Santé et Vie sociale

Les clandos

« Combien sont-ils ? … On ne peut pas savoir. Â» Leur nom n’est-il pas un diminutif de clandestins ?

Pourtant, à Maroua, ils ne sont plus clandestins du tout depuis bien longtemps. Ils sillonnent la ville du petit matin jusque tard dans la nuit, bien visibles avec leur gilet fluorescent jaune, chevauchant une moto jaune elle-aussi. Il n’y a guère que la pluie d’orage qui les arrête momentanément.

Ici comme dans les autres villes du Cameroun, les « clandos Â» sont l'appellation populaire des « motos-taximan Â».

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Les critiques à leur égard foisonnent : imprudents (les accidents ne manquent pas), voleurs (ils ont une liberté de mouvement qui peut faciliter les trafics), drogués (pour tenir le coup longtemps)… Mais faut-il que les quelques brebis galeuses d’une profession ternissent l’image de toute la corporation ?

 

Personnellement nous les aimons bien. Nous admirons leur courage pour rouler des heures et des heures sous la chaleur ou dans le froid ; hé oui, c’est relatif mais ils sont vraiment transis de froid à certains moments. Nous les trouvons attentifs et serviables. Nous avons rarement eu peur de la conduite risquée de l’un ou l’autre.

 

C’est fou tout ce qui peut être transporté sur ces motos-taxis. Les personnes bien sûr, parfois il s’agit d’un véritable transport en commun ; pour aller et revenir de l’école par exemple.

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En outre, les taximan livrent à domicile une multitude de colis, valises, bidons, sacs, matériaux, matériels, animaux… Ce moyen de transport se situe à mi chemin entre les déplacements à pied, charrettes ou vélos et ceux en voitures, bus ou camions.

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Tout en étant transportés, il nous arrive d’engager la conversation sur les conditions de travail. En moyenne, les clandos demeurent en circulation 8 heures chaque jour. Ils se montrent généralement satisfaits de leurs revenus. La plupart travaillent pour un « patron Â» à qui ils rendent des comptes. Cependant, plusieurs nous disent être propriétaires de leur moto.

Dans leur parcours de vie, ils voient ce travail comme une étape intermédiaire entre l’état de « petit débrouillard Â» qu’ils avaient et une situation plus rémunératrice (commerçant par exemple). Ils se lancent dans cette activité après avoir économisé quelques années, être soutenu par un « grand frère Â» ou encore avoir bénéficié d’un héritage… 400 000 F CFA (600 euros) sont nécessaires pour l’investissement de départ : 300 000 F la moto achetée au Nigéria voisin, plus 100 000 F de « dédouanement Â» et carte grise.

Les frais fixes se montent à environ 25 000 F/an : assurance, vignette et licence. Pour cette dernière on dit payer le « gilet Â» car cette chasuble porte la même immatriculation que la moto. Les autres frais sont le carburant (trois litres/jour, soit 1 200 F) et les inévitables réparations.

A raison d'un minimum de 100 F (0,15 euro) la petite course, l'addition peut aller jusqu'à 5 000 F de rentrées journalières, certains pensent rembourser leur moto en une année. Ensuite, ils économiseront 3 ou 4 années pour investir dans une nouvelle affaire.

 

« Combien de clandos y a-t-il à Maroua ? Â» A défaut d’un nombre exact, Maryvonne peut nous délivrer quelques indices. Elle constate en effet qu’elle a rarement le même chauffeur. Sachant qu’elle utilise une mototaxi 4 à 6 fois par jour, 5 jours par semaine, combien de clandos a-t-elle rencontrés sur 10 mois ?

Mains parlantes et cœur voyant

Mains parlantes

Facile d’expliquer ce qui motive notre visite. Dès le premier geste de la main se déplaçant gracieusement du menton vers ses interlocuteurs, Maryvonne établit le contact avec le groupe d’enfants. « Bonjour à tous. Nous avons un fils sourd, sa femme l’est également. Deux de nos petits-enfants sont aussi malentendants comme vous. Â» Ces quelques mots exprimés en langue des signes font déborder de sourires les visages qui nous découvrent.

Une école ordinaire de ville, une grande cour vaguement délimitée, des bâtiments aux fenêtres béantes posés ici et là, la voix rocailleuse d’un maître arrivant jusqu’à nos oreilles… une école primaire banale en apparence. Sœur Alda nous explique que sur la douzaine de classes, quatre sont spécialisées pour des enfants malentendants.

Commençons par la classe de CP ; premier étonnement, toutes les tailles, tous les âges ! « Nous nous déplaçons dans les villages pour encourager la venue dans cet enseignement adapté. Â» Les parents ne voient pas l’intérêt de scolariser un enfant sourd, d’autant plus qu’il est généralement l’excellent berger dont la famille a besoin tout au long de l’année.

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Sabine conduit sa classe avec une grande maitrise. Séquence math. Vérification préalable, chaque élève a bien sa craie et son ardoise. Trois coups sur la table, « Attention je montre le chiffre Â» : tous les doigts d’une main déployée. Chacun griffonne sur son ardoise et présente son résultat. Signe d’approbation pour certains, sourire de soutien pour les autres. Réponses aussi disparates que les tailles ! On passe à la séquence « Plus grand - plus petit Â». Un petit arbre, un grand arbre ; un tabouret, une armoire ; un mouton, une poule ; une élève, la maîtresse ! Bonne humeur générale, la notion rentre petit à petit.

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Passage en CE1-CE2. Bouba est en pleine séance d’apprentissage du « Notre père Â» en langue des signes. Un grand cercle du bras vers l’avant pour signifier « Notre Â», l’emplacement de la moustache du papa pour « père Â», la main se déplaçant en demi-cercle au dessus de la tête pour « qui es aux cieux Â»â€¦

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« Je fais, vous me regardez… On fait ensemble… Toi, puis toi, venez montrer à tous… Â»

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La progression est méthodique. Nous percevons des enseignants motivés pour cet enseignement spécialisé. Ils ont le statut de maître de l’enseignement privé catholique, mais leur salaire est pris en charge par une petite association italienne. Le diocèse italien qui la soutient et la paroisse de Mokolo se sont beaucoup investis dans la naissance de cette école intégrée, avec un internat en parallèle.

Jusqu’à maintenant, les familles des environs voulant scolariser un enfant malentendant devaient l’envoyer au centre spécialisé de Mouda à plus de 100 km. L’école de Mouda a procuré une première formation aux enseignants de Mokolo, tandis qu’une autre équipe (le Codas du diocèse de Garoua) accepte d’assurer un suivi pédagogique pour cette nouvelle structure.

Sœur Alda nous dit qu’ici les sourds ne semblent pas rejetés dans leur milieu de vie habituel, ils sont de bons travailleurs manuels et leur entourage développe assez spontanément avec eux une communication gestuelle minimale. Toutefois beaucoup de leurs potentialités ne peuvent pas se développer dans un enseignement exclusivement oral. Nous constatons aussi que plusieurs sont malentendants légers, il suffit d’un enseignement adapté pour qu’ils progressent rapidement.

