Les 60 billets de ce blog sont autant de tranches de
vie déposées au fil des semaines de l’année 2010 par un couple de
retraités découvrant le Nord-Cameroun et ses habitants.
Ci-après, tous les billets sont en continu, du plus récent au plus ancien.
"Lire la suite..." offre un accès billet par billet, ordre chronologique.
Quels sentiments exprimer au moment de quitter les
habitants de cette belle et chaude région pour retrouver les froidures de
l’Europe ?
Hier soir nous avons invité pour un pot d’au-revoir les
personnes que nous côtoyons depuis un an dans l’environnement du CDD et du
Centre de santé. Les femmes et hommes de ménage, les cuisiniers, les
secrétaires, les gardiens, les intendants, les collègues et les responsables de
nos structures de travail, des voisins aussi… sans oublier les jeunes
coopérants, les pères, les sœurs avec qui nous avons passé de si bons moments.
A tous nous leur avons dit merci.
Merci de l’accueil que chacun à sa manière nous a
réservé. A commencer par la mise à disposition d’un hébergement de qualité, qui
nous a permis d’accueillir à notre tour…
Merci pour les sourires omniprésents, donnés
généreusement, de bon cœur. La joie de vivre africaine est une réalité tangible.
Merci pour les superbes paysages des Monts Mandara.
Avoir des rencontres humaines enrichissantes dans un tel décor est un bonheur
dont on ne se lasse pas.
En venant au Nord-Cameroun nous avions le modeste objectif
de renforcer un peu les liens humains entre nos continents. Nous pensons que les
grands projets de collaboration internationale peuvent gagner en efficacité si
des hommes et des femmes, de part et d’autre, se connaissent mieux.
Amis lecteurs de ce blog, nous avons souhaité vous
associer à notre relation avec cette Afrique à la fois si proche et si
lointaine. Vous avez répondu « présents »
puisque vous avez été 21 « visiteurs uniques par jour » (visiteur
unique signifie qu’un ordinateur n’est compté qu’une fois même s’il se connecte
plusieurs fois le même jour) soit un total de 7 000 visites sur 11 mois.
Au travers des 55 billets composés nous espérons
vous avoir permis de cheminer dans vos idées sur l’Afrique et ses habitants. Nous
avons essayé de varier les sujets… bien sûr la réalité est mille fois plus
fournie ! Nous avons voulu être vrais dans nos narrations… mais tout ne
peut pas être exprimé hors de son contexte vécu !
Au
final, amis lecteurs, acceptez notre grand merci pour nous avoir simplement accompagnés
tout au long de cette année Cameroun2010.
Maryvonne recevant un cadeau de
départ de l’équipe du Centre de santé de Domayo
Le père Théophile, président du
CDD, nous exprimant son au-revoir
Par GL le dimanche 28 novembre 2010 (13:56)
- Le Cameroun
Comment sont reçues les images ? Quelles impressions provoquent-elles
dans l’esprit de ceux qui les regardent ? Conduisent-elles à une assez juste perception
de la réalité ? …
Tout au long de cette année 2010, sur ce blog, nous avons tenté de vous associer à des
morceaux de vie des habitants du Nord-Cameroun. Plusieurs lecteurs
nous ont dit avoir particulièrement apprécié le choix des photos. Merci.
Cependant nous n’avons nullement cherché l’exotique ou le sensationnel,
nous avons simplement voulu rendre compte de quelques rencontres et de quelques
scènes vécues au jour le jour. Ici comme chez nous, les gens vivent avec leurs
bonheurs et leur malheurs, parfois petits, parfois grands… La plupart ont des
vies simples, avec une bonne part de travail quotidien.
Alors voici une dernière série de photos, en hommage aux milliers de
personnes en activités que nous avons côtoyées durant 11 mois. Un grand nombre
sont petits artisans et petits commerçants.
Et puis, ne nous privons pas d’un peu d’insolite !
Par GL le dimanche 21 novembre 2010 (22:30)
- L'agriculture
Rouge est le roi des mils. Ses cousins jaune et blanc ne déméritent pas, cependant
pour tout Nord-Camerounais seul le mil rouge « donne vraiment la force. »
En quelques chaudes journées d’octobre, les intenses verts des champs de sorgho
ont cédé la place à des rouges indéfinissables.
Au sommet des tiges desséchées apparaissent alors les précieux épis. La
récolte est là, toute entière, et nos yeux d’Européens ne peuvent s’empêcher de
penser qu’elle est bien clairsemée...
Une faucille à la main les moissonneurs déposent des javelles.
Le plus souvent les tiges sont dressées en gerbes sur le champ pour
parfaire le séchage.
Parfois les épis sont emportés dans des paniers ou des sacs jusqu’au « hangar »
dans la concession.
Au champ ou à la maison, arrive l’étape du battage, ici le mot a vraiment
gardé son sens premier. Les panicules sont sévèrement battues à coup de branches.
A force de milliers de coups, les solides graines se détachent progressivement
des épillets.
Les grains sont enfin libérés mais mille débris les accompagnent. Le vent
est maintenant appelé à la rescousse pour une épuration. Vigoureusement lancé d’une
calebasse, le mil parcourt un bel arc de cercle. La poussière ne suit pas, elle
revient plutôt à la figure du lanceur ! Quelques épillets se déposent sur
le tas propre, deux balayeurs attentifs les repoussent au fur et à mesure. Remarquez-vous
une légère fumée bleue au centre de l’image ? Quelques brins de paille sont
tenus allumés pour indiquer en permanence au lanceur le sens du vent.
Et si l’on est seule, l’indispensable vannage prend alors la forme d’un
déversement contrôlé à bout de bras.
Ces scènes doivent se répéter depuis la nuit des temps. Dans toute la
région, la totalité de la moisson se fait toujours à la main, sans aucune
mécanisation.
Quel est le rendement de cette récolte ne manquera pas de s’enquérir l’occidental ?
Bien difficile de répondre à cette préoccupation. Traditionnellement chaque
chef de famille gérait secrètement son grenier, il était le seul à connaître le
volume de la récolte. Il rationnait ses protégés selon l’état de la réserve et
mettait son point d’honneur à atteindre la récolte suivante, avec disette
parfois mais sans famine. Aujourd’hui la gestion des récoltes se fait selon des
modalités très différentes, cependant la mesure exacte de la récolte demeure
peu répandue. Disons qu’ici une récolte « normale » serait de 2 à 3 sacs
(de 100 kg) par quart d’ha, soit environ 10 quintaux/ha. Bien entendu certains
font beaucoup plus, mais la maigreur de la culture dans certains champs nous fait
penser que beaucoup font moins !
« Teuf, teuf, teuf… » Le
symptomatique ronronnement du robuste moteur thermique n’échappe à aucune
oreille avertie. Un moulin à mil est en fonctionnement dans le quartier.
Cependant, bien avant le moment de la mise en route du moulin, les habituées ont déjà
déposé, en file, leurs sacs et bassines de grain à moudre.
A l’instar du taxi-brousse qui ne se lance sur la route que lorsque tous
ses sièges sont occupés, le meunier ne démarre son moulin que lorsqu’il est sûr
d’avoir une assez longue séquence de travail. Pas question de laisser le moteur
tourner à vide.
Mil, maïs, soja…, toutes les ménagères sont attentives à la bonne mouture de
ces graines pour réussir une agréable cuisine.
Un paquet de 3 kg, une bassine de 8 kg, un quart de sac (25 kg)… selon le
nombre de bouches à nourrir, la distance au moulin, l’argent disponible pour
payer ce service… tous les volumes se présentent au moulin. Les prix du travail
varient de 10 à 25 F « la tasse », mais est-ce la même tasse de 2 kg
? ? A la louche donc, estimons le coût par famille de 20 à
35 000 F CFA (30 à 50 euros) par an. Cette dépense est loin d’être
négligeable puisque la mouture atteint le prix d’au moins trois sacs de mil à
la récolte, tandis que la consommation annuelle d’un foyer est d’une dizaine de
sacs.
A longueur de journée nous observons des enfants et des femmes parcourant
les routes avec un pochon sur la tête. Nous savons que la plupart du temps il
contient ce grain moulu ou à moudre.
A la ville comme à la campagne le moulin à moteur est devenu une véritable
institution au Nord-Cameroun. Son apparition date de 1985. Progressivement, en
une quinzaine d’années, cette nouvelle pratique a supplanté l’antique écrasement
à la pierre. Aujourd’hui, si chaque case de montagne dispose encore d’une meule
domestique, on ne s’en sert couramment que pour écraser les feuilles à sauce, plus
guère pour les grains.
L’introduction du moulin à moteur dans la région constitue une véritable
révolution culturelle. Dans les discussions des habitants il arrive que de
nouvelles techniques soient encore qualifiées « d’invention des blancs ».
Mais aucun mari n’imaginerait maintenant s’opposer à sa femme sur l’usage du
moulin. Cette innovation est désormais complètement intégrée dans les pratiques
locales.
Jusqu’au début des années 2000, les organismes de développement ont
subventionné la mise en place de moulins communautaires. Quelques uns ont très
bien marché. Les bénéfices dégagés de leur gestion collective ont parfois aidé à
la scolarisation des enfants, ou ont permis du microcrédit.
Cependant, d’importantes difficultés apparaissent fréquemment dans le
fonctionnement de cet outil collectif.
En premier lieu, bien entendu, l’association gestionnaire doit être rigoureuse
et intègre dans les entrées et sorties d’argent. Il en existe.
En second, le meunier, personnage clef du dispositif, doit non seulement
être intègre et rigoureux, mais aussi avoir acquis un bon tour de main pour le
réglage d’une mouture adéquate et disposer de compétences dans l’entretien du
matériel. C’est presque le mouton à 5 pattes !
Enfin, il faut disposer d’un bon moteur. Ce point, qu’on n’imagine même pas
faire problème en Europe, m’apparait ici comme une véritable épine dans le pied.
Les premiers moteurs, comme ceux de la marque Manucycle, valaient chers, mais plusieurs fonctionnent encore après
de nombreuses années. Malheureusement, on ne trouve plus les pièces de rechange
pour continuer à les utiliser. Aujourd’hui, le circuit d’approvisionnement
mécanique passe par le Nigéria voisin, qui lui-même importe de Chine à bon
marché. Aux dires des utilisateurs, ces moteurs nécessitent réparations sur
réparations, et leur consommation en carburant est excessive.
Il s’ensuit des situations critiques. Dans un village par exemple, un bon moteur
de 6 ans n’est plus utilisable par défaut de pièces disponibles à Maroua. Un nouveau
moteur a donc été acheté au Nigéria. Après un an et demi de fonctionnement les
frais de réparations ont déjà englouti l’équivalent de son prix d’achat
(700 000 F CFA, environ 1 000 euros). Sa dernière panne dure depuis plus
d’un mois. Pour trouver un moulin qui fonctionne, une femme de notre
connaissance a dû parcourir deux fois 12 km à pied avec son sac de 25 kg sur la
tête. On nous dit que certaines femmes de ce village reprennent l’écrasement à
la meule de pierre !
Ce petit exemple montre, si nécessaire, la complexité du développement d’un
pays. Ici, le manque de personnes compétentes en mécanique plus la mise en
place d’une « filière moteur » bon marché, conduisent actuellement à une
détérioration du service de mouture, pourtant largement adopté par la
population.
Gageons que l’inventivité africaine trouvera des solutions de rechange pour
cette production de farine afin que l’emploi du temps des femmes continue à
être soulagé.
L’achat d’une meule de pierre taillée à neuf demeurera alors dans le domaine
du loisir.
Il était
temps ! Mon plus jeune frère (Bernard), son fils ainé (Maël) et une sœur
cadette (Solange) sont venus vivre deux semaines avec nous avant que nous
quittions bientôt ce magnifique coin de terre africaine. Ils nous offrent trois
regards (très partiels, nous disent-ils) sur les gens, leur quotidien, leur
environnement. Solange évoque la vie de voisinage, Bernard parle de routes et
de rencontres, quant à Maël son rêve d’espaces indomptés n’est-il pas devenu
réalité ?
Les voisins, les
voisines
« Bonne arrivée, vous êtes ici chez vous. » Paroles Africaines
traditionnelles. Premier cadeau, premier merci.
Nouveaux dans un quartier, vos
premières fréquentations ? Les voisins naturellement.
Nous passâmes donc notre premier
après-midi de découverte accompagnés d’Hortense et de Moïse,
nos « petits voisins ».
Longeant la Villa-Rosa, une
ruelle conduit à la concession familiale. Par une porte tôlée, vous accédez à
leur espace de vie. Une cuisine dans la courette, quatre chambres adossées
contre un mur ; l’une est louée à un étudiant, il ne faut rien négliger.
Là, vous pouvez demander :
la grand-mère, la fille Doudou, la petite-fille Denise. Ce peut être
aussi une autre petite-fille Hortense, Béatrice la petite sœur handicapée, le
petit-fils Moïse, Cette semaine vous ne verrez pas Asta (demi-sœur de Moïse) ni
son fils Saly partis pour quelques jours au village.
Vous ne rencontrerez pas de
papas. Trois sont décédés, ainsi que la maman de Moïse. Le mariage de Doudou n’a
pas marché, le mari d’Asta « a fui ». La maman d’Hortense a disparu
dans la nature…
Si vous êtes un peu perdus, ce
n’est pas trop grave, pour vous tout au moins.
A 28 ans, voici donc Doudou,
promue chef de famille. Doudou est la couturière attitrée de Maryvonne et de
ses visiteurs. Une quarantaine de vêtements réalisés à ce jour.
L’association « Projet Siloé » aide la famille dans
la prise en charge des orphelins : quelques sacs de mil pour la nourriture, le
paiement des frais d’inscription pour l’école. « L’écolage » ainsi
réglé, Moïse et Hortense peuvent « fréquenter » ; une semaine le
matin, une semaine l’après-midi, à l’école publique du quartier.
Etant donné le nombre important
d’élèves, il faut se serrer un peu. Quatre-vingt-douze élèves pour un cours
magistral, sans livre, sans matériel. On écoute, on copie sur le cahier ce qui
est écrit au tableau noir. « Ça va,
non ? »
Les voisins favoris d’Hortense et
de Moïse sont, vous l’aurez déjà deviné, Maryvonne et Gabriel.
Trois coups frappés au portail
métallique : « Ça, c’est
Hortense. » A moins que ce ne soit Moïse, ou peut-être les deux. « Maryvonne, il nous manque un peu de sucre. »
« Gabriel, est-ce que je peux
prendre de l’eau au robinet ? » Sinon, il faut tirer les 18
litres au puits situé à 300 m.
« Maryvonne, j’ai la tête qui me dérange. » Et qui aide Hortense
et Moïse pour les devoirs ? C’est Gabriel. Et qui balaie la cour contre
une petite pièce ? C’est Moïse. « Hortense,
tu ne voudrais pas aller me chercher du pain ? »
Je ne saurai faire la liste
complète des multiples services que se rendent ces voisins-là. Je crois qu’ils
se sont bien apprivoisés.
« Que signifie apprivoiser ? » demanda Le Petit Prince. « Ça signifie créer des liens »
répondit Le Renard. Et bientôt, la séparation… « Bien sûr, je serai triste, dit le Renard, mais… »
Solange, le 5 novembre 2010
Tranche de vie
« Bonjour / bonsoir, ça va ? » « Ça va, ça va. »
« Ça va bien ? » « Ça
va bien je suis debout. »
Tout est là, le premier contact,
la poignée de main, le sourire et le « Bonjour,
bonsoir ça va… ».
Le même rite pour le même échange,
pour s'inquiéter de l'autre. Qui est le plus curieux ? Le noir, le blanc ? Qui
est le plus avide de connaître l'autre ? Sans doute aucun mais les raisons sont
de toutes façons différentes. Ils nous accueillent dans leur pays, dans leur
maison, nous font partager leur amitié, leur repas, nous reçoivent dans leur
cour et nous partageons les arachides nouvellement arrachées pour prendre des
nouvelles de la famille, des champs, des récoltes à venir. Ici tout reste
essentiellement agricole et vivrier pour la majorité des gens de cette région
du nord Cameroun. Une mauvaise récolte et c'est l'année qui s'annonce difficile
sur le plan alimentaire. Les bouches à nourrir sont aussi nombreuses que les
sourires des enfants que nous recevons...
Nous traversons une tranche de
notre Terre, si proche et pourtant si lointaine par ses paysages, ses cultures
et ses coutumes. Nous prenons des leçons de vie, le dénuement et le
dépouillement des gens nous le rappellent à chaque instant : vivre pour vivre
mais sans vraie pauvreté et sans « enviosité »...
La voiture avance, elle ne roule
pas, elle cahote difficilement sur les routes et pistes défoncées.
Nous apercevons la terre
africaine superbe et différente. Nous traversons les villages figés dans le
temps.
Les gens vont, viennent, à pied
pour la plupart. Les moyens de locomotion sont rares et en bien mauvais état.
Les distances sont grandes. « L'évolution » va à son rythme, à
l'africaine. Les enfants crient, saluent, chantent sur le passage du véhicule
rare, et des blancs encore plus rares. Un sourire accompagné d'un petit geste
de la main que nous essayons de rendre au-delà de nos différences…
Qu’avons-nous d'autre à partager
que notre amitié ? Nos désirs, nos valeurs, nos habitudes, notre histoire sont
bien trop différents pour donner ou prendre la leçon dans un sens ou dans
l'autre. Nous sommes des hommes tous pareils mais quand même bien différents
pour vivre à l'identique. Nous croisons nos routes, nous partageons un instant,
une idée et nous nous construisons…
Continuons nos chemins.
Bernard, le 5 novembre 2010
Un rêve au parc de Wasa
Coupure de courant. Il
paraît que c'est fréquent au Cameroun. Ça ne fait rien, doucement, à tâtons, je
me glisse dans le « boukarou » et je m'allonge sur le lit, sous la
moustiquaire. La nuit est déjà tombée depuis au moins deux heures au centre
d'accueil de Wasa. Je ferme les yeux, seul le chant des grillons vient
perturber le silence, il fait si chaud, lentement le sommeil me gagne...
Debout, à l'arrière du
pick-up qui s'avance à toute allure faisant s'envoler sur son passage une
multitude d'insectes (libellules, sauterelles et autres papillons), je profite
du paysage. Magnifique, la savane semble, plus qu'à l'horizon, s'étendre à
l'infini. Ici et là, quelques arbres saupoudrent l'herbe séchée d'un
je-ne-sais-quoi qui superbe le tout.
Je me régale de cette
vision inoubliable de l'Afrique quand le véhicule s'arrête. Je regarde autour
de moi et, au loin, je l’aperçois; grandiose, majestueuse, une girafe. Elles
sont même plusieurs, oui il y en a tout un troupeau ! Elles s'avancent, guidées
par le mâle; non peu fier de son affaire, il tâche de les emmener au point
d'eau le plus proche.
Je descends du pick-up
pour m'approcher, prudemment bien sûr, je ne voudrais pas leur faire peur.
Arrivé à une trentaine de mètres de la procession, je m'installe, j'observe, je
profite du spectacle. Mais qu'est-ce-que je vois là-bas ? Un girafon qui tête
sa mère! Je m'avance, toujours avec précaution, malheureusement j'effraie le
petit qui s'enfuit...
Je me réveille, en
sueur, toujours cette chaleur à laquelle je ne suis habitué. Le jour n'est pas
levé ; je me rendors, le sourire aux lèvres, les rêves plein la tête...
