cameroun

Deux émissions radio RCF en collaboration avec le CCFD-Terre solidaire

   !* 28 septembre 2009 (52 mn) : le CDD

(Comité diocésain de développement) à Maroua, Nord-Cameroun

http://www.rcf.fr/popup_mp3.php3?id_document=62495&id_locale=1

Cette émission présente parfaitement la structure qui nous accueille et le travail qu'elle réalise.

   * 21 septembre 2009 (52 mn) : l’ACDIC

(Association citoyenne de défense des intérêts collectifs) région de Yaoundé Cameroun http://www.rcf.fr/popup_mp3.php3?id_document=61687&id_locale=1

  • Pour une écoute en ligne, cliquer sur un lien ci-dessus (ou copier-coller le lien dans la barre d’adresse d’un navigateur Internet)
  • Il est aussi possible de télécharger cette émission (fichier au format MP3) La procédure de téléchargement varie selon les logiciels présents sur votre ordinateur. Par exemple, une fois l'écoute en ligne lancée :

1. Agrandir la fenêtre jusqu’à obtenir la ligne : Télécharger ce fichier son au format Mp3

2. Clic droit sur cette ligne

3. Clic gauche dans le menu contextuel sur : Enregistrer la cible sous…

4. Décider d’un emplacement pour ce fichier (un dossier ou le bureau) ; n'hésitez pas à le renommer pour mieux le retrouver.

Pourquoi ce blog ?

Pour faire circuler les nouvelles... il y a eu le tam-tam, les signaux de fumée, le messager marathonien... et parmi les derniers nés : le blog.

Tout au long de notre séjour camerounais, nous allons essayer d'y tenir un "journal". Nous y ferons part de nos rencontres et de nos découvertes. Nous espérons que vous réagirez par des commentaires et qu'un dialogue pourra s'instaurer entre les visiteurs de ce blog.

A propos de la bannière de ce blog

Les photos de l'en-tête du blog ont été prises dans la région de Maroua en juillet 2009 (saison des pluies) par Joël Le Glohaec, président de Lara-Kapsikis Cette asso a l'objectif d'une "Amitié Nord Cameroun - Pays de Vannes", en particulier au moyen du tourisme solidaire.

Merci aussi à notre fils Emmanuel pour avoir artistiquement mis en forme cette image d'entrée.

Sans oublier la compétence de Florent, qui guide patiemment son père dans les méandres technologiques de ce blog.

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