 

CÅ“ur voyant

 Â« J’ai senti l’étonnement de Gabriel lorsque j’ai évoqué que l’un de nos pensionnaires avait gagné de l’argent en travaillant sur un chantier de maçonnerie. Â»

Rien n’échappe à Emmanuel, directeur du Centre des aveugles de Mokolo, lui-même aveugle. Il poursuit « Au Cameroun une loi sur l’emploi des handicapés existe, mais elle n’est pas du tout appliquée. Pourtant, je pense vraiment qu’il n’y a guère de métiers qui soient impossibles aux malvoyants. Sur un chantier de construction, il suffit que je l’organise moi-même, je sais où je pose les choses et j’y arrive. Â»

Particulièrement volontaire donc ce pionnier. « J’avais quitté l’école. C’est le père Yves Tabart qui m’a encouragé : « Ne reste pas comme ça à rien faire. Â» Après hésitation j’ai accepté de descendre au Sud pour apprendre le braille. Â» « J’aurais pu rester à enseigner là-bas, mais j’ai pensé à ma région du Nord tellement démunie… Â»

Dans sa ville de Mokolo, nouvelle rencontre, nouveau cheminement avec un prêtre plein de foi en l’homme. Le père Giusto, jeune Italien, qui ne supporte pas la relégation sociale imposée aux handicapés. A force de persévérance partagée, l’école spécialisée sort de terre.

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Trente personnes non voyantes y sont accueillies en internat. L’encadrement est minimum, 4 hommes et une cuisinière.

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Les plus jeunes étudient, les plus âgés se forment en travaillant à divers métiers.

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Dans les collines environnantes les aveugles semblent très mal vus. Ce sont des bouches à nourrir et l’on accepte difficilement de consentir quelques efforts complémentaires pour les scolariser, d’autant plus qu’un mauvais sort les aurait frappés pour les rapprocher des serpents…

 

Notre visite aura été rapide, mais en quittant ce centre, nous sommes une nouvelle fois bouleversés de sentir combien certains hommes trouvent les moyens de déplacer des montagnes lorsque leur cœur se met à voir.

Le retour du choléra

« Choisir entre la peste ou le choléra Â», dans notre imaginaire européen du 21ème siècle cette expression se réduit généralement à l’embarras d’une alternative « entre deux maux… Â». Au Nord-Cameroun, après 6 ou 7 années d’accalmie, le choléra arrache à nouveau des vies. En ce début septembre 2010, les statistiques officielles précisent : 312 décès sur 5 412 cas déclarés. Combien non déclarés ? ?

 Que sait-on du choléra ?

« Péril fécal Â» serinent les spécialistes s’exprimant longuement sur les radios locales. Parfois, au détour d’une phrase, on entend « Il faut souvent se laver les mains… Â». Hé oui, dit très simplement, le choléra est essentiellement une maladie des « mains sales Â».

Heureusement, les actes sont parfois plus explicites que les paroles. Dans les réceptions, les « Ã©lites» prennent l’initiative de se laver les mains avant le buffet. Lors des annonces pratiques qui ponctuent chaque fin de messe, nous n’avons pas eu besoin de traduction pour comprendre le geste du catéchiste conduisant sa main de l’arrière de ses fesses à sa bouche !

De façon tout aussi claire, une fiche illustrée, éditée en 2000 par le CDD, est rediffusée dans les paroisses.

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Le choléra est une maladie intestinale causée par une bactérie, le vibrion cholérique. L’incubation est brève, 2 à 3 jours, ou seulement quelques heures en période d’épidémie. Le début est brutal : douleurs d’estomac et angoisses suivies immédiatement de diarrhées violentes et de vomissements abondants. En quelques heures, les pertes digestives peuvent atteindre plusieurs litres (20 à 100 selles par jour !). Le malade décède rapidement s’il n’est pas réhydraté.

La contamination se fait par l’eau souillée. Les excréments humains infestés se diffusent dans la nature par les écoulements d’eau et par les mouches.

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Outre les conseils de prévention à la radio, les pouvoirs publics diffusent des images colorées.

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De nombreuses autres informations sont placardées dans les centres de santé.

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Aspect positif tout de même, le choléra est une maladie facile à traiter. La prise rapide de sels de réhydratation orale (SRO) pour remplacer le liquide perdu permet presque toujours de guérir le malade. Des perfusions intraveineuses sont mises en place pour agir plus rapidement.

Pour l’entourage, la propreté doit être accentuée. Dans les centres de santé, un seau d’eau javellisée est mis à la disposition des visiteurs pour se laver les mains. Et un traitement préventif (antibiotique) peut être proposé.

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Aujourd’hui, le nombre de malades accueillis dans les dispensaires se stabilise. Les personnels de santé sont exténués après plusieurs semaines intensives. De leur côté, les responsables se demandent s’ils pourront assurer les salaires. Le gouvernement a institué la gratuité des soins et des médicaments pour les cholériques… mais la contrepartie risque d’être longtemps attendue !

 

Pourquoi cette recrudescence du choléra ?

On dit que le prêtre-médecin de Tokombéré, le père Christian Aurenche, est particulièrement fâché de constater ce retour du choléra. Cela traduit directement une dégradation des conditions générales d’hygiène dans la région, une forte baisse de vigilance de la population à l’égard de sa propre santé. (voir le billet : Un hôpital de brousse)

La pauvreté est sans doute une cause importante de l’épidémie. Par exemple, en l’absence d’eau potable les gens ne peuvent guère respecter les règles d’hygiène élémentaire. Mais il y a aussi de la désinvolture : « On n’a pas la chance Â», « C’est la faute du sorcier Â», « On ne va pas changer nos habitudes pour ça ! Â», par exemple veiller le mort au plus près et même porter son pagne !



Les réglementations émises par les autorités sont souvent prises à la légère : l’obligation d’avoir les latrines et de les utiliser, l’interdiction de fabrication et de vente de bil-bil, l’interdiction de commercialiser des plats cuisinés sur la rue… un vœu pieux sachant que pour certains cette activité est leur seul gagne-pain.

Pour plagier l’expression favorite de nos amis Camerounais : entre deux maux « On fait comment ? Â» pour choisir le moindre ?

Brasserie domestique

L’impensable arrive ! « Interdire le bil bil  ! Non, ce n’est pas possible, les gens n’accepteront jamais, personne ne peut l’empêcher... Â».

Et pourtant un arrêté du préfet de Maroua du 10 août 2010 « interdit la fabrication et la vente du bil bil … en raison de l'épidémie de choléra qui sévit". Près d’un mois plus tard, l’ordonnance semble prendre effet petit à petit. Le préfet explique que « les endroits de vente de ces jus de mil étant essentiellement des lieux de promiscuité et d'insalubrité, ils constituent des points de contamination par essence. Â» (1)

La fabrication et la consommation de bil-bil sont des activités si répandues dans l’Extrême-Nord camerounais que seule une épidémie aussi dangereuse que le choléra s’avère capable d’entamer un peu son emprise.

 

Mais comment fait-on le bilbil ?