Voisins de quartier en France, Guy et
Jacqueline Arnaud ont tenu à nous rendre visite au Cameroun. Fortement engagés
dans le développement d’un village du Mali, c’est avec un œil expert qu’ils ont
découvert les réalisations de promotion humaine de l’Extrême-Nord camerounais. Ils
acceptent ici de nous partager quelques unes de leurs impressions.
Notre voyage au
Cameroun se voulait être d’abord une rencontre avec Maryvonne et Gaby dans leur
milieu de « travail » depuis maintenant presque un an. Mieux
comprendre leurs missions, les actions engagées, les réussites et aussi les
difficultés rencontrées.
Bien sûr, nous avons
aussi découvert une région, une ville et la plaine de Maroua, des paysages
grandioses comme Rhumsiki au cœur de la montagne des Kapsiki, les monts
Mandara, et la réserve de Wasa.
Nous retiendrons
spontanément 3 coups de cœur :
1. Jéricho
Le centre de formation
de Jéricho à 35 km de Maroua, en pays Mofou, c’est là que Gaby donne des cours
de gestion pour des agriculteurs. Le principe, 12 couples de jeunes agriculteurs
viennent pendant un an recevoir une formation agricole en alternant pratique et
théorie. Chaque couple arrive avec 2 sacs de mil et repart avec la récolte
qu’il aura produite sur la parcelle de terrain attribuée, 1/3 en maïs, 1/3 en
arachide et 1/3 en mil. Lucien, le directeur du centre nous a fait visiter l’exploitation,
le verger et les bâtiments avec passion mais aussi en soulignant les
difficultés.
Chapeau à Monsieur Lucien qui avec patience et ténacité forme ces jeunes couples d’agriculteurs.
De retour dans leurs villages ils devront être aussi des exemples pour les
autres.
2. Rhumsiki
A Rhumsiki, village
pittoresque au cœur des montagnes Kapsiki, en bordure du Nigéria, se dressent à
perte de vue d’immenses pics de lave provenant de cheminées de volcans. L’accès
se fait par une piste longue et difficile. Ce lieu semble être au bout du monde,
mais le plaisir des yeux compense la fatigue.
Le lever et le coucher du soleil donnent des teintes ocre et rouge, pour un paysage
merveilleux que l’on ne se lasse pas de regarder.
Le voyage à Rhumsiki
s’est fait en compagnie d’Amaury et de ses parents. Ce jeune volontaire travaille
dans l’hydraulique villageoise pour la fondation Bethléem de Mouda (lieu de
multiples activités dont l’éducation d’enfants sourds et l’accueil d’enfants
abandonnés). Merci à lui pour nous avoir conduits à bon port.
Au-delà du paysage de
quiétude à la limite du rêve, la rencontre avec Hanna Kouvou, notre hébergeuse
d’un soir dans sa maison à Rhumsiki, fut un bon moment d’échanges, autour de la
« boule de maïs » sauce arachide-oseille et bœuf. Nous avons
apprécié ce moment aussi pour sa simplicité, au cœur de la vie quotidienne de
Hanna se mettant en quatre pour nous. Nous étions ses presque premiers « touristes »
depuis que Marthe « l’Arradonnaise » l’a incitée à ouvrir cette
maison d’hôtes. Beau projet, nous ne pouvons que lui souhaiter plein succès.
Délicieux moments à
tout point de vue, hélas trop courts à notre goût…
3.
Domayo
Le troisième point que
l’on souhaiterait aborder est le travail de Maryvonne au Centre de santé et à la
maternité du quartier de Domayo à Maroua.
Sur le plan technique,
bâtiments, infrastructures, salle d’accouchement, laboratoire pour analyses,
pas de comparaison possible avec les centres de santé en brousse, mal
entretenus et souvent délabrés comme celui de N… que nous avons visité avec
Gaby lors de notre séjour au pays Mofou.
Pour autant Maryvonne
nous confie ses difficultés à mettre en place : une rigueur dans l’application de
règles d’hygiènes élémentaires, une meilleure qualité de l’accueil dans le respect des
personnes, une bonne gestion financière, etc.
Partout dans le centre
on relève la patte de Maryvonne, avec fiches, consignes affichées, soucis de
propreté des locaux, organisation des salles, sans oublier le local détente pour
le personnel. En partant, je lance à ceux présents : « Il faudra continuer comme cela après le
départ de Maryvonne. » Des acquiescements de la tête en forme de
réponses ; affaire à suivre…
Un jour ordinaire dans la « salle d’attente »
du Centre de santé de Domayo à Maroua
Faits divers
Un clin d’œil avant de
quitter Villa-Rosa. Maryvonne n’est pas peu fière de faire prendre une mototaxi
à Jacqueline. Il suffit d’observer les visages : le « clando » ravi
d’être enlacé par Jacqueline, elle-même terrorisée devant l’aventure, tandis
que Maryvonne la rassure. Bref tout s’est bien passé et tous sont arrivés à
destination ; il suffit de se cramponner, n’est-ce pas Jacqueline ?
Et puis, 42 ans après, mais
cette fois avec Gaby et sa famille débarquant de France, ce fut pour moi un
moment fort de repasser par la réserve de Wasa déjà visitée en 1968/1969. Mais
il est vrai, c’était au siècle dernier et les girafes ne m’ont même pas reconnu !
De même concernant
N’Djamena, capitale du Tchad, où j’ai séjourné 1 an dans ma jeunesse. Une
journée de visite en compagnie de Charles-François, Charlotte, Tiphaine et
Vianney, jeunes coopérants qui nous ont guidés avec gentillesse dans la ville.
Merci à eux pour leur disponibilité.
Souvenir, souvenir,
quand tu nous tiens !!!!!!!!
Grand merci à Gaby et Maryvonne qui nous ont supportés pendant ces 10 jours
ensemble. C’est Jacqueline à travers ce dessin qui symbolise le mieux l’action
de nos amis, avec leur cœur et toute la générosité qui les caractérisent. Chapeau,
il faut le faire, vous l’avez fait !
« Vas-tu manger en arrivant chez
toi ? Je mangerais si c’est préparé. » Sous entendu, si ma femme
a fait cuire la boule de mil et la sauce qui l’accompagne, sinon je patienterai
le temps qu’il faudra. En effet, la confection de l’épaisse bouillie de mil nécessite
généralement deux bonnes heures de cuisson au feu de bois.
Au Nord-Cameroun, comme dans beaucoup de régions du monde, il en faut du
bois de chauffe pour que chaque maisonnée prépare sa nourriture quotidienne.
Le circuit commence en brousse par le ramassage de bois sec, la coupe d’un
buisson, l’élagage d’un arbre ou exceptionnellement son abattage.
Dans la région la récolte du bois est particulièrement réglementée. Maroua
et les villages environnants demeurent très arborés parce que la surveillance
des coupes est draconienne. Une contribution de 2 500 F est exigée pour l’élagage
d’un arbre ; un abattage est taxé 150 000 F ; un déracinement
sans autorisation peut mener en prison.
A la campagne, les familles se font des réserves pour quelques semaines ou
quelques mois.
Pour la ville, toute une filière d’approvisionnement fonctionne. Il s’agit
fréquemment d’une vente directe. L’homme de la photo suivante descend de sa
montagne avec un fagot sur la tête. Il a déjà fait 5 km de sentier. Au village
prochain, il va emprunter un vélo pour rejoindre la ville à 35 km. Il escompte
400 F (0,6 euro) pour son paquet.
Ceux qui habitent en bordure d’une route positionnent leur produit en bonne
visibilité.
En vélo, en moto ou en voiture il y aura toujours des acheteurs-revendeurs
pour acheminer l’indispensable produit jusqu’à la consommatrice finale.
Brin par brin la flamme grignotera cette précieuse énergie renouvelable…
mais pas inépuisable.
Aussi la promotion de foyers améliorés, moins gourmands en bois, est une
action conduite ici de longue date. Pour remplacer les 3 pierres
traditionnelles, des forgerons fabriquent des foyers métalliques concentrant
mieux la chaleur. Les foyers fermés en terre sont également assez répandus.
L’achat du combustible culinaire est un poste important pour tout ménage
urbain. A raison de 100 F les trois morceaux, la dépense d’une famille atteint
300 F par jour, soit 9 000 F (près de 15 euros) par mois. Le gaz butane est
une alternative moins onéreuse en consommation (une bouteille de 6 000 F
peut tenir 2 mois) mais il faut d’abord investir dans une gazinière et une bonbonne.
La majorité des familles n’imagine pas épargner plus de 100 000 F pour
cela. En outre, la bouteille initiale est très difficile à trouver et la région
Extrême-Nord connait des ruptures d’approvisionnement en gaz.
Alors, une ONG expérimente dans quelques villages une production locale de
gaz à partir des déjections animales. Quelques kg de bouses dans un « biodigesteur »
domestique suffisent à assurer la cuisson des aliments durant quelques jours.
Les forgerons locaux ont même conçu un foyer adapté aux usages locaux.
En effet, dans la cuisine habituelle, il faut que la marmite soit bien
calée pendant le brassage de la consistante pâte.
Un problème bien identifié est
un problème à moitié résolu. Il doit y avoir du vrai dans
cette maxime, il n’en demeure pas moins qu’il n’est résolu qu’à moitié…
autrement dit pas du tout !
Pas une rencontre sans que l’on entende : « Il faut identifier le problème. » On constitue alors une
commission, on lance une enquête, on réunit les partenaires, au mieux on
élabore un plan d’action. Puis le temps passe… et le problème demeure… et le
problème empire…
Souvenez-vous l’un de nos premiers billets début janvier 2010 : L’envol vers Mokolo. Sur une route bitumée, quelques
nids de poule en passe de devenir des « nids d’autruche »… Chaque
trou y était déjà identifié, ses contours bien marqués à la peinture blanche. Dix
mois plus tard les trous répertoriés sont toujours là et quelques petits
nouveaux sont apparus, pas encore identifiés !
Heureusement, si l’on peut dire, cette route n’est
pas trop fréquentée et la dégradation progresse lentement grâce aux slaloms
permanents des chauffeurs.
Mais sur l’axe principal de Maroua à Kousséri, à
la frontière du Tchad, la situation est catastrophique. Les énormes camions qui
ravitaillent Ndjamena détériorent la chaussée à vue d’œil. Les tronçons encore
en bon état se font de plus en plus rares.
Les habitués nous disent qu’ils parcouraient ces 260 km en 3 heures voici 2
ou 3 ans, aujourd’hui il faut 6 heures au minimum !
Dans la sphère publique, le « non-faire » est légion au Nord-Cameroun.
Les situations sont répertoriées, classées, « priorisées »… puis le
passage à l’acte se fait attendre encore et encore. La société civile est
vraiment trop patiente !
Observons quand même la bouteille à moitié pleine ! Ici ou là nous
avons le grand plaisir de constater quelques travaux efficaces. Un entrepreneur
privé a pris l’initiative de déverser plusieurs camions de sable sur la gadoue
de notre rue, désormais tout le monde peut y passer à pied sec. Un arbre est
tombé accidentellement sur la ligne électrique du quartier et nous nous
apprêtions à deux ou trois jours sans courant ; heureuse surprise, en 24 h
chrono l’électricité a été rétablie. Certaines pistes de la campagne sont
l’objet de travaux réguliers, des responsables locaux trouvent le financement
pour construire des passages d’eau. Puis assurent rapidement leur
désensablement en cas de besoin.
Ailleurs, ce sont des radiers que la population met en œuvre avec l’aide
d’ONG.
Dans les lieux où ça se passe ainsi, je pressens tout le travail de
conscientisation qui a précédé ces travaux et la force de persuasion de
quelques pionniers. Combien d’énergie humaine faut-il donc pour passer du
fonctionnement de sa petite sphère privée à l’investissement concret et
désintéressé dans le bien commun ?
« Combien sont-ils ? … On ne
peut pas savoir. » Leur nom n’est-il pas un diminutif de clandestins ?
Pourtant, à Maroua, ils ne sont plus clandestins du tout depuis bien longtemps. Ils sillonnent la ville du petit matin jusque tard dans la
nuit, bien visibles avec leur gilet fluorescent jaune, chevauchant une moto
jaune elle-aussi. Il n’y a guère que la pluie d’orage qui les arrête
momentanément.
Ici comme dans les autres villes du Cameroun, les « clandos » sont l'appellation populaire des « motos-taximan ».
Les critiques à leur égard foisonnent : imprudents (les accidents ne
manquent pas), voleurs (ils ont une liberté de mouvement qui peut faciliter les
trafics), drogués (pour tenir le coup longtemps)… Mais faut-il que les quelques brebis
galeuses d’une profession ternissent l’image de toute la corporation ?
Personnellement nous les aimons bien. Nous admirons leur courage pour
rouler des heures et des heures sous la chaleur ou dans le froid ; hé oui,
c’est relatif mais ils sont vraiment transis de froid à certains moments. Nous
les trouvons attentifs et serviables. Nous avons rarement eu peur de la
conduite risquée de l’un ou l’autre.
C’est fou tout ce qui peut être transporté sur ces motos-taxis. Les
personnes bien sûr, parfois il s’agit d’un véritable transport en commun ;
pour aller et revenir de l’école par exemple.
En outre, les taximan livrent à domicile une multitude de colis,
valises, bidons, sacs, matériaux, matériels, animaux… Ce moyen de transport se situe à mi chemin entre les déplacements à pied, charrettes ou vélos et ceux en
voitures, bus ou camions.
Tout en étant transportés, il nous arrive d’engager la conversation sur les
conditions de travail. En moyenne, les clandos demeurent en circulation 8
heures chaque jour. Ils se montrent généralement satisfaits de leurs revenus. La
plupart travaillent pour un « patron » à qui ils rendent des comptes.
Cependant, plusieurs nous disent être propriétaires de leur moto.
Dans leur parcours de vie, ils voient ce travail comme une étape
intermédiaire entre l’état de « petit débrouillard » qu’ils avaient
et une situation plus rémunératrice (commerçant par exemple). Ils se lancent
dans cette activité après avoir économisé quelques années, être soutenu par un
« grand frère » ou encore avoir bénéficié d’un héritage… 400 000
F CFA (600 euros) sont nécessaires pour l’investissement de départ : 300 000
F la moto achetée au Nigéria voisin, plus 100 000 F de
« dédouanement » et carte grise.
Les frais fixes se montent à environ 25 000 F/an : assurance, vignette
et licence. Pour cette dernière on dit payer le « gilet » car cette
chasuble porte la même immatriculation que la moto. Les autres frais sont le
carburant (trois litres/jour, soit 1 200 F) et les inévitables réparations.
A raison d'un minimum de 100 F (0,15 euro) la petite course, l'addition peut aller jusqu'à 5 000 F de
rentrées journalières, certains pensent rembourser leur moto en une année.
Ensuite, ils économiseront 3 ou 4 années pour investir dans une nouvelle
affaire.
« Combien de clandos y a-t-il à Maroua ? »
A défaut d’un nombre exact, Maryvonne peut nous délivrer quelques indices. Elle
constate en effet qu’elle a rarement le même chauffeur. Sachant qu’elle utilise une mototaxi
4 à 6 fois par jour, 5 jours par semaine, combien de clandos a-t-elle rencontrés
sur 10 mois ?
« Etre comme un poisson
dans l’eau » voici une expression spontanée que j’évite
de prononcer en vivant au Nord-Cameroun. Avec les trois quarts de l’année sans
une goutte de pluie, les rivières de sable sec ne sont guère hospitalières aux
poissons !
Avec l’arrivée des pluies début juin, nous pensions pouvoir y barboter.
Mais le sable omniprésent « boit » très rapidement de grandes
quantités d’eau. Ainsi, au 11 juillet 2010, après un mois de petites pluies régulières, le mayo Tsanaga demeurait toujours à sec dans son contournement
de Maroua.
Il nous a fallu attendre la seconde semaine d’août pour admirer le
spectacle de l’eau au radier de Makabaye.
Depuis, les pluies étant particulièrement bien réparties cette année,
l’écoulement de l’eau n’a plus cessé. Alors nous ne boudons pas le rafraîchissant
plaisir de quelques promenades lacustres à cent encablures de notre maison.
Sur la voie du radier, l’animation ne cesse pas. Surprise même ce jeudi
après-midi, des pêcheurs sont à la manœuvre en contrebas.
Un jeune m’apprend que ce sont des « professionnels », des pêcheurs nomades qui viennent du lac de Maga, 70 km à l’Est de Maroua. Là-bas la pêche serait suspendue en
cette période afin de permettre la reproduction des poissons. Ici leur
technique est simple : tendu entre deux personnes, un filet ouvert en V est
glissé sur le sable transversalement au courant peu profond.
A l’arrivée sur la rive le filet n’a aucun risque de se rompre, mais
dénicher quelques poissons dans cet environnement habituellement si aride
n’est-ce pas déjà un petit miracle ?
Quant aux taxis-motos, quel plaisir rare que de fendre la vague !
Facile d’expliquer ce qui motive notre visite. Dès le premier geste de la
main se déplaçant gracieusement du menton vers ses interlocuteurs, Maryvonne établit
le contact avec le groupe d’enfants. « Bonjour
à tous. Nous avons un fils sourd, sa femme l’est également. Deux de nos petits-enfants
sont aussi malentendants comme vous. » Ces quelques mots exprimés en langue
des signes font déborder de sourires les visages qui nous découvrent.
Une école ordinaire de ville, une grande cour vaguement délimitée, des
bâtiments aux fenêtres béantes posés ici et là, la voix rocailleuse d’un maître
arrivant jusqu’à nos oreilles… une école primaire banale en apparence. Sœur
Alda nous explique que sur la douzaine de classes, quatre sont spécialisées
pour des enfants malentendants.
Commençons par la classe de CP ; premier étonnement, toutes les tailles,
tous les âges ! « Nous nous
déplaçons dans les villages pour encourager la venue dans cet enseignement
adapté. » Les parents ne voient pas l’intérêt de scolariser un enfant sourd, d’autant plus qu’il est généralement l’excellent berger dont la
famille a besoin tout au long de l’année.
Sabine conduit sa classe avec une grande maitrise. Séquence math.
Vérification préalable, chaque élève a bien sa craie et son ardoise. Trois
coups sur la table, « Attention je
montre le chiffre » : tous les doigts d’une main déployée. Chacun
griffonne sur son ardoise et présente son résultat. Signe d’approbation pour
certains, sourire de soutien pour les autres. Réponses aussi disparates que les
tailles ! On passe à la séquence « Plus grand - plus petit ». Un
petit arbre, un grand arbre ; un tabouret, une armoire ; un mouton,
une poule ; une élève, la maîtresse ! Bonne humeur générale, la
notion rentre petit à petit.
Passage en CE1-CE2. Bouba est en pleine séance d’apprentissage du « Notre
père » en langue des signes. Un grand cercle du bras vers l’avant pour
signifier « Notre », l’emplacement de la moustache du papa pour
« père », la main se déplaçant en demi-cercle au dessus de la tête
pour « qui es aux cieux »…
« Je fais, vous me regardez… On
fait ensemble… Toi, puis toi, venez montrer à tous… »
La progression est méthodique. Nous percevons des enseignants motivés pour
cet enseignement spécialisé. Ils ont le statut de maître de l’enseignement
privé catholique, mais leur salaire est pris en charge par une petite
association italienne. Le diocèse italien qui la soutient et la paroisse de
Mokolo se sont beaucoup investis dans la naissance de cette école intégrée,
avec un internat en parallèle.
