L’impensable arrive ! « Interdire le bil bil  ! Non, ce n’est pas possible, les gens n’accepteront jamais, personne ne peut l’empêcher... Â».

Et pourtant un arrêté du préfet de Maroua du 10 août 2010 « interdit la fabrication et la vente du bil bil … en raison de l'épidémie de choléra qui sévit". Près d’un mois plus tard, l’ordonnance semble prendre effet petit à petit. Le préfet explique que « les endroits de vente de ces jus de mil étant essentiellement des lieux de promiscuité et d'insalubrité, ils constituent des points de contamination par essence. Â» (1)

La fabrication et la consommation de bil-bil sont des activités si répandues dans l’Extrême-Nord camerounais que seule une épidémie aussi dangereuse que le choléra s’avère capable d’entamer un peu son emprise.

 

Mais comment fait-on le bilbil ?

A l’image de la Genèse, une semaine pleine est nécessaire aux Camerounais du Nord pour élaborer leur bière de mil.

1er jour et 2ème jour : Cela débute par une nuit d’engloutissement dans l’eau, les grains de mil (sorgho) sont noyés dans des seaux et bassines. Le matin, la céréale est abondamment rincée, jusqu’à 4 lavages, avant d’être religieusement déposée en couche sur une natte, à l’abri de la lumière. Chaque grain débute alors sa germination, entretenue par un arrosage matin et soir.

3ème et 4ème jour : Au petit matin du troisième jour brusque transfert à la lumière, le soleil s’abat sur les jeunes pousses pour les assécher. De larges rectangles marron égaient partout les cours et bords de route.

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Le soir la précieuse denrée est soigneusement ensachée pour passer la nuit en sureté.

 5ème jour : Au cinquième jour, le sac est porté au moulin à moteur, 10 F la « tasse Â» pour la mouture ; en ce 21ème siècle, pilon et mortier se font rares.

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Au retour, le mil broyé est mélangé à une grande quantité d’eau, dans trois canaris placés côte à côte en triangle. Quatre heures plus tard, la farine s’étant déposée au fond, l’eau en excès est transférée dans un canari annexe. Un feu de bois est alors allumé au cœur du triangle formé par les 3 jarres. Brassée régulièrement, la mixture nécessite une demi-journée de chauffe pour atteindre l’ébullition.

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A l’arrêt du feu, l’eau retirée le matin est réincorporée à la bouillie.

6ème jour : Au matin du sixième jour, il faut goûter « jusqu’à ce qu’on ne trouve plus le goût sucré Â». Le jus est filtré au travers d’un sac que l’on essore. La farine rouge enlevée constitue la « drêche Â», que les volailles et porcs ne manqueront pas d’apprécier à sa juste valeur.

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Le feu est rallumé entre les 3 canaris portés à nouveau à ébullition. L’ensemble est fréquemment brassé et les impuretés flottantes sont écumées avec une sorte d’éventail à manche.


A l’extinction du feu on prélève une ou deux calebasses de jus auxquelles on incorpore un résidu de bil bil séché issu des productions précédentes. Avec cette levure (ou une levure de boulanger) la liqueur des calebasses moussent en 2 à 3 heures. Cet ensemencement est alors mêlé au liquide de l’ensemble des jarres. La fermentation œuvre toute une nuit.

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7ème jour : Arrive enfin le septième jour. L’opération du goûter s’impose à nouveau, « Ã§a ne doit plus être sucré Â». Averti de la présence du breuvage par un « drapeau Â» à l’entrée de la concession, chaque consommateur exige d’abord sa part de « goûter Â» avant de débourser 50 francs pour chaque calebasse de nectar.

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Alors, quelle place a le bilbil dans la société ?

Si la fabrication de la bière de mil est domestique, sa consommation dépasse largement les murs de la maisonnée. Traditionnellement le bil bil était fabriqué à l’occasion de 3 ou 4 cérémonies dans l’année. Aujourd’hui, même si elle continue à accompagner les fêtes, cette boisson produite chaque semaine est devenue une activité rémunératrice pour beaucoup de femmes désargentées. Est-ce rentable ? « Ca permet d’acheter le savon ! Â» répond-on le plus souvent à cette question.

En tout cas, depuis quelques années l’offre explose. Il n’y a pas si longtemps, le bil bil n’était présent qu'au marché hebdomadaire. Maintenant c’est pratiquement chaque soir que des petits marchés à bil bil fleurissent dans les quartiers ruraux comme urbains.

La convivialité est au rendez-vous sans doute, mais aussi les tracas inhérents à tout abus. L’alcoolisme populaire, des hommes comme des femmes, amène à un travail réduit, à des revenus dilapidés, à des enfants délaissés…

Sans aller jusqu’à la famine, la disette est l’autre grave facette de l’extension de cette pratique. En effet, la matière première du breuvage est également l’alimentation de base des habitants du Nord-Cameroun. Le mil du bil bil provient des mêmes greniers que la nourriture ! Or beaucoup d’exploitations familiales n’ont aucune marge de réserve sur leur récolte. Alors, pour elles, le rachat d’un seul sac utilisé en boisson pèsera très lourd en fin de saison. J’hésite à avancer ce chiffre car je ne peux pas le vérifier, toutefois plusieurs s’accordent pour dire qu’il y aurait bien 50 % de la production de sorgho de la région qui serait transformé en bil bil !

 

« A certaines choses malheur est bon Â» dit un proverbe de chez nous. Alors peut-être pourrait-on bénir le choléra, s’il contribuait à ramener le bil bil dans le bercail coutumier de la convivialité ?

 

(1) Sur l’interdiction préfectorale du bilbil et son impact dans la ville de Maroua : intéressant article du 12 août 2010 sur www.237online.com