A l’image de la Genèse, une semaine pleine est nécessaire aux Camerounais du Nord pour élaborer leur bière de mil.

1er jour et 2ème jour : Cela débute par une nuit d’engloutissement dans l’eau, les grains de mil (sorgho) sont noyés dans des seaux et bassines. Le matin, la céréale est abondamment rincée, jusqu’à 4 lavages, avant d’être religieusement déposée en couche sur une natte, à l’abri de la lumière. Chaque grain débute alors sa germination, entretenue par un arrosage matin et soir.

3ème et 4ème jour : Au petit matin du troisième jour brusque transfert à la lumière, le soleil s’abat sur les jeunes pousses pour les assécher. De larges rectangles marron égaient partout les cours et bords de route.

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Le soir la précieuse denrée est soigneusement ensachée pour passer la nuit en sureté.

 5ème jour : Au cinquième jour, le sac est porté au moulin à moteur, 10 F la « tasse Â» pour la mouture ; en ce 21ème siècle, pilon et mortier se font rares.

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Au retour, le mil broyé est mélangé à une grande quantité d’eau, dans trois canaris placés côte à côte en triangle. Quatre heures plus tard, la farine s’étant déposée au fond, l’eau en excès est transférée dans un canari annexe. Un feu de bois est alors allumé au cœur du triangle formé par les 3 jarres. Brassée régulièrement, la mixture nécessite une demi-journée de chauffe pour atteindre l’ébullition.

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A l’arrêt du feu, l’eau retirée le matin est réincorporée à la bouillie.

6ème jour : Au matin du sixième jour, il faut goûter « jusqu’à ce qu’on ne trouve plus le goût sucré Â». Le jus est filtré au travers d’un sac que l’on essore. La farine rouge enlevée constitue la « drêche Â», que les volailles et porcs ne manqueront pas d’apprécier à sa juste valeur.

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Le feu est rallumé entre les 3 canaris portés à nouveau à ébullition. L’ensemble est fréquemment brassé et les impuretés flottantes sont écumées avec une sorte d’éventail à manche.


A l’extinction du feu on prélève une ou deux calebasses de jus auxquelles on incorpore un résidu de bil bil séché issu des productions précédentes. Avec cette levure (ou une levure de boulanger) la liqueur des calebasses moussent en 2 à 3 heures. Cet ensemencement est alors mêlé au liquide de l’ensemble des jarres. La fermentation œuvre toute une nuit.

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7ème jour : Arrive enfin le septième jour. L’opération du goûter s’impose à nouveau, « Ã§a ne doit plus être sucré Â». Averti de la présence du breuvage par un « drapeau Â» à l’entrée de la concession, chaque consommateur exige d’abord sa part de « goûter Â» avant de débourser 50 francs pour chaque calebasse de nectar.

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Alors, quelle place a le bilbil dans la société ?

Si la fabrication de la bière de mil est domestique, sa consommation dépasse largement les murs de la maisonnée. Traditionnellement le bil bil était fabriqué à l’occasion de 3 ou 4 cérémonies dans l’année. Aujourd’hui, même si elle continue à accompagner les fêtes, cette boisson produite chaque semaine est devenue une activité rémunératrice pour beaucoup de femmes désargentées. Est-ce rentable ? « Ca permet d’acheter le savon ! Â» répond-on le plus souvent à cette question.

En tout cas, depuis quelques années l’offre explose. Il n’y a pas si longtemps, le bil bil n’était présent qu'au marché hebdomadaire. Maintenant c’est pratiquement chaque soir que des petits marchés à bil bil fleurissent dans les quartiers ruraux comme urbains.

La convivialité est au rendez-vous sans doute, mais aussi les tracas inhérents à tout abus. L’alcoolisme populaire, des hommes comme des femmes, amène à un travail réduit, à des revenus dilapidés, à des enfants délaissés…

Sans aller jusqu’à la famine, la disette est l’autre grave facette de l’extension de cette pratique. En effet, la matière première du breuvage est également l’alimentation de base des habitants du Nord-Cameroun. Le mil du bil bil provient des mêmes greniers que la nourriture ! Or beaucoup d’exploitations familiales n’ont aucune marge de réserve sur leur récolte. Alors, pour elles, le rachat d’un seul sac utilisé en boisson pèsera très lourd en fin de saison. J’hésite à avancer ce chiffre car je ne peux pas le vérifier, toutefois plusieurs s’accordent pour dire qu’il y aurait bien 50 % de la production de sorgho de la région qui serait transformé en bil bil !

 

« A certaines choses malheur est bon Â» dit un proverbe de chez nous. Alors peut-être pourrait-on bénir le choléra, s’il contribuait à ramener le bil bil dans le bercail coutumier de la convivialité ?

 

(1) Sur l’interdiction préfectorale du bilbil et son impact dans la ville de Maroua : intéressant article du 12 août 2010 sur www.237online.com

Familles nombreuses

Que d’enfants ! Ils sont partout au Nord-Cameroun. D’abord fièrement portés sur le dos des mamans (plutôt jeunes en général). Puis remplissant les concessions, occupant les bords de routes, animant les quartiers, envahissant les écoles…

Avec notre culture d’occidental nous ne pouvons nous empêcher de nous demander : « Que vont-ils devenir ? Quels emplois pourront-ils exercer dans quelques années ? Â» Toutefois, nous nous gardons bien d’exprimer ouvertement ces interrogations. L’enfantement est une sphère trop intime et culturelle pour que nous y risquions une parole étrangère.

 

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En ce milieu de samedi après-midi, trois agriculteurs passent en vélo devant Villa-Rosa juste au moment où j’ouvre le portail (sollicité par une écolière voisine, pour la dixième fois de la journée !). Je reconnais l’un d’eux. Ils mettent pied à terre. « Entrez donc Â». Nous nous attablons autour d’une bière et d’un verre d’eau. La conversation s’engage : « La pluie est enfin là… Â» La mise en culture bat son plein. Le mil est semé en priorité « Il faut d’abord manger, n’est-ce pas ? Â» ; suivront les semis d’arachide, de haricot (niébé), de coton…

« Quelles surfaces pour tout ça ? Â» « Ca dépend de la force de travail. Â» Entendons par là : ça dépend du nombre de bras valides pour les champs. « Par exemple, moi je cultive un peu plus grand chaque année. Mes aînés ont maintenant 13 et 14 ans, ils m’aident bien. Grâce à leur travail et à la récolte supplémentaire, je pourrai encore leur payer l’école l’an prochain. Â» C’est Alfred qui parle, il poursuit. « J’ai 7 enfants, nous voulions nous arrêter à 6 mais le 7ème est arrivé ; on le refuse pas, n’est-ce pas ? Â». A mon tour, j’évoque ma famille : « Chez moi aussi nous sommes 7, et le petit dernier est arrivé longtemps après les autres… aucun n’est en trop. Â».

Toutefois, les trois compagnons cyclistes poursuivent leurs pensées sur la relation entre la terre d’ici et ses habitants. « Pas plus tard que ce matin, en venant, nous nous sommes fait la remarque : ne serions-nous pas trop nombreux ? Â» Ils traversaient des étendues traditionnellement réservées aux pâturages des troupeaux nomades, et ils s’apercevaient que les champs cultivés grignotaient progressivement ces contrées.