Jusqu’à maintenant, les familles des environs voulant scolariser un enfant
malentendant devaient l’envoyer au centre spécialisé de Mouda à plus de 100 km.
L’école de Mouda a procuré une première formation aux enseignants de Mokolo,
tandis qu’une autre équipe (le Codas du diocèse de Garoua) accepte d’assurer un
suivi pédagogique pour cette nouvelle structure.
Sœur Alda nous dit qu’ici les sourds ne semblent pas rejetés dans leur
milieu de vie habituel, ils sont de bons travailleurs manuels et leur entourage
développe assez spontanément avec eux une communication gestuelle minimale.
Toutefois beaucoup de leurs potentialités ne peuvent pas se développer dans un
enseignement exclusivement oral. Nous constatons aussi que plusieurs sont
malentendants légers, il suffit d’un enseignement adapté pour qu’ils
progressent rapidement.
Cœur voyant
« J’ai senti l’étonnement de Gabriel lorsque j’ai évoqué que l’un de nos
pensionnaires avait gagné de l’argent en travaillant sur un chantier de
maçonnerie. »
Rien n’échappe à Emmanuel, directeur du Centre des aveugles de Mokolo,
lui-même aveugle. Il poursuit « Au
Cameroun une loi sur l’emploi des handicapés existe, mais elle n’est pas du
tout appliquée. Pourtant, je pense vraiment qu’il n’y a guère de métiers qui
soient impossibles aux malvoyants. Sur un chantier de construction, il suffit que
je l’organise moi-même, je sais où je pose les choses et j’y arrive. »
Particulièrement volontaire donc ce pionnier. « J’avais quitté l’école. C’est le père Yves Tabart qui m’a encouragé :
« Ne reste pas comme ça à rien faire. » Après hésitation j’ai accepté de descendre au Sud pour apprendre le
braille. » « J’aurais pu rester
à enseigner là-bas, mais j’ai pensé à ma région du Nord tellement démunie… »
Dans sa ville de Mokolo, nouvelle rencontre, nouveau cheminement avec un prêtre
plein de foi en l’homme. Le père Giusto, jeune Italien, qui ne supporte pas la
relégation sociale imposée aux handicapés. A force de persévérance partagée, l’école
spécialisée sort de terre.
Trente personnes non voyantes y sont accueillies en internat. L’encadrement
est minimum, 4 hommes et une cuisinière.
Les plus jeunes étudient, les plus âgés se forment en travaillant à divers
métiers.
Dans les collines environnantes les aveugles semblent très mal vus. Ce sont
des bouches à nourrir et l’on accepte difficilement de consentir quelques
efforts complémentaires pour les scolariser, d’autant plus qu’un mauvais sort
les aurait frappés pour les rapprocher des serpents…
Notre visite aura été rapide, mais en quittant ce centre, nous sommes une
nouvelle fois bouleversés de sentir combien certains hommes trouvent les moyens
de déplacer des montagnes lorsque leur cœur se met à voir.
Par GL le dimanche 19 septembre 2010 (15:21)
- Le Cameroun
L’Afrique aime les
couleurs. Elle n’a pas son pareil pour s’habiller de teintes étonnantes mais
toujours harmonieuses. Au-delà du bonheur des yeux, il arrive que les vêtements
portent aussi un message. Fréquemment, des pagnes sont imprimés avec
l’information voulue pour célébrer un événement institutionnel, parfois même un
pagne accompagne une fête privée comme un grand mariage par exemple.
Maintenant, amis
lecteurs, nos modèles sont heureux de vous présenter notre mini collection 2010.
Des hauts et des bas en politique, le Président s’affiche
Cinquantenaire du Cameroun, choisissez votre couleur
La Chine aime le Cameroun, et réciproquement
Fiers de nos paroisses
Fière de sa tribu évangélisée
Immaculata en vedette
Intermède
La cause des femmes au Cameroun
La cause des femmes, au Tchad aussi
Journée de l’enseignant
Restons sport
Bouquet final, les 3 couleurs du drapeau
camerounais (Journée de la femme 8 mars 2010)
Quelques données pour ceux qui aimeraient singulariser
leur prochaine fête :
- Il
vous faut commander un minimum de 500 pièces de 6 yards (1 yard = 0,9144 mètre).
- Dessiner une maquette à votre
goût, sans oublier quelques slogans percutants.
- Débourser environ 3 500 000 F
CFA (5 000 euros) pour vos 500 pagnes.
- Patienter au moins 2 mois avant la
livraison, qui vous arrivera de Douala.
Il ne vous reste plus qu’à être persuasif
auprès de votre réseau d’amis et connaissances pour écouler un maximum de
pièces à 7 000 F CFA l’unité (10 euros).
Bien sûr, vos acheteurs ne
manqueront pas d’être inventifs pour confectionner : robes, pantalons, chemises,
jupes, foulards… qu’ils porteront joyeusement le grand jour.
Sachez aussi que, bien au-delà de
la date de votre fête, vous croiserez certainement votre création dans les rues
pendant de nombreuses années... au Cameroun tout au moins.
« Choisir entre la peste
ou le choléra », dans notre imaginaire
européen du 21ème siècle cette expression se réduit généralement à l’embarras
d’une alternative « entre deux maux… ».
Au Nord-Cameroun, après 6 ou 7 années d’accalmie, le choléra arrache à
nouveau des vies. En ce début septembre 2010, les statistiques officielles précisent :
312 décès sur 5 412 cas déclarés.
Combien non déclarés ? ?
Que sait-on du choléra ?
« Péril fécal » serinent
les spécialistes s’exprimant longuement sur les radios locales. Parfois, au
détour d’une phrase, on entend « Il
faut souvent se laver les mains… ». Hé oui, dit très simplement, le
choléra est essentiellement une maladie
des « mains sales ».
Heureusement, les actes sont parfois plus explicites que les paroles. Dans
les réceptions, les « élites» prennent l’initiative de se laver les mains
avant le buffet. Lors des annonces pratiques qui ponctuent chaque fin de messe,
nous n’avons pas eu besoin de traduction pour comprendre le geste du catéchiste
conduisant sa main de l’arrière de ses fesses à sa bouche !
De façon tout aussi claire, une fiche illustrée, éditée en 2000 par le CDD,
est rediffusée dans les paroisses.
Le choléra est une maladie intestinale causée par une bactérie, le vibrion
cholérique. L’incubation est brève, 2 à 3 jours, ou seulement quelques heures
en période d’épidémie. Le début est brutal : douleurs d’estomac et
angoisses suivies immédiatement de diarrhées violentes et de vomissements abondants.
En quelques heures, les pertes digestives peuvent atteindre plusieurs litres
(20 à 100 selles par jour !). Le malade décède rapidement s’il n’est pas
réhydraté.
La contamination se fait par l’eau souillée. Les excréments humains infestés
se diffusent dans la nature par les écoulements d’eau et par les mouches.
Outre les conseils de
prévention à la radio, les pouvoirs publics diffusent des images colorées.
De nombreuses autres
informations sont placardées dans les centres de santé.
Aspect positif tout de même, le choléra est une maladie facile à traiter. La
prise rapide de sels de réhydratation orale (SRO) pour remplacer le liquide perdu
permet presque toujours de guérir le malade. Des perfusions intraveineuses sont
mises en place pour agir plus rapidement.
Pour l’entourage, la propreté doit être accentuée. Dans les centres de
santé, un seau d’eau javellisée est mis à la disposition des visiteurs pour se
laver les mains. Et un traitement préventif (antibiotique) peut être proposé.
Aujourd’hui, le nombre de malades accueillis dans les dispensaires se
stabilise. Les personnels de santé sont exténués après plusieurs semaines
intensives. De leur côté, les responsables se demandent s’ils pourront assurer
les salaires. Le gouvernement a institué la gratuité des soins et des
médicaments pour les cholériques… mais la contrepartie risque d’être longtemps
attendue !
Pourquoi cette recrudescence
du choléra ?
On dit que le
prêtre-médecin de Tokombéré, le père Christian Aurenche, est particulièrement
fâché de constater ce retour du choléra. Cela traduit directement une
dégradation des conditions générales d’hygiène dans la région, une forte baisse
de vigilance de la population à l’égard de sa propre santé. (voir le
billet : Un hôpital de brousse)
La pauvreté est sans
doute une cause importante de l’épidémie. Par exemple, en l’absence d’eau
potable les gens ne peuvent guère
respecter les règles d’hygiène élémentaire. Mais il y a aussi de la désinvolture :
« On n’a pas la chance »,
« C’est la faute du sorcier »,
« On ne va pas changer nos habitudes
pour ça ! », par exemple veiller le mort au plus près et même porter
son pagne !
Les réglementations émises par les autorités sont souvent prises à la légère : l’obligation
d’avoir les latrines et de les utiliser, l’interdiction de fabrication et de
vente de bil-bil, l’interdiction de commercialiser des plats cuisinés sur la
rue… un vœu pieux sachant que pour certains cette activité est leur seul
gagne-pain.
Pour plagier l’expression favorite de nos amis Camerounais : entre
deux maux « On fait comment ? »
pour choisir le moindre ?
L’impensable arrive ! «Interdire le bil bil ! Non, ce
n’est pas possible, les gens n’accepteront jamais, personne ne peut l’empêcher... ».
Et pourtant un arrêté du préfet de Maroua du 10 août 2010 « interdit la fabrication et la vente du bil bil
… en raison de l'épidémie de choléra qui sévit". Près d’un mois plus
tard, l’ordonnance semble prendre effet petit à petit. Le préfet explique que « les endroits de vente de ces jus de mil
étant essentiellement des lieux de promiscuité et d'insalubrité, ils
constituent des points de contamination par essence. » (1)
La fabrication et la consommation de bil-bil sont des activités si répandues
dans l’Extrême-Nord camerounais que seule une épidémie aussi dangereuse que le
choléra s’avère capable d’entamer un peu son emprise.
Mais comment fait-on le bilbil ?
A l’image de la Genèse, une semaine pleine est nécessaire aux Camerounais du
Nord pour élaborer leur bière de mil.
1er jour et 2ème jour : Cela débute par une nuit d’engloutissement dans l’eau, les grains de
mil (sorgho) sont noyés dans des seaux et bassines. Le matin, la
céréale est abondamment rincée, jusqu’à 4 lavages, avant d’être religieusement
déposée en couche sur une natte, à l’abri de la lumière. Chaque grain débute alors
sa germination, entretenue par un arrosage matin et soir.
3ème et 4ème jour : Au petit matin
du troisième jour brusque transfert à la lumière, le soleil s’abat sur les
jeunes pousses pour les assécher. De larges rectangles marron égaient partout les
cours et bords de route.
Le soir la précieuse denrée est soigneusement ensachée pour passer la nuit
en sureté.
5ème jour : Au cinquième jour, le
sac est porté au moulin à moteur, 10 F la « tasse » pour la mouture ; en ce 21ème
siècle, pilon et mortier se font rares.
Au retour, le mil broyé est mélangé à une grande quantité d’eau, dans trois
canaris placés côte à côte en triangle. Quatre heures plus tard, la farine
s’étant déposée au fond, l’eau en excès est transférée dans un canari annexe. Un
feu de bois est alors allumé au cœur du triangle formé par les 3 jarres. Brassée
régulièrement, la mixture nécessite une demi-journée de chauffe pour atteindre
l’ébullition.
A l’arrêt du feu, l’eau retirée le matin est réincorporée à la bouillie.
6ème jour : Au matin du sixième
jour, il faut goûter « jusqu’à ce qu’on ne trouve plus le goût sucré ».
Le jus est filtré au travers d’un sac que l’on essore. La farine rouge enlevée
constitue la « drêche », que les volailles et porcs ne manqueront pas
d’apprécier à sa juste valeur.
Le feu est rallumé entre les 3 canaris portés à nouveau à ébullition.
L’ensemble est fréquemment brassé et les impuretés flottantes sont écumées avec
une sorte d’éventail à manche.
A l’extinction du feu on prélève une ou deux calebasses de jus auxquelles
on incorpore un résidu de bil bil séché issu des productions précédentes. Avec
cette levure (ou une levure de boulanger) la liqueur des calebasses moussent en
2 à 3 heures. Cet ensemencement est alors mêlé au liquide de l’ensemble des
jarres. La fermentation œuvre toute une nuit.
7ème jour : Arrive enfin le
septième jour. L’opération du goûter s’impose à nouveau, « ça ne doit plus
être sucré ». Averti de la présence du breuvage par un
« drapeau » à l’entrée de la concession, chaque consommateur exige
d’abord sa part de « goûter » avant de débourser 50 francs pour chaque
calebasse de nectar.
Alors, quelle place a le
bilbil dans la société ?
Si la fabrication de la bière de mil est domestique, sa consommation
dépasse largement les murs de la maisonnée. Traditionnellement le bil bil était
fabriqué à l’occasion de 3 ou 4 cérémonies dans l’année. Aujourd’hui, même si
elle continue à accompagner les fêtes, cette boisson produite chaque semaine est
devenue une activité rémunératrice pour beaucoup de femmes désargentées. Est-ce
rentable ? « Ca permet
d’acheter le savon ! » répond-on le plus souvent à cette
question.
En tout cas, depuis quelques années l’offre explose. Il n’y a pas si
longtemps, le bil bil n’était présent qu'au marché hebdomadaire.
Maintenant c’est pratiquement chaque soir que des petits marchés à bil bil
fleurissent dans les quartiers ruraux comme urbains.
La convivialité est au rendez-vous sans doute, mais aussi les tracas
inhérents à tout abus. L’alcoolisme populaire, des hommes comme des femmes, amène
à un travail réduit, à des revenus dilapidés, à des enfants délaissés…
Sans aller jusqu’à la famine, la disette est l’autre grave facette de
l’extension de cette pratique. En effet, la matière première du breuvage est
également l’alimentation de base des habitants du Nord-Cameroun. Le mil du bil
bil provient des mêmes greniers que la nourriture ! Or beaucoup
d’exploitations familiales n’ont aucune marge de réserve sur leur récolte. Alors,
pour elles, le rachat d’un seul sac utilisé en boisson pèsera très lourd en fin
de saison. J’hésite à avancer ce chiffre car je ne peux pas le vérifier,
toutefois plusieurs s’accordent pour dire qu’il y aurait bien 50 % de la
production de sorgho de la région qui serait transformé en bil bil !
« A certaines choses malheur est
bon » dit un proverbe de chez nous. Alors peut-être pourrait-on bénir
le choléra, s’il contribuait à ramener le bil bil dans le bercail coutumier de
la convivialité ?
(1) Sur
l’interdiction préfectorale du bilbil et son impact dans la ville de Maroua :
intéressant article du 12 août 2010 sur www.237online.com
La générosité des jeunes est-elle encore à
démontrer ?Il suffit qu’elle se double d’une bonne fibre pédagogique,
d’une tête bien faite et de mains besogneuses pour que des portes s’ouvrent. Suite
à sa demande fin avril, nous avons assez vite fait le rapprochement entre le
souhait de bénévolat d’Anne-Gaïdic Le Galliot et les besoins d’aide de la
famille d’accueil d’orphelins que nous connaissions à Maroua. Déjà au
terme de ses 3 mois d’accompagnement, « Anga »
nous présente ce lieu de vie et les activités auxquelles elle a largement pris
part.
Ci-dessus, la fresque qui accueille tout visiteur
que les pas ont conduit jusqu’à l’orphelinat. Assis sur une chaise ou sur une
natte selon sa préférence, on lui offre traditionnellement l’eau fraîche puisée
dans le canari et il peut se reposer tout en échangeant avec ses hôtes.
C’est suite à l’initiative courageuse de Martine et Thierry que
l’orphelinat Daniel Brottier a vu le jour. Baptisé ainsi en référence à celui
qui souhaitait post-mortem faire tomber des pluies de billets de banques sur sa
fondation, l’orphelinat s’est construit dans un quartier sauvage de Maroua,
dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Sauvage, car ici il n’y a pas de route ;
on est en ville mais on se sent un peu en brousse, et le paysage des
habitations donne l’impression d’un paquet de mikado lancé au hasard… Malgré
cela, au fil des années, l’orphelinat s’est agrandi, et d’un bâtiment principal
hébergeant le couple ainsi que quelques enfants à l’origine, il est aujourd’hui
doté de quatre bâtiments, trois enclos à chèvres, poules ou canards, et même
d’une pisciculture. Le restant du terrain d’environ un demi-hectare est utilisé
par endroit comme champ où sont cultivés mil, maïs et divers légumes, par
endroit comme aire de jeu où il fait bon s’amuser en compagnie des enfants.
Martine et Thierry fréquentaient le foyer de charité de N’Gaoundéré, avant
la fermeture de la maison d’accueil des orphelins. Tristes et révoltés de
constater que les orphelins vont l’être pour la deuxième fois, ils décident de
leur offrir une famille dans laquelle grandir. Réunis par ce projet et par
l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre, ils décident également de se marier, et
ainsi de diversifier les couleurs de l’orphelinat : elle est camerounaise,
il est français, elle est noire, il est blanc.
L’orphelinat est désormais sur pied, en réalité il tient plus lieu de
grande famille d’accueil où petits et grands cohabitent. Aujourd’hui, la maison
abrite une vingtaine d’enfants, dont les âges varient de 8 mois à 23 ans.
Durant l’année, la plupart d’entre eux sont scolarisés. A l’arrivée de la
saison des pluies, de juin à août, chacun rentre pour les vacances. Afin de
permettre aux plus grands de changer d’air, les parents de Martine, restés au
village, ainsi que certaines de ses sœurs résidant les villes voisines de
Maroua, en accueillent certains, puis d’autres, pour quelques semaines. Ainsi,
il y a toujours beaucoup d’allers et venues, renforcés par les nombreuses
visites inattendues d’amis, de voisins, de parents. Les plus jeunes, quant à
eux, passent beaucoup de temps et d’énergie à jouer dans l’enceinte de la
fondation. C’est donc pour eux que cette année j’ai été accueillie, m’occupant
principalement de six enfants âgés de 3 à 11 ans.
Chaque matin, après le petit-déjeuner constitué d’une bouillie sucrée de
mil, il faut procéder à la « répétition », c’est-à-dire
l’apprentissage scolaire, afin de bien préparer la rentrée de septembre. Puis,
lorsqu’il ne pleut pas, il faut parfois labourer, semer, sarcler ou participer
d’une quelconque autre manière au labeur des champs. En effet, les petits
enfants sont également mis à contribution, mais seulement pour de menus
travaux.
Sinon, le temps est libre. On s’amuse, on joue, on fait des coloriages, on
prépare un gâteau au four traditionnel, on va au marché, on lit un conte, on se
promène dans le quartier, on construit un Twister, et de temps en temps, on
fait même sauter des crêpes… moult activités permettant aux enfants d’exprimer
leur créativité. Ensuite, c’est le repas de midi, préparé par Jacqueline, la
cuisinière. Une boule de mil accompagnée d’une sauce de légumes, agrémentée
parfois de viande ou de poisson, que l’on partage dans le même plat, par petits
groupes, après s’être soigneusement lavé les mains.