Leur réflexion démographique est corroborée par le dernier recensement. La région Extrême-Nord est la seconde région la plus peuplée du Cameroun, 3,5 millions d’habitants, soit presque un Camerounais sur 5 ! Plus précisément dans les Monts Mandara, on dit que la densité atteindrait 270 hab/km².

Je m’aperçois que le sujet n’est pas tabou pour ces trois pères de famille. Ce sont des personnes réfléchies et leaders dans leur milieu. Aujourd’hui, ils participaient à l’assemblée générale de l’association Promagri (sorte de Groupement de vulgarisation agricole). Ce matin, sur leurs vélos rafistolés, les trois hommes ont parcouru 35 km de mauvaises pistes, maintenant ils s’en retournent aussi courageusement avant la nuit.

 

Certes, beaucoup trop d’hommes et de femmes nous semblent faire des enfants sans se soucier de leur éducation et de leur avenir. Cependant, nous notons que d’autres réfléchissent sur le nombre d’enfants qu’ils peuvent accueillir. Parfois, la femme utilise un moyen contraceptif à l’insu de son mari. Le centre de santé respecte cette situation, mais accompagne et encourage autant que possible la réflexion en couple.

 

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Une nouvelle église

A l’heure où l’on parle, sur notre vieux continent, de démolir des églises trop vétustes il s’en construit de nouvelles dans la jeune Afrique.

Elles s’apparentent le plus souvent à des chapelles, construites avec les matériaux indigènes, murs de terre et bancs rudimentaires. Toutefois certaines présentent des volumes nettement plus imposants, en corrélation avec les besoins d’une population en expansion. Il faut alors que le curé en place ait un charisme de bâtisseur et bénéficie de moyens financiers importants, car l’apport local demeure généralement modeste. Ces conditions étant réunies à Zamay, un superbe édifice est sorti de terre. Invités par le père Frans Byl nous avons eu la chance de participer, pour la première fois de notre vie, à la consécration d’une église.

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L’officiant principal pour cette consécration est l’évêque du diocèse, le père Philippe Stevens. La cérémonie débute à l’extérieur. En premier lieu, l’architecte remet au prélat les clés du bâtiment. L’évêque frappe alors trois coups sur le montant de la porte principale avant de l’ouvrir.

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La chorale donne à plein régime. Des fillettes ajoutent de la dynamique en agitant des plumeaux, en rythme. La cérémonie va durer 4 heures !

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L’une des marques de consécration est l’onction d’huile sainte, symbole de force, apposée sur 12 emplacements des murs et piliers.

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Dans son sermon, le père Philippe ne manquera pas de rappeler que le bâtiment église, avec un petit « Ã© Â» n’est qu’une manifestation de l’Eglise, avec un grand « E Â», constituée de toutes les communautés de croyants. L’évêque exhorte la communauté catholique de Zamay à se mettre au service de l’ensemble de la société, à s’engager pour plus de justice, à travailler pour un développement économique et social harmonieux… Une fois ces tâches entreprises elle pourra alors se réunir dans cette église pour célébrer et prier Dieu.

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Le christianisme n’est pas majoritaire dans cette partie du Cameroun. Mais sa vitalité est certaine. A titre d’exemple, quatre-vingts personnes, de 10 à 70 ans, ont reçu le sacrement de confirmation au cours de cette cérémonie. Symbole fort : en même temps qu’un bâtiment est consacré, de nombreuses personnes demandent à être confirmées dans leur foi.

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L’architecture de l’édifice nous plaît beaucoup. L’intérieur s’élargit en paliers depuis le chœur jusqu’à une large façade de fond constituée de grands panneaux en fer forgé. De l’intérieur comme de l’extérieur ces motifs se contemplent tout simplement.

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 Miracle ou bonne intendance, après ces heures intenses toute l’assemblée a pu se régaler d’un poulet au riz. Nos petites danseuses, devant la chorale, l’avaient particulièrement mérité n’est-ce pas ?

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Épilogue :

Le curé de Zamay, le père Frans Byl est originaire du diocèse de Bruges en Belgique. Ayant longtemps enseigné en coopération, il perçoit une indemnité mensuelle de son gouvernement et peut aussi s’appuyer financièrement sur tout un réseau d’amis bienfaiteurs. Ces dons lui ont permis de conduire le chantier de l’église de Zamay, car selon sa parole : Ce que l’on reçoit doit être donné.

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Eau canari

Il est une coutume largement répandue ici que nous n’apprécions probablement pas à sa juste valeur. Je l’appellerais « L’eau canari Â».

Dès qu’un visiteur arrive dans une habitation, il ne se passe pas 2 minutes avant qu’une femme vienne lui présenter une grande timbale en fer blanc, bien remplie d’une eau claire. Par politesse, il arrive que l’occidental(1) prenne une gorgée de cette boisson offerte avec déférence. Et là, surprise, l’eau est presque fraîche, pas tiède en tout cas comme il s’y attend. D’où vient cette eau ?

L’observation des allées et venues dans la concession peut le renseigner. Muni d’un gobelet en plastique un enfant s’approche, soulève un plateau posé sur une jarre à moitié enterrée, plonge son récipient et boit paisiblement avant de reposer consciencieusement le couvercle sur le canari. Un peu plus tard ce sera au tour de la grand-mère sortie de sa cuisine, ou encore du mari qui revient des champs. Partout ces scènes se répètent, y compris dans les lieux collectifs : enceinte des paroisses, des administrations, parfois des écoles…

Nous avions bien observé cette pratique ici ou là, mais il nous aura fallu un moment avant de nous rendre compte de son universalité. L’eau de boisson mise à disposition du visiteur est vraiment une pratique sociale qui va de soi dans cette région.

Nous avions été plus sensibles à la beauté des colonnes de femmes marchant sur le bord des routes, avec chacune un énorme canari en terre posé transversalement sur sa tête. Au petit matin, quand nous partons en brousse en véhicule, elles s’empressent vers les marchés de la ville. Nous en croisons jusqu’à 20 km à la ronde, et sans doute leurs villages sont-ils encore à quelques km !

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Revenons à notre eau « fraiche Â». Dans nos sociétés sophistiquées, nous n’imaginons guère pouvoir en produire en dehors d’un réfrigérateur. Et pourtant depuis des millénaires les hommes connaissent les propriétés rafraîchissantes de ces jarres en terre cuite. Tout se résume dans la porosité de leur paroi. Un petite partie de l’eau contenue traverse la cloison jusqu’à se trouver en fine pellicule, invisible, à l’extérieur du récipient. Là, naturellement, elle va s’évaporer dans l’air. Mais ce changement d’état, ce passage de liquide à vapeur d’eau, nécessite des calories, beaucoup de calories (80 calories/gramme d’eau). Alors, il se trouve qu’une partie de cette chaleur va être fournie par l’eau présente dans le canari. L’eau de l’intérieur va donner des calories à l’eau de l’extérieur, c’est ainsi que de 35°C elle va passer à 25°C (2).