Pour les plus jeunes, vient alors l’heure de la sieste. Moment toujours un
peu difficile pour eux, qui préfèreraient le rentabiliser à jouer, mais qui
peut soulager les plus grands ! Les enfants en tirent tout de même une
heureuse compensation ; à la sortie de la sieste, on se réunit pour le
goûter. Puis le temps est libre à nouveau, sans risque cette fois de travailler
au champ car il fait bien trop chaud ! Ainsi passe la journée, jusqu’au
soir. Il est maintenant l’heure de laver les enfants, puis de leur servir le
dîner, avant le rituel de la prière, qui réunit tous les membres de cette
grande famille pour chanter à la cadence du Tam-tam. Avant de coucher les plus
jeunes, il est incontournable de les installer devant leur feuilleton ivoirien
préféré ! Enfin, ici on est quand même en Afrique, le rythme c’est donc
couché-tôt, levé-tôt. A 20 heures, les enfants, obéissants, regagnent leur lit.
Pour les plus âgés, la
soirée se prolonge souvent par des parties de cartes ou par des discussions
animées. Le lendemain, dès 6 heures, la vie bat déjà son plein…
Toujours délicat d’évoquer les petits, ou grands, travers des gens chez qui
vous habitez. Sur ce blog nous restons plutôt discrets sur ce qui nous agace
dans la société camerounaise. Toutefois le
rapport à l’argent illicite nous paraît si prégnant au Nord-Cameroun que
nous ne pouvons continuellement demeurer muets sur ce thème.
Commençons par préciser d’emblée qu’à titre personnel nous ne subissons
guère les sollicitations illégales communément infligées aux habitants.
Probablement parce que nous ne sommes pas dans les affaires, et sans doute
aussi parce que nous bénéficions de l’image plutôt intègre de la mission
catholique. Lors des contrôles routiers par exemple, nous ne tardons guère à
signaler que nous travaillons pour elle, cela facilite grandement
l’installation d’une cordialité.
Une corruption endémique
Par contre, la plupart des citoyens sont confrontés très directement à une corruption
endémique. Un Camerounais sur deux reconnaît avoir payé un bakchich au moins
une fois dans l’année. Dans l’Indice de
perception de la corruption 2009 de l’ONG « Transparence internationale », le Cameroun est en bas
du tableau, au 146ème rang sur 180 pays. Signalons au passage que la France s’accroche
au 24ème rang, ce qui n’est quand même pas si glorieux, puisque 23 pays au
monde se perçoivent plus intègres que nous !
De haut en bas de la société camerounaise les dérèglements existent. En
bas, ça se joue en milliers de francs, en haut ce sont des milliards ! Les
Camerounais évoquent assez facilement cette facette de leur vie nationale. Ils
semblent l’avoir intégrée comme une normalité. Là où nous nous attendrions à un
sentiment de révolte, on entend plutôt de grands éclats de rire, comme une
admiration pour la débrouillardise de ceux qui spolient leurs concitoyens.
Peut-être s’agit-il simplement d’une « sagesse » face à l’inéluctable ?
« Mieux vaut en rire que d’en
pleurer ! »
Des histoires par dizaines
Des histoires nous en entendons par dizaines, sans garantie d’authenticité.
En voici trois brèves.
Le choléra, une bonne aubaine. Ces derniers temps le
choléra sévit. Des agents passent dans les concessions pour vérifier
l’existence de latrines. Dans chaque maison sans toilettes, un billet de mille
francs glissé dans la main du contrôleur évite qu’un procès verbal soit dressé.
On se dit, l’autorité de tutelle ne peut-elle pas vérifier ? Première
hypothèse, cette autorité est de mèche et aura « sa part ». Seconde
hypothèse, les agents ont pris d’eux-mêmes l’initiative de ce passage, ça s’est
déjà vu !
Une peine juste. Un jeune homme se retrouve
en prison pour avoir bousculé un policier en civil. Famille et amis se
mobilisent. Ils rencontrent le policier qui leur fait comprendre que l’affaire
peut s’arrêter là si…Quelques milliers de francs lui sont donc remis. Il signe
un document disant qu’il abandonne sa plainte. Mais le jeune homme demeure en
prison plus d’un mois. Alors, un homme bien placé verse 150 000 F pour les
« hautes autorités ». Le verdict enfin rendu se limitera à une amende
de 40 000 F, probablement à hauteur de ce que prévoit le code pour le
comportement incriminé. En tout cas c’est la seule trace qui restera dans les
registres officiels.
Affichage masqué : Le bar est fermé, mais
sur la porte une missive de l’Inspection signalant un défaut d’affichage des
prix. Le tenancier se rend à l’Inspection. « Comment pouvez-vous dire que je n’ai pas affiché mes prix alors que
vous n’êtes pas rentrés. » « Nous
avons regardé par la fenêtre… » Inutile d’ergoter, quand un papier a
été déposé chacun sait « qu’il a un coût ». « Combien voulez-vous ? »,
« 10 000 », « Mais je ne les gagne pas ! »
L’affaire se conclura par un billet de 5 000 F de la main à la main.
Une corruption multiforme
Ces 3 exemples sont loin de refléter toutes les formes que peut prendre la
corruption. Au plus bas niveau ce sera l’attente d’une petite récompense pour
que le service soit simplement rendu dans un temps correct (par ex. l’infirmière
dans la fonction publique qui tarde un peu, beaucoup, à placer la perfusion
prescrite). A l’autre bout de la chaîne ça se joue en milliards sur des
chantiers ou des contrats de services.
Entre les deux, la panoplie des pratiques est très diversifiée. Parfois personne ne semble vraiment savoir
ce qui est « normal » et ce qui ne l’est pas. Ainsi, selon la
Constitution camerounaise la terre appartient à l’Etat. Cependant tout le monde
trouve normal de « l’acheter » au chef traditionnel, sans titre foncier
évidemment. Voir le billet : Paysan
cherche terre.
Autre exemple, un emploi bien placé ne sera attribué qu’à celui qui aura
suffisamment « arrosé » les responsables de l’embauche. Si l’emploi
est « rémunérateur », la somme peut atteindre des millions… et la
famille se solidarise pour la trouver !
Au nom de la solidarité !
Hé oui, parce qu’il y a « solidarité » dans tout ça. Dans les 2
sens. On t’aide à bien te placer, tu nous aideras quand nous en aurons besoin.
De mon point de vue c’est là
que le bât blesse.
Car pour être à la hauteur des attentes de ses « bienfaiteurs »
le bénéficiaire va devoir reconduire le système. Pour répondre à
« l’investissement » qui a été fait sur lui, ses revenus normaux
risquent fort d’être trop courts, il s’autorisera l’acceptation de subsides par
des moyens peu avouables.
Certains disent : «OK, ce n’est
pas notre système, mais ça fonctionne, ça marche. »
C’est vrai qu’une économie fonctionne. De grosses disparités excitent mais
un partage existe aussi. On dit fréquemment ici que ceux qui sont bien placés
ne resteraient pas longtemps à leur rang s’ils ne redistribuaient pas une
partie de leurs avantages. Voir le billet : Economie personnalisée.
Services collectifs abandonnés
Mais, tout généreux qu’ils soient, ces transferts ne répondent qu’à des
logiques privées, sans coordination collective. Les grands perdants de ce
système sont donc les services publics et les équipements collectifs,
c'est-à-dire tous les services indispensables à chacun pour mieux vivre en
société.
Faut-il encore des exemples ? Les routes sont dans un état déplorable
parce que l’argent collecté pour leur entretien s’évapore sur le parcours avant
même que le travail ne commence ; des motocyclistes se tuent dans les
trous, tous les véhicules se déglinguent… Des élèves « étudient » à
80 par classe, les parents soucieux de la progression de leurs enfants sont
obligés de payer cher des répétiteurs du soir.
On pourrait continuer avec la santé publique pitoyable, les problèmes d’eau
et d’hygiène, les services administratifs bloquant sans raison les
entrepreneurs, etc.
« On va faire
comment ? »
Tout le monde pâtit de ce système, et pourtant il perdure. « On va faire comment ? » ne
cessent de répéter les Camerounais.
Sans doute, beaucoup s’entretiennent-ils dans l’illusion d’y trouver plus
d’avantages que d’inconvénients… du moins à court terme.
Il nous semble qu’il y a quand même des perdants immédiats : la masse
des plus pauvres en relations familiales, des démunis en savoir, des frappés
par la maladie ou le handicap… Ceux-là souffrent particulièrement.
Honnête envers et contre tout
Bien entendu, des gens honnêtes existent. Ils sont nombreux aussi, mais on
ne les entend guère. Le bien ne fait pas de bruit, n’est-ce pas ?
Par exemple ce jeune inspecteur d’académie qui refuse
« l’enveloppe » préparée à son intention par un responsable
d’établissement. « C’est l’argent de
mes petits frères qui est là dedans ! » En fermant les yeux sur l’absence,
ou le détournement, d’achats en matériel et fournitures c’est l’ensemble des
élèves qui est pénalisé.
Nous connaissons des infirmiers proches des malades, des instituteurs
attentifs et respectueux des enfants, des animateurs engagés et courageux… Bref,
beaucoup de personnes honnêtes qui se satisfont de revenus gagnés honnêtement.
Elles se refusent à la « tradition » de se servir subrepticement dans
l’argent qui passe devant soi. Espérons que leur exemple s’imposera, pour le
plus grand bien de toute la société camerounaise.
Traquons l’injustice chez nous
Tout en rédigeant ce billet me reviennent en mémoire des paroles entendues dans
une conférence à Paris, vers 1970. Le conférencier était le Brésilien Dom
Helder Camara, appelé aussi l’évêque des pauvres. Il disait en substance :
« Vous voyez que notre société
brésilienne fonctionne mal et vous avez une grande envie de venir nous aider.
C’est très généreux de votre part et je vous en remercie. Cependant, nous
sommes déjà au travail pour améliorer petit à petit notre situation. Alors,
chers amis, peut-être pourriez-vous regarder plus attentivement les situations
qui vous entourent au plus proche ? Partout où vous dénicherez de
l’injustice, attelez-vous pour la combattre. Sachez qu’en faisant cela c’est un
grand service que vous nous rendrez. En
effet, si ce mal est réduit chez vous, soyez sûr que nous serons mieux armés
pour le réduire aussi chez nous. »
Difficile de se résoudre à « ne rien
y comprendre ». Les responsables du CDD me demandent d’aider des
agriculteurs dans l’univers de la gestion. « Je gère, tu gères, nous gérons… » Tout comme chez nous, les
familles africaines gèrent leur vie, leurs intérêts, leurs aspirations… jusqu’à
leur argent. C’est précisément ce dernier point qui m’interroge : « Comment font donc tous ces petits
agriculteurs pour joindre les 2 bouts ? ? »
Lors de mes cours de gestion au centre de Jéricho, en échangeant avec les
jeunes paysans en formation, je côtoie la faible réalité monétaire des
exploitations agricoles du Nord-Cameroun. Parallèlement, je dialogue aussi avec
deux petits groupes d’agriculteurs acceptant de tenter une amélioration de leur
gestion. Un axe d’approche est de se définir un « niveau de vie ». Sans
aspirer à un train de vie de ministre : « Combienme faut-il d’argent
pour assurer les besoins normaux de ma famille ? ».
En moyen de communication par exemple, un poste de radio est important pour
se tenir informé. Ne faut-il pas disposer aussi d’un téléphone, dont l’usage est
désormais largement répandu au Cameroun ? Ces deux seuls moyens de
communication réclament de l’argent pour l’achat, puis pour le
fonctionnement : piles pour la radio (elles ne durent pas plus d’un mois,
tant leur qualité est faible), « crédit » pour le téléphone (même si
l’on tente fréquemment le « Bip me »,
« Rappelle-moi »).
Je vous épargne le détail des autres « besoins normaux d’une famille » école, santé, logement,
habillement, vie sociale… chacun les imagine bien. L’argent annuel vraiment indispensable
va de 350 000 F CFA pour un jeune couple à 850 000 F pour une famille
de 5 enfants, dont 2 au collège - soit de 1 000 F/jour (1,5 euro) à 2 500
F/jour (4 euros).
Dans la région, l’objectif de tout agriculteur est d’abord de récolter suffisamment
de nourriture pour les 12 mois de l’année. Cette visée initiale est talonnée
par un second objectif : gagner de l’argent pour les multiples autres besoins
de la famille. Mais l’exploitation familiale dépasse rarement 2 ha de terres,
plutôt médiocres. 10 à 15 sacs de mil doivent être produits sur ce sol chaque
année, pour la « boule » quotidienne de la maisonnée jusqu’à la
récolte suivante.
Un bon père de famille « ne
s’amuse pas avec le mil », il n’en vend que s’il est sûr d’en avoir
trop. En cultures complémentaires, quelques récoltes sont destinées à la
vente : arachide, niébé (haricot), coton… L’élevage de volaille, moutons,
chèvres, porcs… constitue une autre entrée habituelle d’argent. C’est un peu le
compte courant bancaire, mobilisable à la demande : « Je vais vendre deux chèvres en septembre, pour payer l’écolage».
En supplément de ces 2 sources principales, chacun s’évertue à « trouver l’argent » dans des
activités diverses. La femme va faire de la couture, cuire des beignets,
fabriquer de la bière de mil, vendre du maïs grillé… Le mari va vendre du bois,
fabriquer des « seccos » (paille tressée), offrir ses bras « travailler pour les autres »,
stocker des céréales à bas prix pour les revendre au meilleur moment…
On a beau additionner toutes les entrées visibles, on reste généralement
loin du compte des besoins élémentaires. Et pourtant, on constate que des
jeunes suivent des études longues et chères, que des cases se couvrent de tôles
coûteuses, que des soins de santé onéreux sont payés, que des funérailles
dispendieuses sont fêtées… Une partie de
l’économie réelle doit échapper à notre analyse !
Dernièrement, avec un animateur rural j’évoquais le cas d’un petit
agriculteur dont deux enfants allaient suivre des études en ville. Je lui
disais : « Je connais le revenu
de son exploitation, il est loin des sommes requises. » Il me répondit
tout de go : « Bien sûr qu’il
n’atteindra jamais les montants nécessaires. Sur ce point, il faut qu’il trouve à se faire aider. »
OK, mais pas question, comme chez nous, d’imaginer des subventions, des
allocations, des emprunts… Ici, la connotation la plus fréquente de « se faire aider » est « se
faire donner ».
Alors, c’est dans cette sphère du don que se déroule toute une économie avec
des règles tacites difficiles à saisir par nous. Pour tous, il va de soi que
ceux qui ont de l’argent doivent en faire profiter d’autres. Le système ne
correspond pas à nos procédures bien établies de prélèvements obligatoires
suivi d’une redistribution sur des critères explicites.
Un ancien volontaire me propose l’expression « économie personnalisée »
pour qualifier le système de répartition ayant cours au Cameroun. Toute
personne atteignant une position sociale lui procurant des rentrées d’argent
supérieures à la moyenne, se doit d’en redistribuer une partie aux personnes
qui lui sont proches. La redistribution
se fait donc de personne à personne, en demeurant habituellement dans le
cercle de la famille élargie.
Quelquefois le transfert se fait directement en espèces, par exemple un
oncle prêtre donne 60 000 F pour finaliser l’achat un champ. Plus fréquemment,
l’aide prend la forme d’une prise en charge. Ainsi, un étudiant en ville est
secouru par un « grand frère » qui assure logement et nourriture, paie
les transports, pourvoit au frais de santé éventuel et va même jusqu’à régler
la scolarité… Ce type de soutien dure parfois plusieurs années.
Il va sans dire que ce système est passablement aléatoire. Tout le monde ne
peut pas être servi ! Un oncle acceptera d’accompagner la scolarité de tel
neveu, mais pas celle de ses frères et sœurs…
Dans le travail d’accompagnement en gestion agricole qui m’est demandé, je
n’exclurai plus désormais une potentialité d’argent provenant de ces sources
intrafamiliales…
Il n’en demeure pas moins urgent pour la plupart des familles d’augmenter
sensiblement le revenu monétaire dégagé directement par leur petite exploitation
agricole. Dans les échanges évoqués au début de ce billet quelques pistes
s’ouvrent. A suivre donc…
« Aller àBlangoua :une véritable expédition qui vous laissera des souvenirs
impérissables ». Le guide de voyage « Le petit futé » nous avait bien prévenus, pourtant nous sommes
quand même allés nous mettre dans la gueule du loup dans l’extrême Extrême-Nord.
Il faut dire qu’à Blangoua le père Cisco est si accueillant qu’il faudrait
une mauvaise volonté farouche pour ne pas se laisser tenter.
Nous savions la région difficile d’accès en ce début de saison des pluies.
Cependant, quatre jeunes filles espagnoles y étaient montées depuis quatre
jours. Et puis les personnes interrogées nous répondaient toutes : « Oui, ça passe. ». Alors, naïfs, à
bord d’un 4X4 en bon état, nous avons pris la piste.
Faut-il appeler cela une piste ? Un monticule de terre tout bosselé,
parsemé de trous, chacun capable d’ensevelir un bœuf. En fait, la circulation
se déroule à 90 % en dehors de ce cordon, on circule sur les bas-côtés et dans
la campagne environnante, une large boucle à droite, un petit crochet à gauche...
A ces endroits les ornières sont plus raisonnables que dans l’axe, car les
semi-remorques ne s’y aventurent pas. Et oui, je ne blague pas, d’énormes
camions, débordants de marchandises accrochées à leurs flancs, osent s’engager sur
ce magma. Depuis la frontière du Nigéria, il y a 70 km à parcourir,
généralement une semaine est nécessaire en cette saison, certains camions durent
un mois sur le parcours. C’est surréaliste !
Cerise sur le gâteau, figurez-vous que cette voie internationale, reliant
le Nigéria au Tchad, est représentée goudronnée sur la carte Michelin du
Cameroun ! Sur 100 km de traversée totale, 70 km demeurent toujours un
chemin de terre. Où sont passés les millions de francs prévus pour ce chantier ?
Nous nous engageons donc plein Ouest, confiants dans les « ça
passe » récoltés régulièrement. Après 45 km de navigation à vue, et quelques
sueurs froides dans certains bourbiers, nous voici à la bifurcation censée nous
faire remonter au plus court vers le Nord. Nouveau questionnement :
« ça
passe ? » Signe de tête négatif cette fois, suivi d’une répartie mi-interrogative,
mi-affirmative « Vous avez un
compteur qui compte ?A 20 km
exactement vous prenez à droite ». Vu le délabrement des autres véhicules
que nous croisons, nous comprenons progressivement qu’un « compteur qui
compte » est une denrée rare dans cet environnement.
22 puis 23 km, toujours aucune piste visible sur notre droite ! Nous
stoppons un conducteur de moto, chargée de 4 gros bidons d’essence du Nigéria :
« La piste pour Makari, s’il vous
plait ? » « Suivez-moi. » Demi-tour, puis bifurcation à
travers champ à l’orée d’un village. Encore un bon km avant que notre guide
rebrousse chemin. De grands signes, pour nous dire « C’est tout droit. Et ça passe ! ». Nous écarquillons les
yeux pour repérer des traces éparses.
« Makari, s’il vous plait ? » ;
puis bientôt : « Makari ? »
tout court, face à l’incompréhension du français par la plupart des habitants.
Cent fois la question est répétée. Pilote, copilotes, passagères mettent en
commun leurs intuitions. Une ou deux fois, guère plus, un véhicule en sens
inverse confirme notre sens de l’orientation.
Puis survient l’obstacle majeur. 200 à 300 m d’une étendue d’eau
probablement incontournable. Une 504
d’un autre âge est en train d’en ressortir, poussée par ses passagers. A notre
tour d’essayer. Pas plus de 15 m avant l’enlisement ; le fond de la
voiture s’appuie sur la vase.
Une quinzaine de jeunes du village voisin, avides de recevoir quelques
francs, soulèvent, poussent, tirent… Le véhicule passe l’obstacle in-extrémis.
Le moral de l’équipage en prend un coup mais impossible de rebrousser chemin.
Désormais chaque mare sera d’abord consciencieusement sondée par les
copilotes. La méthode prend du temps mais s’avère efficace.
Exténués nous décidons de passer la nuit à Makari (à encore 30 km de
Blangoua). C’était sans compter sur la ténacité du Père Cisco qui, suivant
notre progression par des appels téléphoniques réguliers, nous envoie finalement
son véhicule et un chauffeur pour nous ouvrir la voie, en poisson pilote. Le
slalom entre les mares et les mayos devient alors presque un plaisir pour tous.
Ouf, nous y sommes à la Mission catholique de Blangoua. Chaleureux accueil dans
la nuit par le père Cisco, personnage digne de tous les clichés sur le
missionnaire de brousse, débrouillard comme pas deux et le cœur sous la main,
capable de rassembler tous les contraires.
Assemblée cocasse dans la salle du dîner : 4 minettes espagnoles court vêtues,
un jeune sous-préfet en chemise blanche et souliers vernis. Jean notre
chauffeur poisson-pilote, 2 écoliers en vacances attendant sagement leur
pitance, une cuisinière attentive et serviable, le père Cisco en short gardant
un œil sur la télévision allumée… et nous 5, passablement interloqués et fatigués.
« Dès la première heure demain
matin, je contacterai le piroguier ». En effet, notre venue ici est
principalement motivée par une petite navigation sur le lac Tchad - on le dit
menacé d’assèchement dans les décennies à venir. Le ciel va contrarier notre
plan : une forte pluie tombe toute la nuit, jusqu’au milieu de la matinée.
La sagesse commande vraiment de repartir dès que possible, sans attendre une
probable reprise des ondées. Tant pis pour le tour sur le lac !
A 13 h, un convoi est constitué. Devant, la voiture du sous-préfet qui, se
sachant incompétent sur ce terrain glissant, a réquisitionné Karim le chauffeur
du père Cisco, « le meilleur
chauffeur de toute la région » ; au milieu, notre véhicule dont je conserve
la responsabilité faute d’un autre chauffeur expérimenté dans les parages ; en
voiture balai, Jean, chauffeur chevronné de la mission de Makari, emportant les
quatre voyageuses hispaniques.
Roues dans roues, tout va presque bien. Mais l’eau de la nuit a creusé les
saignées, l’une d’elles est si profonde qu’une 504 s’y retrouve à 45°. Cinq ou six 6 personnes suffisent à la
sortir de cette mauvaise passe.
Il nous faut trouver un autre passage. Quelques minutes de sondage et Karim
trouve un trajet favorable pour le véhicule préfectoral. Par prudence, .il vient
prendre les commandes de mon Mitsubishi,
mais ce dernier est lourd et le voilà enfoncé au milieu du gué.
Un véhicule sur le sec nous sortira par une puissante traction sur un long
filin. Le parcours se poursuit avec les inévitables détours africains. Il est
déjà 17 h lorsque nous nous retrouvons au plus terrible passage, que nous
espérions pourtant bien ne jamais revoir (voir le billet Ça passe !).
Depuis 24 h, la pluie et quelques traversées supplémentaires de
« taxis » ont empiré le bourbier. Ayant cru que Karim me demandait
d’y aller, je me lance… et je m’enlise. Jean fait de même. Voilà nos deux
véhicules au milieu du marécage !
Un Land Rover est appelé à la
rescousse. Essai de remorquage, mais rien n’y fait. Par 2 fois pour chaque
véhicule, il faudra dégager entièrement la vase qui fait ventouse sous les
planchers. Deux ou trois courageux rampent sous les véhicules pour enlever
manuellement cette boue sableuse. Chapeau à eux !
Pendant que des villageois tentent de faire bouger ces maudits 4X4, dans
une cacophonie incontrôlable, la cohorte des blancs commence à bivouaquer, en
sortant les couvertures de survie, dans la nuit tombée dès 19 h.
Nous serions bien restés là jusqu’au petit matin, sous une lune
bienveillante. Mais le sous-préfet, se sentant responsable de notre sécurité,
ne le veut pas « Trop dangereux,
sans policiers autour ».
Après plus de 5 heures de pénibles efforts, les pick-up sont enfin sortis
du marécage. Nous remettons 20 000 F (30 euros) au chef du village, le
sous-préfet explique : « Ce
n’est pas un salaire, c’est pour le savon… » La voiture du père Cisco
a grillé son embrayage en tentant de nous tracter. Jean et un compagnon
passeront la nuit dans ce véhicule remorqué jusqu’au village le plus proche. La
réparation se fera sur place dès le lendemain, en un temps record !
Le convoi se reforme, ouvert par le Land
Rover. A nouveau plusieurs kilomètres de pistes impossibles : « Mais comment font-ils pour deviner où il
faut passer, en évitant les arbres : une fois à droite, une fois à gauche,
rarement au milieu ? ? ?De véritables artistes.»
Enfin la ville de Fotokol à la frontière nigériane, il est minuit passé. Au
téléphone, le sous-préfet a fait jouer ses relations pour trouver à nous
héberger. Nous voici accueillis par un jeune couple musulman dans un grand
salon, bordé de canapés. A peine sommes-nous au chaud que la pluie se remet à
tomber, drue - et nous qui voulions bivouaquer ! Abdouraman nous offrira gracieusement
le gîte et le couvert durant une journée entière. Merci.
Les sourires sont revenus, mais tout le stress ne s’est pas envolé. Cette incursion
dans le Nord camerounais a aussi l’objectif de conduire nos trois visiteurs
jusqu’à la frontière pour la capitale du Tchad, N’Djamena aéroport de retour en
France. De Fotokol à Kousséri, il reste encore 70 km incontournables de
traversée hyper glissante. Sous la pluie personne ne démarre ; à peine
deux heures de soleil et quelques rares taximen aguerris se lancent. Violaine,
Sébastien et Florent montent à bord. Ils ne tariront pas d’éloges sur la
dextérité de leur chauffeur ; « Pourvu
que papa ne parte pas, il ne fera pas 500 m ! »
Une longue journée d’attente pour nous donc, en scrutant le ciel et le
moindre rayon de soleil qui sèchera un peu la campagne. Vers 21 h Karim apparaît.
Il a conduit la voiture du sous-préfet jusqu’au goudron de Kousséri, puis s’est
empressé de revenir en taxi-brousse, 5 heures dans chaque sens. En pleine nuit
il s’élance, il craint le retour de la pluie ou même seulement la rosée du
matin. « Ce soir, j’ai tout le
parcours en images dans ma tête ; j’ai pris mes repères, si j’en loupe un seul
je suis perdu. ».
En hors piste, dans la pénombre, dérapant, patinant, cahotant, s’enfonçant,
s’extrayant, se repérant… il atteindra le bitume en 3,5 h. Quelle maîtrise,
quelle endurance, quelle compétence… Bravo l’artiste !
Epilogue :
Courte nuit au Relais du Logone à
Kousséri. Petit déjeuner de retrouvailles avec nos enfants, heureusement
surpris de nous voir déjà là.
Amical échange avec Karim : « Et
la famille… ? ». Nous apprenons qu’il a une jeune épouse sur le
point d’accoucher à Blangoua. Il est inquiet car elle a abondamment saigné
voici une semaine déjà…
Deux jours plus tard Maryvonne reçoit un coup de fil : « Ma femme a accouché par césarienne, c’est un
garçon, tout va bien. »
Avant de retrouver la France, nos visiteurs (enfants et compagnon)de ces 15 derniers jours, expriment trois regards complémentaires
sur ce Nord-Cameroun original : Florent flashe sur ses rencontres ;
Violaine espère le dialogue interreligieux ; Sébastien s’est penché sur la
terre. Suivons-les...
* Une petite voisine qui, après avoir gagné 100 F CFA pour avoir balayé la
cour de la Villa-Rosa, est allée
dépenser cet argent pour nous offrir du riz à notre arrivée…
* Un technicien agricole qui tente d’améliorer la terre de ses pères…
* Des centaines d’enfants nous saluant en criant au bord des routes lorsque
nous passons en 4x4 …
* Un marchand agressif et un autre effacé…
* Une religieuse s’investissant pour faire libérer les personnes
injustement emprisonnées…
* Un mendiant se déplaçant sur les genoux qui me demande de convertir les
deux pièces de 50 cents d’euros reçues d’un blanc et dont il ne peut rien faire…
* Un missionnaire colombien qui nous fait écouter un karaoké de vieilles chansons
françaises le 14 juillet…
* Un sourire et un enfant qui pleure…
* Un prêtre blanc qui distribue l’argent à qui le lui demande…
Et, partout, des enfants…
Florent, le 16/07/2010
* Des enfants bouchant les nids de poules sur une route lunaire et
demandant, en échange, "10 francs
seulement, monsieur"...
* Des Italiens nous préparant des pâtes "comme là-bas"...
* Un missionnaire en lutte nous parlant de la corruption qui règne en
maître dans le pays...
* Des chrétiens qui se rassemblent le temps d'une messe...
* La tristesse imaginable d'une famille dont l'enfant vient d'être enlevé...
* Un agriculteur qui additionne les terres sans pouvoir les entretenir et
un autre qui en laisse faute d'enfants en âge de l'aider...
* Un évêque proche des gens, s'évertuant à maintenir un dialogue interreligieux...
* Des enfants qui courent après le 4x4 dans une région touristique en
criant : "Bonne année… les
cadeaux ! »...
* Un infirmier conseillant la population sur les gestes à tenir pour éviter
le choléra, récemment arrivé du Nigéria...
* Des volontaires nous contant leurs anecdotes incroyables...
Pour les trois visiteurs que nous sommes, première escapade hors du
tohu-bohu de Maroua : direction le centre de formation agricole Jéricho. Comme toujours depuis notre arrivée, l'accueil est
chaleureux et souriant. Hommes, femmes, enfants abandonnent derechef leur
activité pour courir nous saluer et nous souhaiter la bienvenue.
Lucien, le responsable cultivé
et généreux du site, nous fait visiter les lieux et nous explique les objectifs
de formation pour les douze couples présents - objectifs tant agricole, que
civique, éthique et spirituel. Il s'agit d'élever l'Homme, de le faire
"grandir" au sens noble du terme. L'accent est mis sur la fraternité,
la solidarité, l'échange de savoir-faire et de savoir-être. Louables intentions
que l'on ne peut que partager.
Le repas qui suit la visite
est l'occasion d'aborder les joies et les affres de la vie quotidienne. La
conversation glisse vers les clivages religieux et nous sentons l'inquiétude
poindre. Lucien nous expose longuement ses difficultés relationnelles avec ses
voisins musulmans. Il apparaît soucieux face aux conversions à l’Islam de
certains habitants de la région. Il nous explique qu’ici, en pays Mofou, les
musulmans, bien que minoritaires, concentrent leur force dans l’occupation des
postes de pouvoir. Tentés par ces derniers, quelques responsables font preuve
d’opportunisme et se convertissent de façon stratégique. Ce comportement n’est
pas sans générer des tensions au sein de la communauté...
Si l'on comprend parfaitement
la peur de notre hôte dans ce contexte, l'on n'accepte moins facilement ses
généralisations à l'emporte-pièce sur les musulmans. Lorsque l'autre nous
apparaît comme une menace, il est certes difficile de ne pas céder aux clichés.
Mais les préjugés peuvent coûter chers...
A Maroua, un
dialogue interreligieux entre dignitaires (évêque, responsables protestants et
imans) a permis d'éviter de justesse des affrontements vers 2003. Actuellement,
le Nigéria du Nord, à moins de cent kilomètres du centre, est la scène de
violents affrontements entre catholiques et musulmans (entre agriculteurs
sédentaires et éleveurs nomades). Heureusement, les responsables d’ici
entretiennent le dialogue pour éloigner une contagion toujours possible.
Afin d’éviter le pire, les
habitants de toutes confessions qui partagent cette terre aride ne semblent pas
avoir d'autre choix que celui d'essayer de se comprendre mutuellement. On ne
peut que souhaiter que l'esprit de Jéricho
transcende les barrières des dogmes et que la rencontre s'engage d'homme à
homme. Étrangers, nous entrevoyons pour notre part la même humanité dans les
champs : celle des sourires, des dos courbés sous le poids du labeur et de
l'attente de la pluie nourricière…
Depuis plusieurs jours,
guidés par Gaby, nous rendons visite à des couples d’agriculteurs. Ces rencontres se révèlent
riches sur le plan humain et culturel. Elles permettent de partager et de
comprendre un peu la vie quotidienne des familles rurales. On s’aperçoit bien
vite qu’à cette période de l’année, encore plus que d’habitude, c’est le
travail dans les champs qui rythme la journée.
Cela fait maintenant
quelques semaines que les graines de mil, d’arachides, de maïs et de pommes de
terre ont été plantées. Tous ces plants croissent inégalement selon les
régions. Si cette année la pluie se fait attendre, les mauvaises herbes sont en
revanche présentes en tous lieux… Il faut rapidement les éliminer afin qu’elles
n’étouffent pas les plants : c’est ce que l’on appelle « le
sarclage ».
Ce travail est fort
long et pénible du fait de la non-mécanisation. Tout se fait à la main, à la
force des bras et parfois, dans le meilleur des cas pour les plus aisés et si
le terrain le permet, à l’aide de la traction animale. La surface
d’exploitation dépend directement de la capacité de travail du foyer, autrement
dit, du nombre d’enfants en âge de travailler (en moyenne 1 à 2 hectares par
famille).
Victor, paysan à
Douroum, nous présente ses instruments de travail. Je reste stupéfait par la
simplicité et le nombre d’outils : un plantoir, un sarcloir à large tête,
un sarcloir plus étroit, une pioche, une pelle, une faucille, une charrue et un
âne.
Le plus étonnant est la
faible longueur des manches (environ 50 cm) qui implique une position de
travail contraignante. Les dos sont pliés à l’équerre, les têtes baissées
parallèles au sol. Malgré l’inconfort, les adultes comme les enfants « bêchent »
avec aisance et dextérité. Intrigué, je cherche à obtenir des explications sur ces
manches si petits. On me répond que c’est par tradition : le père, le
grand-père faisaient ainsi. J’essaye d’en savoir davantage. On m’avance alors
que cela permet d’être plus précis, de mieux contourner les plantes sans les
couper.
Il me semble pourtant
que le même travail serait parfaitement réalisable avec un manche plus long.
Cela induirait une position plus confortable et moins usante et préviendrait
les douleurs lombaires qui sévissent au fil des ans : « Le père ne peut plus sarcler : il a le
dos cassé », entend-on souvent. Dans un milieu où la solidarité
familiale est importante, ces agriculteurs travaillent tout au long de leur vie
pour nourrir leurs proches et le cas échéant subvenir aux besoins des parents
fatigués.
Grâce à ces échanges,
j’ai pu prendre conscience du labeur du paysan camerounais qui doit faire
fructifier une terre avec des outils satisfaisants pour un jardinier
occidental, espèce dont je fais partie, mais plus que rudimentaires pour la
culture d’hectares. Je ne peux qu’admirer le travail accompli par nos hôtes, constater
que les traditions ancestrales pèsent sur leur quotidien et qu’il est fort
difficile de les faire évoluer.
Déjà plus de 6 mois de
vie sur cette magnifique terre camerounaise, mi-temps donc. Nous prenons le
temps d’un petit break pour accueillir deux de nos enfants durant 15 jours. Au
programme des rencontres et du tourisme qui ne nous laisseront peut-être pas le
temps de vous concocter le billet hebdomadaire auquel nous vous avons habitués. Alors,
pour vous faire patienter, voici un petit panorama d’une partie des paysages
que nos visiteurs vont découvrir, grandeur nature.
C’est à la frontière du Nigéria, le pays Kapsiki. La saison des cultures
débute pleinement et nous croiserons beaucoup d’habitants qui vont au champ, la
charrue posée sur le dos du cheval ou de l’âne.
Cependant, nos regards seront d’abord captivés par l’étrangeté et la beauté
des cheminées volcaniques qui ponctuent l’horizon.
En ce début de saison des pluies, quel contraste avec ce que nous avions
déjà admiré en saison sèche.
Dans quelques temps ces terrasses déborderont de cultures verdoyantes.
Le soir approche, la jument et son poulain allongent le pas pour
rentrer au village.
Au revoir et à bientôt.
Si vous aviez envie de découvrir cette superbe région, je vous signale le site Internet de l'association : Lara-Kapsikis. Cette asso a l'objectif d'une "Amitié Nord Cameroun - Pays de
Vannes", en particulier au moyen du tourisme solidaire.
Qu’est-ce qu’on mange ? Voila bien une question
récurrente dans les maisons françaises. Au Nord-Cameroun nous ne vivons pas
suffisamment dans l’intimité des familles pour entendre une expression
similaire. Il nous semble qu’une question fréquente pourrait être : Quand est-ce qu’on mange ?
Il est évident que les
habitudes alimentaires d’ici sont assez éloignées des nôtres. Par exemple, le
rythme de 3 repas par jour n’existe pas vraiment. Le repas principal est plutôt
situé en fin de journée. Le matin on mange, s’il en reste, le reliquat du soir ;
parfois on prépare une bouillie complémentaire. Quand au repas de milieu de
journée, il est très aléatoire.
En parallèle, de
nombreuses petites vendeuses (et vendeurs) proposent tout au long de la
journée : beignets de froment ou de haricot, poissons frits, œufs durs, mangues…
Les enfants peuvent en
acheter pour leur milieu de journée d’école, les travailleurs peuvent aussi se
ravitailler à tout moment… Mais ces achats réclament d’avoir un peu d’argent
dans sa poche. Alors quand les 25, 50 ou 100 F (0,15 euro) nécessaires ne sont
pas là (ce qui est fréquent) on se passe de manger jusqu’au soir. Il y a chez
les gens d’ici une impressionnante capacité de résistance, le ventre fait mal
mais « on supporte », sans
se plaindre.
Pour tous, ce qui
nourrit vraiment c’est « la boule ».
Boule de mil ou boule de maïs - chaque groupe social à sa préférence. C’est une
épaisse pâte de farine cuite à l’eau, malaxé en une sorte de pain. Ce plat est
toujours servi accompagné d’une sauce à base de feuilles (légumes) d’une assez
grande variété. Plus ou moins régulièrement, la sauce contient de la viande ou
du poisson.
Quelques amis lecteurs -
dont notre petite-fille Cléo - demandent parfois : Et vous, qu’est-ce que vous mangez ? Il nous arrive, de temps
à autre, de manger « à l’africaine » (la boule et sa sauce) ; toutefois
la majorité de nos repas sont « à l’européenne ».
Ce samedi matin par
exemple, Maryvonne est revenu du marché avec de la viande de bœuf, des haricots
verts et des yaourts locaux (en petite bouteille). Seule touche un peu exotique
pour ce midi, une superbe et succulente mangue que nous avons coupée en dés
dans notre yaourt. Un délice.