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Ajoutons encore que la mise en Å“uvre de ce service nécessite beaucoup de travail, la plupart du temps assuré par les femmes. Il faut régulièrement nettoyer et ré-alimenter cette « source Â» avec une eau aussi propre que possible, tandis que le puisage se fait majoritairement à la main, dans des lieux trop souvent éloignés de l’habitation…

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(1) Chacun sait ici que le « blanc Â» ne se déplace jamais sans sa propre réserve d’eau (minérale ou filtrée). C’est une précaution élémentaire de santé. Ceux qui enfreignent cette règle se font vite rappeler à l’ordre par leurs intestins…

(2) Soit dit en passant, c’est aussi pour cela que nous transpirons, pour permettre à notre corps de se refroidir par l’évaporation de la sueur à la surface de notre peau.

 

Premier mai, vive l’entreprise !

Le Cameroun aime défiler, les occasions ne manquent pas : fête de la jeunesse en février, fête de la femme en mars, fête du travail au 1er mai, fête nationale le 20 mai… Longue avenue nettoyée, tribune officielle, groupes multicolores, badauds… le scénario est bien rodé, et le spectacle agréable à vivre.

 

« Non, le CDD n’ira pas défiler ce premier mai ; nous n’avons rien à vendre ! Â», claire réponse à mon interrogation. Rapidement en effet, nous allons nous apercevoir que ce défilé est avant tout une superbe opportunité pour la promotion des entreprises.

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Dans son allocution d’ouverture, le gouverneur rappelle brièvement qu’il a entendu la véhémence des revendications syndicales. Mais la tonalité de son discours est ailleurs : Le Cameroun a choisi de faire de cette fête une exaltation de la valeur du travail, selon la devise de notre pays : « Paix, Travail, Patrie Â». Nous invitons donc chacun à travailler pour manger, l’ouvrier qui ne travaille pas ne mérite pas son salaire, de même l’enfant qui ne travaille pas n’a pas le droit de manger (sic).

 

Cent quarante trois représentations d’entreprises vont défiler, soit quelques 3 463 participants, selon la fiche prévisionnelle des groupes. L’ordre de passage nous semble répondre à des critères protocolaires et socio-économiques. Alors, pourquoi pas tenter de repérer le poids, réel ou symbolique, de chaque secteur d’activités dans la société ?

 

A tout seigneur, tout honneur, la première partie du cortège est constituée des administrations publiques. D’abord celles qui sont directement rattachées à la Présidence de la république, me précise-t-on. Viennent ensuite les autres administrations, et elles sont nombreuses ! (voir le billet : Maroua city ). Leurs slogans retentissent souvent comme autant d’exhortations à des objectifs chimériques.

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En intermède, voici la société Hysacam (Hygiène et salubrité du Cameroun), entreprise privée de nettoyage urbain entièrement financée par des fonds publics locaux et nationaux. La population applaudit le service quotidien assuré par ces éboueurs. A la fin du défilé pédestre, le passage ronflant de ses camions bennes rutilants sera lui aussi très apprécié. Remarque amusante pour nous, sur l’un des véhicules le logo de la société recouvre à peine l’inscription Ville de Nantes encore apparent.

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Puis vient la longue litanie des établissements financiers. Je passe sur les filiales des grands établissements financiers : Crédit lyonnais, Crédit agricole, Société générale, Western union, etc. Le Cameroun regorgerait-il d’argent ? Ils sont suivis d’une quantité aussi étonnante de petits établissements de crédit, dont on se demande si certains n’auraient pas pour seule réalité que leur pancarte ?

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De la même façon qu’en France, les assurances ne sont pas en reste. Elles talonnent les banques, comme pour prendre leur place !

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Arrivent ensuite les entreprises de communication, les maisons mères et leurs divers partenaires. Qui n’a pas encore son téléphone portable au Cameroun ? Même moi, me voici, pour la première fois de ma vie, avec un téléphone à la ceinture.

 

Peut-être en sommes-nous aux 2/3 du cortège ? La place est enfin libre pour de multiples autres activités bien utiles à une société. Les entreprises de transport en commun, des garages, quelques gros commerçants, l’union des cafetiers, divers regroupements d’artisans : imprimerie, chaussures, boulangerie, couture…

Au passage Maryvonne épingle « sa Â» couturière, aux lunettes noires.

 

Quant à moi, j’encourage plutôt le GIC (Groupement d’intérêt commun) des jeunes forgerons de Maroua.


Vous l’aurez compris, la simple observation de l’ordonnancement de cette parade fait réfléchir à la conception du travail qui prévaut ici. Toutefois, gardons-nous d’en tirer trop rapidement une conclusion ; les préséances seraient-elles si différentes chez nous ?

 

En réalité, ce qui me frappe le plus en cette fête du travail, ce sont les innombrables absents. Aucune trace dans ce défilé des centaines de commerçants du marché central, encore moins des petites vendeuses alignées sur les nombreux marchés de quartiers. Aucun représentant des milliers de « débrouillards Â» qui vivotent de la vente de 3 babioles ou de la réparation de tout et n’importe quoi, avec les moyens du bord bien sûr. A peine quelques représentants d’artisans locaux : menuisiers, garagistes…

Pas de défilé non plus, aujourd’hui sur cette avenue, de la multitude de « clandos Â» (motos-taxis) qui se faufilent à longueur de temps jusque dans les quartiers les plus reculés, et les moins reluisants, d’un Maroua en perpétuelle extension.

Sans parler des enfants qui, après une demi-journée dans une classe surchargée (250 élèves dans un niveau, la moitié le matin, l’autre moitié l’après-midi), assurent la plus grande part des corvées d’eau, le nettoyage permanent des abords d’habitation, le remplissage des brouettes sur les chantiers, les heures de planton près du commerce de rue du « grand frère Â»â€¦

Oui, ceux qui ont défilé ce 1er mai sont loin d’être les seuls à avoir gagné un droit à leur pain quotidien.

L’argent ne pleure pas !

C’est l’histoire d’un ministre, revenu au village après quelques années au gouvernement. Chacun savait ouvertement que cette position au pouvoir lui avait permis de se constituer une petite fortune.

Cependant, il se voulait proche des habitants. Ainsi, quand le deuil frappait une famille de son entourage il envoyait toujours quelqu’un porter son groupe électrogène afin que la veillée funéraire soit bien éclairée. Il demandait aussi à sa femme de préparer une bonne quantité de couscous pour nourrir les nombreuses personnes venues de partout entourer la famille en souffrance. Mais lui restait dans sa maison.

Un jour le malheur le frappa à son tour, son fils mourut. Toutes les familles du village vinrent chez lui. Elles y déposèrent chacune une petite lampe et un peu de mil cuisiné. Puis, elles repartirent après les salutations d’usage.

Quand le soir arriva le ministre se retrouva tout seul près du cadavre au milieu des petites lampes et des boules de mil.