Vivant dans une grande
ville, nous pouvons nous approvisionner en légumes et en divers produits
rencontrés chez nous. Evidemment, cette façon de se nourrir n’est pas fréquente
ici, alors les prix sont élevés par rapport au niveau de vie moyen (tout en
restant abordables). Les pommes de terre sont à 500 F le kg (0,80 euro), les
haricots verts à 600 F le demi-kg, une boîte de petit pois 1 700 F, un tout petit
saucisson 3 000 F. Et puis, nous allons au restaurant un peu plus souvent qu’en
France car un bon plat revient à 4 euros environ (frites et poisson frais).
Tu vois Cléo, papy et
mamy ne meurent pas de faim en Afrique, et les gens d’ici non plus, même si quelques
uns sont obligés d’espacer des repas par manque d’argent dans la famille.
Fruits et légumes sur
les photos : pastèque, melon, papaye, concombre, courgette, chou,
carottes, haricot vert, taro, anacarde, tomate, canne à sucre
Que d’enfants ! Ils sont partout au Nord-Cameroun. D’abord fièrement portés
sur le dos des mamans (plutôt jeunes en général). Puis remplissant les
concessions, occupant les bords de routes, animant les quartiers, envahissant
les écoles…
Avec notre culture d’occidental nous ne pouvons nous empêcher de nous
demander : « Que vont-ils devenir ? Quels emplois pourront-ils
exercer dans quelques années ? » Toutefois, nous nous gardons bien d’exprimer
ouvertement ces interrogations. L’enfantement est une sphère trop intime et
culturelle pour que nous y risquions une parole étrangère.
En ce milieu de samedi après-midi, trois agriculteurs passent en vélo
devant Villa-Rosa juste au moment où
j’ouvre le portail (sollicité par une écolière voisine, pour la dixième fois de
la journée !). Je reconnais l’un d’eux. Ils mettent pied à terre. « Entrez donc ». Nous nous attablons
autour d’une bière et d’un verre d’eau. La conversation s’engage : « La pluie est enfin là… » La mise en
culture bat son plein. Le mil est semé en priorité « Il faut d’abord manger, n’est-ce pas ? » ;
suivront les semis d’arachide, de haricot (niébé), de coton…
« Quelles surfaces pour tout ça ? »
« Ca dépend de la force de travail. »
Entendons par là : ça dépend du nombre de bras valides pour les champs. « Par exemple, moi je cultive un peu plus
grand chaque année. Mes aînés ont maintenant 13 et 14 ans, ils m’aident bien. Grâce
à leur travail et à la récolte supplémentaire, je pourrai encore leur payer
l’école l’an prochain. » C’est Alfred qui parle, il poursuit. « J’ai 7 enfants, nous voulions nous arrêter
à 6 mais le 7ème est arrivé ; on le refuse pas, n’est-ce
pas ? ». A mon tour, j’évoque ma famille : « Chez moi aussi nous sommes 7, et le petit
dernier est arrivé longtemps après les autres… aucun n’est en trop. ».
Toutefois, les trois compagnons cyclistes poursuivent leurs pensées sur la
relation entre la terre d’ici et ses habitants. « Pas plus tard que ce matin, en venant, nous nous sommes fait la remarque :
ne serions-nous pas trop
nombreux ? » Ils traversaient des étendues traditionnellement
réservées aux pâturages des troupeaux nomades, et ils s’apercevaient que les
champs cultivés grignotaient progressivement ces contrées.
Leur réflexion démographique est corroborée par le dernier recensement. La
région Extrême-Nord est la seconde région la plus peuplée du Cameroun, 3,5
millions d’habitants, soit presque un Camerounais sur 5 ! Plus précisément
dans les Monts Mandara, on dit que la densité atteindrait 270 hab/km².
Je m’aperçois que le sujet n’est pas tabou pour ces trois pères de famille.
Ce sont des personnes réfléchies et leaders dans leur milieu. Aujourd’hui, ils participaient à l’assemblée générale de l’association Promagri (sorte de Groupement de
vulgarisation agricole). Ce matin, sur leurs vélos rafistolés, les trois hommes
ont parcouru 35 km de mauvaises pistes, maintenant ils s’en retournent aussi
courageusement avant la nuit.
Certes, beaucoup trop d’hommes et de femmes nous semblent faire des enfants
sans se soucier de leur éducation et de leur avenir. Cependant, nous notons que
d’autres réfléchissent sur le nombre d’enfants qu’ils peuvent accueillir.
Parfois, la femme utilise un moyen contraceptif à l’insu de son mari. Le centre
de santé respecte cette situation, mais accompagne et encourage autant que
possible la réflexion en couple.
Par GL le lundi 21 juin 2010 (02:21)
- L'agriculture
Mi-juin, enfin quelques
vraies pluies ont daigné s’abattre sur la région de Maroua. Trois bonnes pluies
d’orage en une semaine. Ce n’est pas encore l’inondation, mais le paysage débute
sa mutation et la population retrouve le moral. Vite, vite, chacun s’empresse vers
son champ pour semer, semer et semer encore.
Les habitants se sont comme
volatilisés dans la « brousse ». Je me retrouve presque seul sur la
piste conduisant à Jéricho. Je traverse des villages quasi déserts où même les
puits semblent abandonnés, à peine une personne ou deux autour de chaque
margelle. Seuls des troupeaux de moutons, chèvres ou bœufs et quelques ânes continuent
à occuper le paysage. Pour la première fois depuis des mois ces animaux ne me
font plus pitié, pour eux aussi une promesse de verdure est là !
Progressivement mon œil interprète
les nuances de couleurs du sol. Ici et là des rectangles plus foncés se
dessinent, la terre y a été retournée.
Les plus petites surfaces
sont travaillées à la houe manuelle. Entre les rochers j’aperçois des personnes
pliées en deux maniant une sorte de grosse binette à manche court. Leur travail
s’apparente à un bêchage. Cependant beaucoup d’autres surfaces sont retournées à
l’aide d’une petite charrue à traction animale.
Une paire de bœufs est
nécessaire là où la terre est lourde, argileuse…
…un âne suffit pour les
terres légères, sablonneuses.
Et la famille entière
est dans le champ, le mil (sorgho) doit être semé sans tarder.
Au centre agricole de
Jéricho, les ânes ne sont déjà plus à la tâche ; ils ont labouré la terre depuis
quinze jours. Un pari a été fait sur l’arrivée de la pluie et les semis de sorgho
sont terminés depuis 8 jours. Les variétés choisies ont un long cycle de végétation. Cela oblige à anticiper sur un éventuel arrêt précoce des pluies, parfois dès
fin août. Dans les jours prochains, si par malheur la germination s’avérait
trop mauvaise, il serait encore temps de ressemer avec des variétés à cycle plus
court... mais moins productives.
Pour aujourd’hui, chacun
des 12 couples en formation est pleinement occupé au semis de l’arachide sur la
parcelle qui lui a été attribuée, par tirage au sort.
A intervalle de 40 cm
entre chaque ligne, l’homme et sa femme tendent un cordeau sur la longueur du
terrain.
Puis ils progressent l’un
vers l’autre en déposant en terre une graine tous les 20 cm.
Jusqu’à se rejoindre
bientôt.
Comme dans le voisinage,
cela se passe en famille…
Quel touriste peut
quitter l’Afrique sans s’être procuré une ceinture, un sac à main, une sacoche,
une paire de chaussures… dont il ne manquera pas d’indiquer à ses amis leur
provenance d’artisans locaux ?
Chacun sait que ces
objets sont le résultat d’une élaboration débutant par le tannage du cuir. L’élevage
étant bien implanté dans la région, Maroua abrite une tannerie artisanale qui
peut se visiter. Le circuit démarre avec une négociation serrée sur le prix
demandé par le guide. Nous savons que le « smic » d’un manœuvre est d’environ
1 000 F CFA par jour (1,50 euro), aussi trouvons-nous exagéré qu’un tel montant
soit demandé à chacun d’entre-nous pour une simple visite. Finalement, Abba
nous guidera avec gentillesse et compétence pour 500 F par personne.
La tannerie
s’approvisionne en peaux dans les quelques abattoirs de bovins de la ville (qui
ne sont que de simples hangars affectés à ce service) ou dans les abattages
domestiques de petits animaux, chèvres et moutons.
Procédé de tannage des
peaux
1. Peau fraîche ou
semi-sèche immergée durant trois jours dans une eau chargée de cendre de bois
et de chaux (trous au premier plan de la photo générale du site).
2. Enlèvement des poils
avec un grand couteau. Opération délicate, il ne faut pas percer la peau.
3. Nettoyage des poils
restant et enlèvement de la chaux par un trempage dans une eau chargée de
fiente d’oiseaux. Ces fientes en grande quantité sont récupérées dans la région
de Yagoua où nichent d’immenses colonies d’oiseaux granivores, les mange-mil. Soit dit en passant, dans une
bonne partie de l’Afrique ces passereaux
causent de graves dégâts dans les récoltes. Maryvonne a pu en observer un
impressionnant ballet en visitant le parc naturel de Wasa.
4. Assouplissement par
brassage manuel dans un troisième bain contenant des graines pilées d’acacia. Pour
accélérer son pouvoir d’assouplissement la solution de poudre d’acacia peut être
chauffée. La récolte des gousses se fait dans le voisinage car des plantations
ont été mises en place autour du site.
5. Il ne reste plus qu’à
faire doucement sécher ces peaux sur des cordes tendues un peu partout. Ici
tout est vraiment artisanal et naturel. Seule la coloration éventuelle des cuirs
s’effectuera dans un bain de produits chimiques.
Ce dur travail est-il
rentable ? Dès l’abord, notre guide s’est plaint de la concurrence des
tanneries industrielles du Nigéria qui offrent un meilleur prix - jusqu’au
double - pour la matière première. Ici une peau brute est achetée 500 F en
moyenne pour être revendue tannée à 1 000 F CFA. Il nous dit que les
travailleurs d’ici sont payés à la tâche et qu’ils gagnent bien leur vie. Toutefois
aucun d’entre eux ne se contente de cette activité, ils sont tour à tour maçons,
cultivateurs, petits vendeurs… au gré des opportunités. Mains à tout faire n’est-ce
pas ?
Selon leurs besoins, les
artisans locaux viennent sur place s’approvisionner en peaux tannées. Apparemment
leurs demandes déterminent le volume traité sur le site. En ce moment on nous
parle de 400 peaux par jour.
Le produit fini,
agréable au toucher, se retrouvera bientôt transformé en de multiples objets utiles
et esthétiques. Quelques uns orneront les étals en attendant que des touristes,
hélas trop rares, se laissent tenter.
A l’heure où l’on parle,
sur notre vieux continent, de démolir des églises trop vétustes il s’en
construit de nouvelles dans la jeune Afrique.
Elles s’apparentent le
plus souvent à des chapelles, construites avec les matériaux indigènes, murs de
terre et bancs rudimentaires. Toutefois certaines présentent des volumes
nettement plus imposants, en corrélation avec les besoins d’une population en
expansion. Il faut alors que le curé en place ait un charisme de bâtisseur et bénéficie
de moyens financiers importants, car l’apport local demeure généralement
modeste. Ces conditions étant réunies à Zamay, un superbe édifice est sorti de
terre. Invités par le père Frans Byl nous avons eu la chance de participer,
pour la première fois de notre vie, à la consécration d’une église.
L’officiant principal pour
cette consécration est l’évêque du diocèse, le père Philippe Stevens. La
cérémonie débute à l’extérieur. En premier lieu, l’architecte remet au prélat les
clés du bâtiment. L’évêque frappe alors trois coups sur le montant de la porte
principale avant de l’ouvrir.
La chorale donne à plein
régime. Des fillettes ajoutent de la dynamique en agitant des plumeaux, en rythme.
La cérémonie va durer 4 heures !
L’une des marques de consécration
est l’onction d’huile sainte, symbole de force, apposée sur 12 emplacements des
murs et piliers.
Dans son sermon, le père
Philippe ne manquera pas de rappeler que le bâtiment église, avec un petit « é »
n’est qu’une manifestation de l’Eglise, avec un grand « E »,
constituée de toutes les communautés de croyants. L’évêque exhorte la
communauté catholique de Zamay à se mettre au service de l’ensemble de la
société, à s’engager pour plus de justice, à travailler pour un développement économique
et social harmonieux… Une fois ces tâches entreprises elle pourra alors se
réunir dans cette église pour célébrer et prier Dieu.
Le christianisme n’est
pas majoritaire dans cette partie du Cameroun. Mais sa vitalité est certaine. A
titre d’exemple, quatre-vingts personnes, de 10 à 70 ans, ont reçu le sacrement
de confirmation au cours de cette cérémonie. Symbole fort : en même temps
qu’un bâtiment est consacré, de nombreuses personnes demandent à être
confirmées dans leur foi.
L’architecture de l’édifice
nous plaît beaucoup. L’intérieur s’élargit en paliers depuis le chœur jusqu’à une
large façade de fond constituée de grands panneaux en fer forgé. De l’intérieur
comme de l’extérieur ces motifs se contemplent tout simplement.
Miracle ou bonne
intendance, après ces heures intenses toute l’assemblée a pu se régaler d’un
poulet au riz. Nos petites danseuses, devant la chorale, l’avaient
particulièrement mérité n’est-ce pas ?
Épilogue :
Le curé de Zamay, le père
Frans Byl est originaire du diocèse de Bruges en Belgique. Ayant longtemps enseigné
en coopération, il perçoit une indemnité mensuelle de son gouvernement et peut aussi
s’appuyer financièrement sur tout un réseau d’amis bienfaiteurs. Ces dons lui
ont permis de conduire le chantier de l’église de Zamay, car selon sa parole :
Ce que l’on reçoit doit être donné.
Il est une coutume largement répandue ici que nous n’apprécions
probablement pas à sa juste valeur. Je l’appellerais « L’eau canari ».
Dès qu’un visiteur arrive dans une habitation, il ne se passe pas 2
minutes avant qu’une femme vienne lui présenter une grande timbale en fer
blanc, bien remplie d’une eau claire. Par politesse, il arrive que l’occidental(1)
prenne une gorgée de cette boisson offerte avec déférence. Et là, surprise,
l’eau est presque fraîche, pas tiède en tout cas comme il s’y attend. D’où
vient cette eau ?
L’observation des allées et venues dans la concession peut le
renseigner. Muni d’un gobelet en plastique un enfant s’approche, soulève un plateau
posé sur une jarre à moitié enterrée, plonge son récipient et boit paisiblement
avant de reposer consciencieusement le couvercle sur le canari. Un peu
plus tard ce sera au tour de la grand-mère sortie de sa cuisine, ou encore du
mari qui revient des champs. Partout ces scènes se répètent, y compris dans les
lieux collectifs : enceinte des paroisses, des administrations, parfois
des écoles…
Nous avions bien observé cette pratique ici ou là, mais il nous aura
fallu un moment avant de nous rendre compte de son universalité. L’eau de
boisson mise à disposition du visiteur est vraiment une pratique sociale qui va
de soi dans cette région.
Nous avions été plus sensibles à la beauté des colonnes de femmes
marchant sur le bord des routes, avec chacune un énorme canari en terre posé
transversalement sur sa tête. Au petit matin, quand nous partons en brousse en
véhicule, elles s’empressent vers les marchés de la ville. Nous en croisons jusqu’à 20 km à la
ronde, et sans doute leurs villages sont-ils encore à quelques km !
Revenons à notre eau « fraiche ». Dans nos sociétés
sophistiquées, nous n’imaginons guère pouvoir en produire en dehors d’un
réfrigérateur. Et pourtant depuis des millénaires les hommes connaissent les propriétés
rafraîchissantes de ces jarres en terre cuite. Tout se résume dans la porosité
de leur paroi. Un petite partie de l’eau contenue traverse la cloison jusqu’à
se trouver en fine pellicule, invisible, à l’extérieur du récipient. Là,
naturellement, elle va s’évaporer dans l’air. Mais ce changement d’état, ce
passage de liquide à vapeur d’eau, nécessite des calories, beaucoup de calories
(80 calories/gramme d’eau). Alors, il se trouve qu’une partie de cette chaleur
va être fournie par l’eau présente dans le canari. L’eau de l’intérieur va
donner des calories à l’eau de l’extérieur, c’est ainsi que de 35°C elle va
passer à 25°C (2).
Ajoutons encore que la mise en œuvre de ce service nécessite
beaucoup de travail, la plupart du temps assuré par les femmes. Il faut régulièrement nettoyer et
ré-alimenter cette « source » avec une eau aussi propre que possible, tandis
que le puisage se fait majoritairement à la main, dans des lieux trop souvent éloignés
de l’habitation…
(1)
Chacun sait ici que le « blanc » ne se déplace jamais sans sa propre
réserve d’eau (minérale ou filtrée). C’est une précaution élémentaire de santé.
Ceux qui enfreignent cette règle se font vite rappeler à l’ordre par leurs
intestins…
(2) Soit
dit en passant, c’est aussi pour cela que nous transpirons, pour permettre à
notre corps de se refroidir par l’évaporation de la sueur à la surface de notre
peau.
Par GL le samedi 22 mai 2010 (16:06)
- Le Cameroun
Peut-on vivre dans un
pays sans s’intéresser à son histoire ? L’équivalent de notre 14 juillet
est ici le 20 mai, date anniversaire de la création de l’Etat unitaire du
Cameroun.
Un pays réunifié
Les frontières actuelles
du Cameroun sont proches de celles tracées arbitrairement par les Allemands dans
les années 1880, sous leur Protectorat. Une sorte de long triangle isocèle avec
une large base dans la forêt équatoriale, au niveau du Golfe de Guinée, et une pointe
étroite qui monte jusqu’au lac Tchad, en zone sahélienne.
A la première guerre
mondiale, le territoire fut partagé entre la France (4/5ème) et le Royaume-Uni
(1/5ème). Ainsi l’Ouest du Cameroun fut longtemps rattaché à la
colonie britannique du Nigéria, avant que la population la plus au Sud ne se
détermine par référendum pour un rattachement à la république du Cameroun. L’Etat
devint alors fédéral. C’était le 1er octobre 1961, presque 2 ans
après l’indépendance de la partie française le 1er janvier 1960.
Puis, par un nouveau
référendum, le 20 mai 1972, les Camerounais francophones et
anglophones optèrent à 99,9% des voix pour un État unitaire.
Ce calendrier particulier
du Cameroun complique un peu la célébration de son indépendance. En effet, tout
le pays ne l’a pas obtenue en même temps, et la forme actuelle de l’Etat est plus
récente. Une banderole veut récapituler tout ça en ce 20 mai 2010.
La fierté du drapeau
Dans les conversations
il n’est pas si facile de percevoir une fierté d’être Camerounais. C’est plutôt
la corruption de leur société qui est le plus souvent mise en avant par nos
interlocuteurs. Pourtant, un symbole semble vraiment rassembleur : c’est
le drapeau. En tout temps, il flotte partout où une parcelle d’autorité existe
: chefs de quartiers, écoles, administrations…
Pas un défilé évidemment
sans qu’il soit fièrement arboré.
Armée et corps constitués
Pas de fête nationale,
bien entendu, sans montrer ses muscles ! Défilé pédestre tout à fait
classique des diverses forces armées. Photos interdites ; on s’en passe.
Cinquantenaires
Pour cette parade les
cinquantenaires ont tenu à former un « carré
spécial ». Notre commerçante de quartier en faisait partie.
Jeunesse
50 années, cette durée
dépasse largement la vie de la plus grande partie de la population : un
Camerounais sur deux a moins de 18 ans !
Chaque école tient à présenter
une délégation dans ce cortège. Une délégation seulement, car pour avoir
l’honneur de défiler il faut disposer d’une tenue en bon état, ce qui exclut
d’emblée les 9/10ème des élèves.
Bien entrainé depuis de
longs jours - nous entendions les chants des troupes d’enfants résonner partout
dans la ville - l’enthousiasme était vraiment au rendez-vous pour le grand jour.
Musique
Par contre, dans ce
genre de manifestation, pas vraiment de quoi se réjouir les oreilles. L’accompagnement
sonore est le plus souvent pré-enregistré, avec des airs standards. Deux speakers
insipides commentent comme ils peuvent la succession des groupes. Une fanfare
officielle ponctue le passage des autorités. Les chants aigus des enfants se
suffisent largement à eux-mêmes, même si, ici et là, un tambour tente de leur
donner le rythme.
Juste une heureuse
surprise : l’orchestre de la toute nouvelle université de Maroua. Sortie
de nulle part, voilà une harmonie bien agréable.
Indépendance ?
Pour un bilan de
demi-siècle, faut-il considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein ?
Le pays présente une
indéniable stabilité politique puisque seulement 2 présidents l’ont gouverné
jusqu’à maintenant. Sous la coupe de l’un comme de l’autre, la barque a tangué
à de nombreuses reprises mais le bâtiment Cameroun a tenu le coup. De 1960 à
1982, Ahmadou Ahidjo, le premier président, était du Nord et musulman. Le
second, Paul Biya, est du Sud et chrétien ; il se maintient fermement au
pouvoir depuis 28 ans. La prochaine élection présidentielle devrait avoir lieu
en 2011. Quel avenir les Camerounais choisiront-ils pour leur pays ? A eux
seuls de répondre, puisque comme le résume l’un de mes interlocuteurs :
« Nous sommes en voie d’indépendance ».
Vraiment trop chaud. Ce
jeudi de l’Ascension est bienvenu. Une journée entière à ne rien faire. Juste, bien
malgré soi, suer à grosses gouttes, encore et encore.
On redoutait cette
période, elle est là ; pour au moins 15 jours selon les « météorologistes »
locaux, peut-être jusqu’à un mois disent les plus pessimistes (ou réalistes).
Deux pluies d’orage sont
tombées voici une dizaine de jours (2 fois 20 mm environ). Sur le coup, elles
ont bien rafraîchi l’atmosphère, mais l’effet n’a duré qu’une ou deux journées.
Toutefois ces premières
pluies sont le point de départ de toute l’activité agricole du Grand-Nord camerounais.
On dit que beaucoup se précipitent dans leurs champs, dans la fébrilité souvent.
Ont-ils raison de commencer à semer ou ferait-il mieux de patienter un peu ?
Nul ne le sait. Si les prochaines pluies ne tardent pas trop (d’ici 15 j. maxi)
leur pari sera bon. Si, comme l’an dernier, il se passe un mois avant un sérieux
apport d’humidité, alors le semis sera à refaire !
Quant à moi, j’ai pensé ces
derniers jours qu’il n’était guère raisonnable d’affronter le thermomètre pour
aller rendre visite à l’un ou l’autre sur le terrain. Nos corps de blancs ne
semblent rien pouvoir faire d’autre que de refroidir nos carcasses. Peut-être l’âge
y est-il pour quelque chose ? Cependant, nous constatons que les Africains
souffrent aussi.
Pour tous, l’une des choses
difficiles est le sommeil. L’endroit idéal est dehors, car une fraîcheur
relative arrive dans la nuit. Nos relevés de ces derniers jours donnent en
extérieur : 41° à l’ombre l’après-midi, 38° le soir, 35° à minuit, 31° au petit
matin. A l’intérieur de la maison ça semble « frais » l’après-midi :
36°, mais au matin il fait encore 34° !
Alors, suivant les
conseils avisés des habitants, j’ai monté un « hangar » dans la cour
de notre Villa-Rosa. Il s’agit d’un
abri couvert de « sécos » (paille tressée). Nous y avons installé
notre matelas, sur un lit traditionnel, en branches assemblées. Confort suprême :
toute la nuit nous laissons tourner un ventilateur sur pied, une légère brise
nous caresse alors le corps… au risque de nous enrhumer !
Certains Camerounais préfèrent
dormir directement sur un tas de sable, ils disent que c’est très confortable. Nous
en avons bien un dans notre cour mais nous n’osons pas trop nous y installer…
Concours : A
votre avis qui a bien pu faire la superbe déco qui orne notre mur d’enceinte ?
Promis, un paquet d’arachides
sera offert à notre retour aux premières bonnes réponses.
Le Cameroun aime défiler, les occasions ne manquent pas : fête de la
jeunesse en février, fête de la femme en mars, fête du travail au 1er
mai, fête nationale le 20 mai… Longue avenue nettoyée, tribune officielle,
groupes multicolores, badauds… le scénario est bien rodé, et le spectacle agréable
à vivre.
« Non, le CDD n’ira pas défiler
ce premier mai ; nous n’avons rien à
vendre ! », claire réponse à mon interrogation. Rapidement en
effet, nous allons nous apercevoir que ce défilé est avant tout une superbe
opportunité pour la promotion des entreprises.
Dans son allocution d’ouverture, le gouverneur rappelle brièvement qu’il a
entendu la véhémence des revendications syndicales. Mais la tonalité de son
discours est ailleurs : Le Cameroun a
choisi de faire de cette fête une exaltation de la valeur du travail, selon la
devise de notre pays : « Paix,
Travail, Patrie ». Nous invitons donc chacun à travailler pour manger,
l’ouvrier qui ne travaille pas ne mérite pas son salaire, de même l’enfant qui
ne travaille pas n’a pas le droit de manger (sic).
Cent quarante trois représentations d’entreprises vont défiler, soit
quelques 3 463 participants, selon la fiche prévisionnelle des groupes. L’ordre
de passage nous semble répondre à des critères protocolaires et
socio-économiques. Alors, pourquoi pas tenter de repérer le poids, réel ou
symbolique, de chaque secteur d’activités dans la société ?
A tout seigneur, tout honneur, la première partie du cortège est constituée
des administrations publiques. D’abord celles qui sont directement rattachées à
la Présidence de la république, me précise-t-on. Viennent ensuite les autres
administrations, et elles sont nombreuses ! (voir le billet : Maroua city ). Leurs slogans retentissent
souvent comme autant d’exhortations à des objectifs chimériques.
En intermède, voici la société Hysacam
(Hygiène et salubrité du Cameroun), entreprise privée de nettoyage urbain
entièrement financée par des fonds publics locaux et nationaux. La population
applaudit le service quotidien assuré par ces éboueurs. A la fin du défilé
pédestre, le passage ronflant de ses camions bennes rutilants sera lui aussi
très apprécié. Remarque amusante pour nous, sur l’un des véhicules le logo de la société recouvre à peine l’inscription Ville de Nantes encore apparent.
Puis vient la longue litanie des établissements financiers. Je passe sur les
filiales des grands établissements financiers : Crédit lyonnais, Crédit
agricole, Société générale, Western union, etc. Le Cameroun regorgerait-il
d’argent ? Ils sont suivis d’une quantité aussi étonnante de petits
établissements de crédit, dont on se demande si certains n’auraient pas pour seule
réalité que leur pancarte ?
De la même façon qu’en France, les assurances ne sont pas en reste. Elles
talonnent les banques, comme pour prendre leur place !
Arrivent ensuite les entreprises de communication, les maisons mères et leurs
divers partenaires. Qui n’a pas encore son téléphone portable au
Cameroun ? Même moi, me voici, pour la première fois de ma vie, avec un
téléphone à la ceinture.
Peut-être en sommes-nous aux 2/3 du cortège ? La place est enfin libre
pour de multiples autres activités bien utiles à une société. Les entreprises
de transport en commun, des garages, quelques gros commerçants, l’union des
cafetiers, divers regroupements d’artisans : imprimerie, chaussures,
boulangerie, couture…
Au passage Maryvonne épingle « sa » couturière, aux lunettes
noires.
Quant à moi, j’encourage plutôt le GIC (Groupement d’intérêt commun) des
jeunes forgerons de Maroua.
Vous l’aurez compris, la simple observation de l’ordonnancement de cette
parade fait réfléchir à la conception du travail qui prévaut ici. Toutefois,
gardons-nous d’en tirer trop rapidement une conclusion ; les préséances
seraient-elles si différentes chez nous ?
En réalité, ce qui me frappe le plus en cette fête du travail, ce sont les
innombrables absents. Aucune trace dans ce défilé des centaines de commerçants
du marché central, encore moins des petites vendeuses alignées sur les nombreux
marchés de quartiers. Aucun représentant des milliers de
« débrouillards » qui vivotent de la vente de 3 babioles ou de la
réparation de tout et n’importe quoi, avec les moyens du bord bien sûr. A peine
quelques représentants d’artisans locaux : menuisiers, garagistes…
Pas de défilé non plus, aujourd’hui sur cette avenue, de la multitude de
« clandos » (motos-taxis) qui se faufilent à longueur de temps jusque
dans les quartiers les plus reculés, et les moins reluisants, d’un Maroua en perpétuelle
extension.
Sans parler des enfants qui, après une demi-journée dans une classe surchargée
(250 élèves dans un niveau, la moitié le matin, l’autre moitié l’après-midi), assurent
la plus grande part des corvées d’eau, le nettoyage permanent des abords
d’habitation, le remplissage des brouettes sur les chantiers, les heures de
planton près du commerce de rue du « grand frère »…
Oui, ceux qui ont défilé ce 1er mai sont loin d’être les seuls à avoir
gagné un droit à leur pain quotidien.
C’est l’histoire d’un ministre, revenu au village
après quelques années au gouvernement. Chacun savait ouvertement que cette
position au pouvoir lui avait permis de se constituer une petite fortune.
Cependant, il se voulait proche des habitants. Ainsi,
quand le deuil frappait une famille de son entourage il envoyait toujours
quelqu’un porter son groupe électrogène afin que la veillée funéraire soit bien
éclairée. Il demandait aussi à sa femme de préparer une bonne quantité de
couscous pour nourrir les nombreuses personnes venues de partout entourer la
famille en souffrance. Mais lui restait dans sa maison.
Un jour le malheur le frappa à son tour, son
fils mourut. Toutes les familles du village vinrent chez lui. Elles y
déposèrent chacune une petite lampe et un peu de mil cuisiné. Puis, elles repartirent
après les salutations d’usage.
Quand le soir arriva le ministre se retrouva tout
seul près du cadavre au milieu des petites lampes et des boules de mil.
Il en fut si malheureux qu’il se rendît compte que
le village venait de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il pensait avoir
soutenu les gens dans la peine en mettant à leur disposition une partie de ses
biens. Il comprit alors que la chaleur humaine passe par la rencontre ;
qu’il ne suffit pas d’être généreux en biens matériels ou en argent pour qu’une
relation humaine s’établisse ; que ce qui est d’abord attendu est une
présence de proximité. Une cohésion sociale, insiste celui qui m’a raconté
cette histoire.
Quant à moi, je me dis que la maxime préférée des Camerounais, « On est ensemble »,
trouve peut-être là tout son sens. Non, l’argent ne peut pas pleurer avec toi.
« Il faut
que nous apprenions à mieux gaspiller
l’argent ». Un peu interloqué par la formule, j’ai demandé la
répétition de la phrase, puis je l’ai consciencieusement écrite au tableau.
C’était lors d’un cours de gestion au centre de formation agricole de Jéricho.
Quelques minutes plus tard, je trouvais bien sûr le temps d’expliquer le mot
gaspillage, selon le dictionnaire, et j’ajoutais que l’expression « mieux utiliser
l’argent » serait probablement préférable, en matière de gestion en
tout cas.
« Vous
allez voir comment l’argent va être gaspillé,
des billets et des billets qui vont voler partout. Ah oui, vous avez de la
chance, vous allez assister à un grand mariage ». Tizé est tout
émoustillé à l’idée de nous faire découvrir cet évènement. « Vous voyez tous ces gens qui marchent, bien
habillés, ils vont à la fête ».
Pour l’heure, il est 16 h, il nous faut livrer des
médicaments au prochain Centre de santé et nous constatons effectivement qu’à
plusieurs km, de part et d’autre, des groupes colorés s’acheminent vers le lieu
désigné. « Quand on va repasser la
danse aura commencé, et là vous verrez les billets ! ».
Deux heures plus tard, en bordure de piste, au
beau milieu d’un champ, l’attroupement est bien visible. On entend le son
éraillé d’une guitare électrique accompagnée de quelques djembés. Un mini
groupe électrogène assure le courant pour l’ampli et 3 ou 4 lampes accrochées à
des piquets.
Nous l’avions remarqué tout à l’heure, plusieurs
femmes portaient des marmites sur la tête. Là, elles s’installent en ligne, à
même le sol, et allument des feux pour cuire ou réchauffer les aliments
qu’elles ont apportés. C’est un vrai marché qui prend forme, avec une série
d’étals de colifichets et de boissons.
Nous traversons ce petit capharnaüm pour accéder
au « sanctuaire », un espace vaguement délimité par un rang de fil de
fer barbelé. La danse a commencé, une file d’hommes, une file de femmes forment
comme un cercle. Les corps oscillent en cadence, les pieds marquent le sol, se
déplaçant à peine. Un vigile, chicotte à la main, empêche les intrus de
pénétrer ce domaine réservé. Deux jeunes filles restent accroupies au milieu,
avec des cuvettes : « Elles
sont chargées de l’argent, elles vont le récupérer ».
A intervalles, les groupes de danseurs vont se
succéder dans l’enceinte ; d’abord les amis du marié, les amies de la
mariée, la famille de la mariée... C’est parce que ce couple a de nombreux amis
que le mariage est grand.
Un griot miséreux invite chacun à être généreux
envers le jeune couple. Entre deux danses, le « blama » (chef de quartier) prend le micro pour assurer que
toutes les dispositions ont été prises afin que cette fête se déroule sans
incident, on ne dépassera pas 2 heures du matin.
La danse se poursuit. Et voilà qu’une personne
remonte rapidement la file des danseurs avec un paquet de billets de banque en
main. Elle puise dans sa liasse et appose quelques devises sur le front de
chaque danseur. Bien entendu, les billets s’égaillent sur le sol. Les jeunes
filles, préposées à cette tâche, s’empressent de les récolter de chaque côté de
l’enfilade. Les danseurs poursuivent leur piétinement sans se soucier des petites
mains qui récupèrent les coupures sous leurs pieds. Un peu à l’écart, trois
trésoriers comptent et classent toute cette monnaie sur une table,
symboliquement protégée. A peine une personne a-t-elle fini sa distribution,
qu’une autre prend le relais. Certains ne vont remettre leur don que sur le
front de l’une ou l’autre des personnes à l’honneur : la mariée, sa mère,
son beau-père….
Tizé nous avait mis la puce à l’oreille en nous
informant que la mission catholique demandait
aux chrétiens de ne pas organiser ce genre de fête où l’argent semble gaspillé. « C’est une tradition assez nouvelle
ici, elle vient du Nigéria, tout proche. C’est
beaucoup d’argent mais ce n’est pas beaucoup ! ! »
Hé
oui, parce qu’il y a une astuce pour disposer de tels volumes de billets. La
distribution se fait avec la monnaie nigériane : le Naira. Et cette devise ne
dispose en pratique que de billets, dont les premiers ont évidemment une valeur
très faible !
Sur cette zone frontalière, un billet de 5 nairas s’échange
contre 15 francs CFA, soit 0,15 de nos « ex-francs », autrement
dit 2 centimes d’euro ! Des changeurs passent dans les rangs des invités
pour convertir leurs francs CFA en nairas. Un petit billet de 1 000 F CFA
devient 60 billets de 5 nairas ! Maryvonne en profite pour obtenir deux
jolis billets de 5 et 10 nairas pour la collection de notre Lolotte.
Un participant me confie « Aujourd’hui, je prévois de donner
10 000 F CFA à l’occasion de cette fête, quand ce sera mon mariage je
récupérerai largement cette somme ».
Depuis mon arrivée, j’entends souvent « Tu devrais visiter l’hôpital de
Tokombéré ».
Le vendredi 9 avril, j’ai la joie de passer une
matinée dans ce centre grouillant de vie, bien accueillie et guidée par
Kamtchouloum (aide-soignant rencontré à l’occasion de 2 journées de formation que
j’ai assurées à Maroua, sur les injections et les pansements).
Créé en 1959 par le Docteur Maggi (un médecin
suisse) cet hôpital devient, sous l'impulsion de Baba Simon (prêtre
Camerounais), puis de Christian Aurenche (prêtre-médecin français), un
véritable Centre de Promotion de la Santé.
« Notre
objectif devrait être, l’homme et sa santé et pas seulement sa guérison. Nous
ne devrions pas lutter d’abord contre la maladie mais pour la vie »
(Christian Aurenche)
L'activité curative ne
permet pas, à elle seule, d'améliorer l'état de santé d'une population. Il faut
aussi un engagement profond et durable des communautés humaines. Le Centre de Santé est
tout autant un lieu de formation, de rencontres et d'accompagnement pour les
villageois qu’un centre pour dispenser des soins.
La vie à l’hôpital
Chaque malade hospitalisé
est entouré d’un ou plusieurs « gardes-malades » (famille, voisins,
amis…) qui le prennent en charge pour la toilette, la surveillance des
traitements, la nourriture, la lessive… La disposition des bâtiments permet
cette intense participation des familles (puits, foyers, bac à lessive…)
La nourriture est
préparée de manière traditionnelle. Des foyers sont situés sous des hangars et
chaque femme achète un peu de bois à 200 FCFA le fagot (0,30 €) pour cuire la
bouillie de mil de son malade. La viande peut aussi s’acheter dans
l’enceinte !
Un grand service de pédiatrie
Les nombreux enfants
hospitalisés en pédiatrie sont d’abord soignés pour leur pathologie, puis une
éducation nutritionnelle est mise en place.
La malnutrition reste un
problème majeur dans cette région. Elle est liée en grande partie à
l’insuffisance de production de la culture vivrière, à la sécheresse et aussi à
la mauvaise gestion des revenus agricoles. Pour calculer l'état de malnutrition, l'on divise le poids en
kg par la taille (en m) au carré ce qui donne un IMC (indice de masse
corporelle). Par exemple récemment, j'ai dépisté un enfant de 8 mois qui
mesurait 63 cm pour 4,5 kg, soit un IMC de 11. On considère qu'une
personne est en dénutrition lorsque son IMC est inférieur à 16.
Les enfants dépistés en
PMI pour une malnutrition légère sont suivis dans le village et des conseils
nutritionnels sont donnés aux mamans.
Si le cas est sévère, (par exemple 5 kg de poids pour 1 an ou plus,
ce qui n’est pas rare) l’enfant est placé en hôpital de jour. Les mamans
sont réparties par secteur linguistique pour faciliter la communication entre
elles pendant les causeries éducatives.
Lors de ces animations,
le responsable nutritionnel leur explique l’intérêt du « grenier de l’enfant » Il s’agit
d’une réserve de mil exclusivement destinée à l’enfant, cette part ne risquera
plus d’être utilisée pour la production de la bière locale (bilbil). Avec cette gestion la
nourriture sera suffisante toute l’année pour garder l’enfant en bonne santé.
Le village n’est-il pas le premier centre de santé ?