Il en fut si malheureux qu’il se rendît compte que le village venait de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il pensait avoir soutenu les gens dans la peine en mettant à leur disposition une partie de ses biens. Il comprit alors que la chaleur humaine passe par la rencontre ; qu’il ne suffit pas d’être généreux en biens matériels ou en argent pour qu’une relation humaine s’établisse ; que ce qui est d’abord attendu est une présence de proximité. Une cohésion sociale, insiste celui qui m’a raconté cette histoire.

Quant à moi, je me dis que la maxime préférée des Camerounais, « On est ensemble Â», trouve peut-être là tout son sens. Non, l’argent ne peut pas pleurer avec toi.

Ma-ri-a-ge et gaspillage

« Il faut que nous apprenions à mieux gaspiller l’argent Â». Un peu interloqué par la formule, j’ai demandé la répétition de la phrase, puis je l’ai consciencieusement écrite au tableau. C’était lors d’un cours de gestion au centre de formation agricole de Jéricho. Quelques minutes plus tard, je trouvais bien sûr le temps d’expliquer le mot gaspillage, selon le dictionnaire, et j’ajoutais que l’expression « mieux utiliser l’argent Â» serait probablement préférable, en matière de gestion en tout cas.

 

« Vous allez voir comment l’argent va être gaspillé, des billets et des billets qui vont voler partout. Ah oui, vous avez de la chance, vous allez assister à un grand mariage Â». Tizé est tout émoustillé à l’idée de nous faire découvrir cet évènement. « Vous voyez tous ces gens qui marchent, bien habillés, ils vont à la fête Â».

Pour l’heure, il est 16 h, il nous faut livrer des médicaments au prochain Centre de santé et nous constatons effectivement qu’à plusieurs km, de part et d’autre, des groupes colorés s’acheminent vers le lieu désigné. « Quand on va repasser la danse aura commencé, et là vous verrez les billets ! Â».

 

Deux heures plus tard, en bordure de piste, au beau milieu d’un champ, l’attroupement est bien visible. On entend le son éraillé d’une guitare électrique accompagnée de quelques djembés. Un mini groupe électrogène assure le courant pour l’ampli et 3 ou 4 lampes accrochées à des piquets.

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Nous l’avions remarqué tout à l’heure, plusieurs femmes portaient des marmites sur la tête. Là, elles s’installent en ligne, à même le sol, et allument des feux pour cuire ou réchauffer les aliments qu’elles ont apportés. C’est un vrai marché qui prend forme, avec une série d’étals de colifichets et de boissons.

Nous traversons ce petit capharnaüm pour accéder au « sanctuaire Â», un espace vaguement délimité par un rang de fil de fer barbelé. La danse a commencé, une file d’hommes, une file de femmes forment comme un cercle. Les corps oscillent en cadence, les pieds marquent le sol, se déplaçant à peine. Un vigile, chicotte à la main, empêche les intrus de pénétrer ce domaine réservé. Deux jeunes filles restent accroupies au milieu, avec des cuvettes : « Elles sont chargées de l’argent, elles vont le récupérer Â».

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A intervalles, les groupes de danseurs vont se succéder dans l’enceinte ; d’abord les amis du marié, les amies de la mariée, la famille de la mariée... C’est parce que ce couple a de nombreux amis que le mariage est grand.

Un griot miséreux invite chacun à être généreux envers le jeune couple. Entre deux danses, le « blama Â» (chef de quartier) prend le micro pour assurer que toutes les dispositions ont été prises afin que cette fête se déroule sans incident, on ne dépassera pas 2 heures du matin.

 

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La danse se poursuit. Et voilà qu’une personne remonte rapidement la file des danseurs avec un paquet de billets de banque en main. Elle puise dans sa liasse et appose quelques devises sur le front de chaque danseur. Bien entendu, les billets s’égaillent sur le sol. Les jeunes filles, préposées à cette tâche, s’empressent de les récolter de chaque côté de l’enfilade. Les danseurs poursuivent leur piétinement sans se soucier des petites mains qui récupèrent les coupures sous leurs pieds. Un peu à l’écart, trois trésoriers comptent et classent toute cette monnaie sur une table, symboliquement protégée. A peine une personne a-t-elle fini sa distribution, qu’une autre prend le relais. Certains ne vont remettre leur don que sur le front de l’une ou l’autre des personnes à l’honneur : la mariée, sa mère, son beau-père….


Tizé nous avait mis la puce à l’oreille en nous informant que la mission catholique demandait aux chrétiens de ne pas organiser ce genre de fête où l’argent semble gaspillé. « C’est une tradition assez nouvelle ici, elle vient du Nigéria, tout proche. C’est beaucoup d’argent mais ce n’est pas beaucoup ! ! Â»

Hé oui, parce qu’il y a une astuce pour disposer de tels volumes de billets. La distribution se fait avec la monnaie nigériane : le Naira. Et cette devise ne dispose en pratique que de billets, dont les premiers ont évidemment une valeur très faible !

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Sur cette zone frontalière, un billet de 5 nairas s’échange contre 15 francs CFA, soit 0,15 de nos « ex-francs Â», autrement dit 2 centimes d’euro ! Des changeurs passent dans les rangs des invités pour convertir leurs francs CFA en nairas. Un petit billet de 1 000 F CFA devient 60 billets de 5 nairas ! Maryvonne en profite pour obtenir deux jolis billets de 5 et 10 nairas pour la collection de notre Lolotte.


Un participant me confie « Aujourd’hui, je prévois de donner 10 000 F CFA à l’occasion de cette fête, quand ce sera mon mariage je récupérerai largement cette somme Â».

 

 

Un hôpital de brousse

Depuis mon arrivée, j’entends souvent « Tu devrais visiter l’hôpital de Tokombéré Â».

Le vendredi 9 avril, j’ai la joie de passer une matinée dans ce centre grouillant de vie, bien accueillie et guidée par Kamtchouloum (aide-soignant rencontré à l’occasion de 2 journées de formation que j’ai assurées à Maroua, sur les injections et les pansements).


Créé en 1959 par le Docteur Maggi (un médecin suisse) cet hôpital devient, sous l'impulsion de Baba Simon (prêtre Camerounais), puis de Christian Aurenche (prêtre-médecin français), un véritable Centre de Promotion de la Santé.

 Â« Notre objectif devrait être, l’homme et sa santé et pas seulement sa guérison. Nous ne devrions pas lutter d’abord contre la maladie mais pour la vie Â» (Christian Aurenche)

 L'activité curative ne permet pas, à elle seule, d'améliorer l'état de santé d'une population. Il faut aussi un engagement profond et durable des communautés humaines. Le Centre de Santé est tout autant un lieu de formation, de rencontres et d'accompagnement pour les villageois qu’un centre pour dispenser des soins.




La vie à l’hôpital

Chaque malade hospitalisé est entouré d’un ou plusieurs « gardes-malades Â» (famille, voisins, amis…) qui le prennent en charge pour la toilette, la surveillance des traitements, la nourriture, la lessive… La disposition des bâtiments permet cette intense participation des familles (puits, foyers, bac à lessive…)

La nourriture est préparée de manière traditionnelle. Des foyers sont situés sous des hangars et chaque femme achète un peu de bois à 200 FCFA le fagot (0,30 €) pour cuire la bouillie de mil de son malade. La viande peut aussi s’acheter dans l’enceinte !




Un grand service de pédiatrie

Les nombreux enfants hospitalisés en pédiatrie sont d’abord soignés pour leur pathologie, puis une éducation nutritionnelle est mise en place.

La malnutrition reste un problème majeur dans cette région. Elle est liée en grande partie à l’insuffisance de production de la culture vivrière, à la sécheresse et aussi à la mauvaise gestion des revenus agricoles. Pour calculer l'état de malnutrition, l'on divise le poids en kg par la taille (en m) au carré ce qui donne un IMC (indice de masse corporelle). Par exemple récemment, j'ai dépisté un enfant de 8 mois qui mesurait 63 cm pour 4,5 kg, soit un IMC de 11. On considère qu'une personne est en dénutrition lorsque son IMC est inférieur à 16.

Les enfants dépistés en PMI pour une malnutrition légère sont suivis dans le village et des conseils nutritionnels sont donnés aux mamans.

Si le cas est sévère, (par exemple 5 kg de poids pour 1 an ou plus, ce qui n’est pas rare) l’enfant est placé en hôpital de jour. Les mamans sont réparties par secteur linguistique pour faciliter la communication entre elles pendant les causeries éducatives.

Lors de ces animations, le responsable nutritionnel leur explique l’intérêt du « grenier de l’enfant Â» Il s’agit d’une réserve de mil exclusivement destinée à l’enfant, cette part ne risquera plus d’être utilisée pour la production de la bière locale (bilbil). Avec cette gestion la nourriture sera suffisante toute l’année pour garder l’enfant en bonne santé. Le village n’est-il pas le premier centre de santé ?

Il y a aussi, 3 fois par semaine, des démonstrations nutritionnelles où les mamans apprennent à faire la bouillie enrichie comme ci-dessous : mil + soja + arachides + F75 (lait thérapeutique).




Situé dans une région très pauvre, l’hôpital pratique un système de tarif allégé, le patient paie un forfait (voir le billet : Soigner par épisode).

Bonus

Au moment de quitter la maternité (120 accouchements par mois en moyenne), la vie m’a fait un beau cadeau : J’ai partagé la joie d’une maman qui m’a présenté son petit garçon. En effet, j’ai pu constater une fois de plus que les bébés naissent avec la peau claire avant de prendre la couleur de leur continent.

Maryvonne




Journée de la femme

Comme partout dans le monde, la journée du 8 mars est jour de fête à Maroua.

Depuis des semaines, des mois parfois, les femmes en parlent, se rencontrent, préparent les expositions de leur travaux… Chacune fait coudre le pagne que son mari lui aura acheté. Il arrive même que des collègues hommes se cotisent pour l’offrir aux femmes de leur entreprise. Quant à moi, évidemment, je me le suis offert !

Son prix est unique : 5 500 Francs CFA soit ~8 €. Ensuite tout est dans la coupe et les broderies qui dépassent souvent la mise initiale.

Enfin arrive le jour J. Vêtues de leurs jolis pagnes aux couleurs du drapeau Camerounais, un nombre important de motos les transportent des quatre coins de la ville.


Toutes se dirigent vers le lieu du défilé où les attendent  les personnalités locales (gouverneur, consul, députés, maire, évêque... enfin tout le gratin de la ville de Maroua).

Après l'hymne national et les discours d’usage, les femmes se rangent derrière la bannière représentant leur association. Parfois elles ne seront que 3 ou 4 mais la qualité ne dépend pas du nombre ! L’essentiel est d’être là.


Au passage des 140 délégations, les personnalités applaudissent.

La matinée se termine par le resto pour les plus fortunées ou tout simplement devant quelques bières « 33 Â» dans le café du coin.

Pour certaines cependant le 8 mars ressemble à tous les autres jours. Le long de la route les vendeuses de beignets, de carottes, de tomates... essaient de gagner quelques pièces pour faire vivre leur famille.


Point de 8 mars non plus pour ces nombreuses mamans venues à la consultation avec leur enfant malade. Elles devront patienter encore et encore car il n’y a que 3 hommes infirmiers et la Nassara (la blanche) présents ce jour là. En général, dans notre centre de santé, le lundi il n’est pas rare de voir 60 malades dans la matinée. Bien que ce ne soit pas un jour férié, les 11 femmes qui y travaillent sont absentes, malgré la demande du chef de s’organiser pour une permanence. Pour elles, cette journée du 8 mars semble plus importante que tous ces malades qui devront être encore plus « patients Â» que d’habitude.

Cette désinvolture m'interroge.

Maryvonne

Comment j’ai quitté l’école !

« Allez, raconte, oui raconte. Â». Au Bar des amis les copains attablés sont impatients de la bonne histoire qu’ils ont pourtant déjà entendue cent fois. Nous sommes 6 coopérants DCC à être reçus à Ngong par le club des vétérans. Notre introducteur est Baudoin, volontaire en poste ici depuis plus d’un an, il apparaît parfaitement intégré à ce groupe de sportifs, dont aucun ne louperait cette 3ème mi-temps autour d’une bière.

Depuis notre arrivée, une musique, rythmée et lancinante à la fois, s’échappe d’un baffle posé sur le muret. Elle est suspendue pour les discours d’usage. Un délégué du maire de la commune vient de s’intercaler sur un banc sous l’appentis. Le président du club lui explique qui nous sommes. L’élu dit son plaisir de nous accueillir dans sa ville. Le chargé de mission de la DCC, souligne que les uns et les autres peuvent retirer beaucoup de cet échange de culture. Applaudissements et redémarrage du CD.

Les convives se balancent en cadence et fredonnent le chant : « Tu étais sous mon toit, mais tu as quitté mon toit… Alors je dis vas-t-en, vas-t-en. Je n’en peux plus, peux-plus. Tu m’as déçu, déçu… Â»

Cependant des voix s’élèvent : « Mamoudou, comment t’as laissé l’école ? Â» Et tous de reprendre : « Oui, Mamoudou, raconte comment ça s’est passé.»(1)


Juste ce qu’il faut de faux-fuyant, puis Mamoudou se lève nonchalamment. Le silence se fait. Il passe ses mains sur son ventre arrondi « J’ai un ventre bien plein, mais ma tête l’est beaucoup moins, je vais vous dire pourquoi : Â» (2)

En ce temps-là, je fréquentais l’école normalement. J’avais ma place sur un banc de la classe. Un jour, en géographie, la maîtresse a posé une question : « Qui a été le premier à faire le tour du monde ? Â»

Tous les bons élèves, ceux qui sont devant, ont levé le doigt : « Moi madame ; moi, madame. Â» Mais la maîtresse ne les a pas interrogés. Elle a pointé sa main vers le fond de la classe : « Toi. Â»

Moi, je discutais tranquillement avec mes camarades. J’ai regardé derrière. Il y avait encore une dernière rangée, celle de ceux qui s’appuient contre le mur, aucun d’eux n’avaient le doigt levé.

La maîtresse s’est approchée : « Toi. Â» Elle me pointait. J’ai regardé tout autour, personne n’avait de doigt levé, seulement les bons élèves, ceux qui sont tout devant.

« J’ai dit toi. Â»

« Moi ? ? Mais madame je n’ai pas levé le doigt. Il y a 113 élèves dans la classe, ceux de devant lèvent tous leur doigt, c’est eux qu’il faut interroger. Â»

Elle continuait à me « pointer Â», à m’« indexer Â».

« Elle le pointait, lui ! Â» S’esclaffe une de ses fans. « Elle l’indexait ! Â»

« Je n’ai pas levé le doigt, madame… je ne sais même pas la question que vous avez posée »

« Qui a été le premier à faire le tour du monde ? Â»

« Mais regardez, madame, tous les bons élèves veulent répondre… Moi j’ai pas levé le doigt Â».

« Il n’a pas levé le doigt ! Â» Reprend son admiratrice.

« J’ai dit toi. Â»

Alors, je me suis levé, j’ai mis mon sac en bandoulière et je suis rentré chez moi.

C’est comme ça que j’ai quitté l’école, définitivement !


 (1) Pour les initiés, nous précisons que cette sollicitation nous a aussitôt transportés dans l’ambiance qui précède l’histoire de la « D’gépe Â» (guêpe en gallo) si souvent réclamée à Dominique par sa famille et ses amis.
(2) Ici, il faudrait rehausser notre récit du superbe accent camerounais, et imaginer cette prose avec toute la saveur de ses répétitions progressives qui font durer la narration.

Soigner par épisode

La vie continue...

Il nous semble entendre Arnaud(*) nous susurrer : Regardez, les vivants ont encore besoin de vous, allez, retournez maintenant prendre soin d’eux.

Alors allons-y, allons « soigner par épisode Â» selon la formule des centres de soins du diocèse de Maroua. Quelle drôle d’idée ces soins par épisode ! Ne faudrait-il soigner que de temps en temps ? Ne soigner que par intervalle ?

Mais non, vous l’avez deviné : il s’agit de l’épisode d’une maladie. Evident n’est-ce pas ? Pas si sûr ; tentons d’expliquer un peu.

Dans les 12 centres de soins catholiques du diocèse il est établi qu’un malade n’a pas à repayer le traitement tant qu’il demeure dans le même épisode d’une maladie. Lors de la première consultation, l’infirmier jauge la gravité de la pathologie et note sur le carnet du patient un prix forfaitaire de médicaments. Première difficulté pour notre esprit cartésien, le diagnostic est-il fiable ? …

Est-ce primordial de le savoir ; c’est un forfait n’est-ce pas ? Et puis, c’est pour les médicaments ; et puis, il est fort probable que le malade n’ait pas suffisamment d’argent sur lui pour les payer totalement ce même jour ; et puis, il n’est pas tenu de se les procurer sur place…

Donc, le plus souvent, ces médicaments seront délivrés progressivement, sur plusieurs jours, au prorata de la somme disponible dans la poche du malade ou d’un proche… et le forfait indiqué ne sera pas nécessairement atteint si la guérison survient rapidement. Mais si l’épisode maladif se poursuit, alors les médicaments continueront à être délivrés par le dispensaire, sans que le coût demandé au malade ne dépasse le montant initial noté par l’infirmier consultant (sauf, toutefois, si une nouvelle maladie est découverte par un examen de laboratoire).


Jusqu’ici j’ai surtout évoqué les médicaments, vous avez donc compris que le centre de soins fait office de pharmacie, les comprimés y étant généralement délivrés à l’unité. Mais les consultations, me direz-vous, doit-on payer à chaque visite ?

Hé bien figurez-vous que dans les centres de soins catholiques de ce diocèse, la question ne se pose même pas. L’option y a été prise que toute personne malade puisse bénéficier au moins d’un diagnostic du mal qui la frappe ; alors, la consultation y est toujours gratuite.

 

(*) Voir le billet : Nono est parti

La belle étoile de Jean-Marie

Nous avions découvert son existence sur Internet www.marouapromo.org Alors nous avons sollicité Jean-Marie pour nous y conduire. Mais d’abord, en ce jour de l’an, escale au cimetière de la mission. Une dizaine de tombes sobres dans l’enceinte de l’évêché. De simples passants et des « fondateurs Â» y reposent. Le frère Yves Lescanne est l’initiateur de la « Belle-Etoile Â», un de ses protégés l’a massacré en 2002, pour une poignée de francs.

A l’autre bout de la ville, déjà bien au milieu des champs de mil, un enclos d’un demi-hectare, une cour poussiéreuse, 3 petits bâtiments, une cuisine en extérieur, un puits à l’opposé. Ibrahim et Christine ainsi que Joël et Doris nous accueillent chaleureusement. Ce sont les 2 jeunes couples qui encadrent une vingtaine d’enfants de 4 à 16 ans. Une vingtaine, car les conditions d’accueil dans l’enceinte de la Belle-Etoile sont à dimension variable. Les pensionnaires ont en commun d’être temporairement en danger s’ils restaient dans leur milieu antérieur, le plus souvent la rue.

Ayant fini de se laver (ou de jouer !) autour du puits les enfants arrivent progressivement pour exprimer une « Bonne année mon père Â» et agrandir le cercle que nous formons. Jean-Marie s’enquièrent des absents, plusieurs ayant rejoint leurs familles pour les fêtes. Nous faisons en sorte qu’ils conservent autant de liens que possible avec leurs proches, nous confie-t-il. Echange de friandises, pop-corn et bonbons, la quiétude se lit sur les visages. Bientôt tout le monde est là

On se lève pour le tour de la propriété. Autour du puits un espace de jardinage, chaque enfant est responsable d’un carré (2, 3 m²) qu’il doit planter et arroser ; mais la saison n’est pas propice à la production. Poteaux de buts plantés à chaque extrémité de la cour, Ibrahim évoque les nombreuses parties de foot. Un maître, payé par l’association, vient chaque jour pour une classe multi-niveaux. L’école, simple appentis, abrite quelques bancs démantibulés, Jean-Marie rouspète un peu à la vue de ces bancs dont il exige la réparation au plus vite, par un menuisier au besoin.

L’habitation rudimentaire comporte 5 chambres contigües, un couple à chaque bout et les 3 pièces centrales pour les enfants et les jeunes. Des nattes au sol, une étagère brinquebalante à partager entre tous. Sur chaque porte est placardé le règlement intérieur rédigé par le frère Yves. Article premier : A la Belle-Etoile, aucun enfant n’a le droit de rester affamé…

Photo : La Belle-Etoile sur le site MPH

 

Jean-Marie Pouymiroo est prêtre de la Mission de France. Il travaille en Afrique depuis plus de 40 ans, tout comme son collègue le père Gonzague Dambricourt. Tous deux ont consacré leur vie à la promotion humaine au Cameroun. Depuis notre arrivée nous partageons leurs repas, une chance pour nous de nous enrichir un peu de leur longue expérience… Il est certain que des occasions nous seront bientôt offertes de vous en dire plus sur eux.