Il y a aussi, 3 fois par
semaine, des démonstrations nutritionnelles où les mamans apprennent à faire la
bouillie enrichie comme ci-dessous : mil + soja + arachides + F75 (lait thérapeutique).
Situé dans une région
très pauvre, l’hôpital pratique un système de tarif allégé, le patient paie un
forfait (voir le billet : Soigner
par épisode).
Bonus
Au moment de quitter la
maternité (120 accouchements par mois en moyenne), la vie m’a fait un beau
cadeau : J’ai partagé la joie d’une maman qui m’a présenté son petit
garçon. En effet, j’ai pu constater une fois de plus que les bébés naissent
avec la peau claire avant de prendre la couleur de leur continent.
Par GL le samedi 10 avril 2010 (19:45)
- L'agriculture
Paysan, un joli mot pour
désigner celui qui cultive la terre de
son pays.
Encore faut-il disposer de cette terre, je ne parle pas de la posséder, je
dis bien en disposer, tout simplement.
Au Nord-Cameroun la problématique du foncier est vitale. Le climat est certes
difficile, les pluies sont capricieuses, insuffisantes et dévastatrices à la
fois, mais le plus contraignant pour un agriculteur n’est peut-être pas la
météo. Une épée de Damoclès est suspendue, quasi en permanence, au-dessus d’une
majorité des paysans d’ici : « De
quelle terre vais-je disposer pour mes cultures à la prochaine saison des
pluies ? »
Dans les discussions les mots « achat »
et « vente » de terre reviennent
souvent. Par exemple : « Cette
année, j’ai acheté trois quarts ». Ici, la mesure de base de la
surface agricole est le quart d’hectare
(1/4 ha). Sur la région une famille moyenne cultive d’un à trois ha pour se
nourrir et tirer son revenu de l’année !
Revenons sur : « j’ai
acheté trois quarts ». Là, il faut absolument décrypter, il ne s’agit
nullement d’un achat, mais au mieux
d’une « location » ;
espérons seulement qu’elle soit en bonne et due forme. Hé oui, parce que les
écrits sont rares et que le « propriétaire »
aura peut-être simultanément « vendu »
son champ à une ou deux autres personnes !
Vous remarquez que mes expressions en
italique sont nombreuses. C’est que le droit camerounais n’est pas simple,
pas vraiment clair, et qu’il est bon d’être guidé pour le
comprendre un peu. Vous voulez en savoir plus ? Allons-y.
Au Nord-Cameroun, plusieurs niveaux de « droits fonciers » se superposent, dans un syncrétisme tout
africain.
Commençons par la Loi
camerounaise. Selon elle : Le Cameroun appartient à l’Etat, aucune personne n’est vraiment propriétaire
d’un terrain tant que l’Etat ne lui a pas accordé de titre foncier. Ainsi donc en l’absence d’une immatriculation dûment
établie, personne ne peut acheter ou vendre une terre, ni même la louer.
Précisons qu’un titre foncier est généralement difficile à obtenir. Même si un
décret récent vise à accélérer les procédures, plusieurs années de démarche
sont couramment nécessaires, tout particulièrement au Nord-Cameroun. Par
exemple, le diocèse de Maroua n’a toujours pas de titres de propriété pour
l’emplacement de plusieurs églises ; des demandes sont en cours, mais les
dossiers trainent.
Un autre cadre de référence est la Coutume traditionnelle : La
terre appartient au village. Le
chef est responsable de sa distribution aux membres de la communauté. Là, une
famille se voit attribuer un terrain à cultiver, l’usage de cette parcelle
passe de génération en génération, mais au sens strict cette famille n’en est
pas propriétaire. L’absence de mise en culture d’une terre peut signifier son
abandon ; son usage devrait alors retourner au pot commun du village. Mais
en pratique, une famille vivant à Yaoundé depuis 40 ans se souviendra, en temps
opportun, que le grand-père (ou l’arrière grand-père) cultivait telle ou telle
partie de montagne.
Un troisième cadre est la « Loi
musulmane » : La terre appartient à Dieu seul. Son représentant sur terre est le Lamido (chef
musulman) qui l’attribue à qui il veut. Dans le Nord-Cameroun, principalement
dans la plaine, la structure des chefferies musulmanes est très présente.
L’attribution d’un terrain s’accompagne de la dîme annuelle (sorte de denier du culte) due au Lamido.
Comment faire coexister ces diverses tutelles ? Comment régler les
litiges qui ressortent de cet imbroglio de « législations » ? L’Administration (le Sous-préfet) compose
couramment avec les éléments « traditionnels » (coutume et religion)…
et un arbitre a pris place comme une « quatrième
loi » : celle de l’argent !
Poursuivons. Légalement donc la propriété
officielle d’une terre est rare en milieu rural. Toutefois, la population admet,
comme un fait accompli, la propriété personnelle des terres que s’attribuent
les chefs (chef de village, chef de famille, chef musulman). Donc, chaque
agriculteur doit passer par un chef pour disposer d’une terre à cultiver.
Mais le pire de cette situation est qu’il s’agit d’une « location »
de très courte durée : figurez-vous que 50 % des terres du Nord-Cameroun sont
mises à disposition pour un an seulement. Un paysan sur deux n’a pas l’assurance
de disposer de la même terre l’année suivante !
Sans être agronome, chacun imagine facilement les aspects néfastes d’un
tel système. Chaque année, le « propriétaire » est à l’affût d’un
nouvel utilisateur qui lui donnera un peu plus d’argent que le précédent. Le
« locataire », quant à lui, n’a que l’objectif d’une récolte
immédiate. Il ne va nullement chercher à améliorer la fertilité du champ (diguettes
pour limiter l’érosion, apport de compost, rotation de cultures, etc.) ;
D’autant plus que si son rendement devient meilleur, il suscitera la convoitise
de voisins qui proposeront alors au propriétaire de lui louer cette terre à un
prix supérieur !
Pour que cette situation, globalement mauvaise pour tous, s’améliore le CDD
propose la mise en place d’un contrat entre « propriétaire » et
« locataire ». Le libellé d’un tel contrat nécessite de la prudence
car légalement la propriété n’est pas attestée. Il est donc considéré que le
chef dispose d’un « droit de jouissance » sur ses terres et qu’il a
la possibilité de le « mettre à disposition » d’une autre personne.
La contrepartie de la mise à disposition de ce droit de jouissance sera quant à
elle mentionnée comme « un cadeau ». Ces papiers de « location »
d’un an sont un premier pas vers plus de sécurité foncière ; les chefs
traditionnels les admettent de plus en plus, les musulmans sont encore assez
réticents.
Pourtant seul un allongement de la durée de location peut améliorer
simultanément la sécurité de l’exploitant et la qualité des sols. Un type de
contrat gagnant-gagnant est désormais proposé : Je mets à ta disposition pour 3 ans (ou 5 ans) cette terre dont je suis
responsable, mais tu devras y réaliser tels travaux d’amélioration foncière :
construire 150 m
de diguettes, planter 5 arbres fruitiers, apporter du compost chaque année…
Pour la qualité des terres du Nord-Cameroun et pour la vie de ses paysans,
espérons que la sagesse l’emportera et que ces contrats deviendront largement
admis. Nous sommes loin de l’assurance de nos baux ruraux, mais ne faut-il pas un
commencement à tout ?
A Jéricho, Lucien cultive les hommes comme il cultive la terre, patiemment,
fermement. Durant une année pleine, il tente d’amener chacun et chacune à
produire le meilleur de lui-même.
Étrange, fascinant, ce lieu perdu dans la campagne camerounaise. A ma
première question : "C’est où
Jéricho ?", la réponse était toujours la même : "Quelque part du côté de Douroum". Alors, il
faut d’abord faire un bout de chemin, puis demander : "Oui c’est devant ; allez, c’est pas loin" (ce n’est jamais
loin !). Encore une ou deux requêtes, et quelqu’un monte à vos côtés, ou
roule devant à bicyclette, pour vous guider dans les derniers hectomètres.
Depuis un bon mois, me voici au cœur des tâches mentionnées dans ma fiche
de poste : Le volontaire assurera une partie de la formation agricole au Centre
Jéricho, et il assurera appui et conseil aux couples stagiaires pendant la
réinstallation à leur retour au village.
Autant vous le dire tout de suite, ces activités me plaisent beaucoup, j’y
prends mon pied !
Au sein du Comité diocésain de développement (CDD) de Maroua, cette
structure de formation tient une place essentielle. Venant de l’ensemble du
diocèse (superficie et population équivalentes aux trois-quarts de la Bretagne)
12 jeunes couples d’agriculteurs sont invités à venir vivre une année complète
dans ce lieu. Il est demandé que l’homme ait au moins le niveau de fin d’études
primaires ; assez fréquemment sa compagne est analphabète. Avec de la
patience et beaucoup d’encouragement, elle franchira avec grande fierté le pas
de l’alphabétisation.
Ils viennent avec leur nourriture de base pour toute une année (2 sacs de
mil par personne). Sur place, ils reçoivent un petit pécule mensuel (6 à 9 000
F CFA, soit 10 à 15 euros) pour couvrir leurs autres besoins : achat de
viande, poisson, sauce, habillement, santé, déplacement…
Leur vie sur place est semi-communautaire ; chaque couple, presque
toujours accompagné d’un ou deux jeunes enfants, dispose d’une case en dur, avec
cuisine (petite construction en extérieur) et poulailler.
Pour entreprendre cette formation, ils sont sollicités par les Comités de
promotion humaine (CPH) des paroisses. Le premier objectif de l’année est la
formation personnelle et professionnelle de chacun ; cependant, il est
aussi attendu que ces jeunes couples soient des modèles, des exemples pour le
développement de leur milieu. Ils se savent pionniers pour
la mise en œuvre d’une agriculture « durable ». Nota : le mot
n’est pas utilisé ici, mais je peux vous assurer qu’il s’agit bien de cela, et l’agriculture
la plus couramment pratiquée ici ne va guère dans ce sens ! Bientôt, je
ferai un billet sur la gestion des terres au Nord-Cameroun.
La formation est à la fois pratique et théorique, professionnelle et
familiale, humaine et chrétienne... Il s’agit bien du développement de tout l’homme
selon la belle expression d’une lettre du pape Paul VI sur le développement des
peuples (Populorum progressio, 1967).
Voici quelques temps, le curé de Douroum me disait enthousiaste,
admiratif : « A Jéricho j’ai vu
des hommes et des femmes se mettre debout. »
Je vais sur place une journée par semaine, pour y donner le cours de Gestion d’exploitation agricole familiale.
Comprenez bien, il s’agit de formation d’adultes, avec une pédagogie active,
alors j’ai vraiment l’objectif que ce soient les stagiaires eux-mêmes qui remplissent
le contenu de ce cours… je puise simplement le cadre dans des livrets du CDD
(voir par ex. Pour des cacahuètes).
A la fin de l’année, chaque famille retourne chez elle avec la récolte obtenue
du travail de la parcelle qui lui a été attribuée. Ce n’est plus 2, mais 10 ou
15 sacs qui les accompagnent ! Sans oublier l’âne qui a soulagé leur
peine... et l’enfant supplémentaire conçu sur place !
La seconde année de formation va désormais se passer sur leur propre terrain (à
suivre…).
Comme
partout dans le monde, la journée du 8 mars est jour de fête à Maroua.
Depuis
des semaines, des mois parfois, les femmes en parlent, se rencontrent,
préparent
les expositions de leur travaux… Chacune fait coudre le pagne que son
mari lui aura
acheté. Il arrive même que des collègues hommes se cotisent pour
l’offrir aux femmes de leur entreprise. Quant à moi, évidemment, je me
le suis
offert !
Son prix est unique : 5 500 Francs CFA soit ~8 €. Ensuite tout est dans la coupe et les broderies qui dépassent souvent la mise initiale.
Enfin
arrive le jour J. Vêtues de leurs jolis pagnes aux couleurs du drapeau
Camerounais, un nombre important de motos les transportent des quatre
coins de la ville.
Toutes
se dirigent vers le lieu du défilé où les attendent les
personnalités locales (gouverneur, consul,
députés, maire, évêque... enfin tout le gratin de la ville de Maroua).
Après
l'hymne national et les discours d’usage, les femmes se rangent derrière
la bannière représentant
leur association. Parfois elles ne seront que 3 ou 4 mais la qualité ne
dépend
pas du nombre ! L’essentiel est d’être là.
Au
passage des 140 délégations, les personnalités applaudissent.
La
matinée se termine par le resto pour les plus fortunées ou tout
simplement
devant quelques bières « 33 » dans le café du coin.
Pour certaines cependant le 8 mars ressemble à
tous les autres jours. Le long
de la route les vendeuses de beignets, de carottes, de tomates...
essaient de gagner quelques
pièces pour faire vivre leur famille.
Point
de 8 mars non plus pour ces nombreuses mamans venues à la consultation
avec leur
enfant malade. Elles devront patienter encore et encore car il n’y a que
3 hommes infirmiers
et la Nassara (la blanche) présents
ce jour là. En général, dans notre centre de santé, le lundi il n’est
pas rare de voir 60 malades dans la
matinée. Bien que ce ne soit pas un jour férié, les 11 femmes qui y
travaillent sont absentes, malgré la demande du chef de s’organiser pour
une
permanence. Pour elles, cette journée du 8 mars semble plus importante
que tous ces malades qui devront être
encore plus « patients » que d’habitude.
Agence France Presse le 13/03/2010 à 16h19 : Le chanteur engagé Jean
Ferrat, qui résidait depuis des années en Ardèche, ce qui lui avait inspiré sa
célèbre chanson "La montagne"
en 1964, est décédé ce samedi à l'âge de 79 ans…
Habituellement je n’ai guère le réflexe de l’immédiateté, si prisé des
internautes. Pourtant, en la découvrant sur le portail Orange, cette nouvelle
me touche et je me dis : C’est le
moment, compose ce billet qui te trotte dans la tête depuis ton premier jour au
Nord-Cameroun.
« Pourtant que la montagne est belle, comment peut-on s’imaginer, en
voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver. » Ce refrain occupe fréquemment mon esprit, au cœur de ces superbes paysages des
monts Mandara. Est-ce l’automne ici aussi ? Quel avenir pour ces
montagnards ?
Durant de nombreuses années, j’ai interprété "La montagne". Récemment, mon père m’a confié que, depuis notre
ferme, il m’avait entendu la chanter au micro à la kermesse de la paroisse. C’était
peut-être l’année de sa création, je devais avoir 18 ans.
« Avec leurs mains dessus leur tête, ils avaient monté des murettes
jusqu’au sommet de la colline»
Ici la phrase ne se conjugue pas au passé, elle est bien au présent, à
l’impératif présent.
Ici, nul besoin de transporter les pierres, elles sont là, partout. Partout
elles sont déplacées, relevées, alignées, entassées dans un désordre ordonné.
Partout, en cette saison sèche, des moignons de tiges de sorgho attestent de la
culture de cette plante nourricière à la saison favorable.
« Deux chèvres et
puis quelques moutons, une année bonne et l’autre non »
A nouveau, une strophe qui
résonne aussi justement ici qu’en Ardèche. Chaque année la même inquiétude :
comment seront les pluies ? Nous permettront-elles une récolte suffisante
pour nourrir toute la famille ? Devrons-nous nous séparer de nos animaux pour
acheter le sac de mil qui nous manque ?
« Qu’importe les jours, les années, ils avaient tous l’âme bien née, noueuse
comme un pied de vigne. »
On pressent la ténacité de la population, accrochée à ses coteaux depuis
des générations. Bien sûr, aujourd’hui certains quittent leur terroir, à la
recherche d’une vie moins dure, mais beaucoup veulent y vivre encore et encore.
Seraient-ils mieux ailleurs ?
Ils vivent par leurs racines. Qu’ils se déplacent un peu, vers les terrains
de piedmont, ou plus loin, vers la ville, ils gardent chevillés au corps leur sol
natal (l’omniprésence des rochers me fait hésiter à utiliser l’expression terre natale).
Ainsi, en ville, il n’y a pas besoin d’une longue conversation avec
quelqu’un pour qu’il vous informe : Je
suis de … On comprend vite qu’une partie de sa vie est là-bas.
Certains coins de montagne sont-ils encore vivables ? La question se pose
vraiment. Le sol est ingrat, l’eau manque. Mais au pied des collines la terre est
sur-occupée et les puits s’assèchent trop souvent à partir du mois de mars. Pourtant
des hommes et des femmes courageux
retroussent leurs manches pour améliorer la fertilité de leur terroir et en
demeurer fiers. (voir la conclusion du billet : Un nouveau mayo.)
Par GL le samedi 6 mars 2010 (01:24)
- L'agriculture
Travailler pour des cacahuètes ! Cette expression populaire a, chez nous, une connotation de
gagne-petit ? Mais au Nord-Cameroun, je découvre que cette culture est un précieux
revenu pour nombre de familles rurales.
Depuis quelques jours, me
voici aiguillonné par les questions de Juliane, jeune stagiaire française
cherchant à retracer le circuit commercial de l’arachide. Alors, j’entre en
contact avec Jérôme, qui me renvoie vers Sidi, pour finir, comme aimanté, par
Gonzague et son érudition, toujours pragmatique.
« Oh, l’arachide c’est beaucoup de travail !
C’est même la culture qui donne le plus de travail. Mais c’est une culture très
intéressante, et bien des familles en retirent un sérieux revenu dans certaines
zones du Nord-Cameroun. »
Quelques minutes plus
tard, Gonzague m’extrait de ses étagères à trésors le fascicule de
vulgarisation qu’il a consacré à cette « légumineuse ». Faut-il
préciser que ce mot n’indique pas que cette plante soit un légume ? En fait
ce terme agronomique désigne les plantes ayant la capacité de stocker sur leurs
racines l’azote qu’elles ont puisé dans l’air. Voilà un premier bénéfice :
l’arachide apporte dans le sol un engrais, gratuit et biologique. D’autres
plantes s’en nourriront, le mil par exemple.
Le livret précise que les
arachides sont une très bonne nourriture pour l’homme, spécialement pour les
enfants. On les retrouve souvent dans les sauces, si prisées des africains. Il en est extrait aussi de l’huile, et le tourteau qui en résulte est consommable. En
supplément, les fanes sont également un excellent fourrage pour les animaux.
Chaque jour nous croisons, même en ville, des vélos chargés d’une grosse botte
de ce « foin », pour les chèvres, les moutons et même les bœufs dans
les concessions.
Je passe sur les
multiples pages pratiques consacrées à la culture (Une devinette : Où se trouvent les gousses de cacahuètes quand
on va les récolter ?).
Les surfaces sont bien
sûr assez réduites, quelques ares, l’arachide pousse bien en culture associée
avec du mil, dont elle ne réduit guère le rendement.
La moitié du travail reste
à faire après la récolte. Pour 1 000 m², les temps de travaux ont été calculés
sur la ferme expérimentale du Village de
l’amitié à Mokolo. De la préparation du sol à la récolte en gousse : environ
280 h. L’ouverture des gousses : 270 h. On constate donc que sur un total
de 550 h de travail, 49 % sont consacrées au décorticage ! C’est un travail
que l’on fait en famille, souvent le soir, et l’on ne compte pas son
temps ! Seconde devinette (plus facile) : Combien de temps faudrait-il passer au décorticage manuel si une famille
cultivait un ha d’arachide ?
Toute la récolte est vendue
décortiquée, le plus souvent en petites quantités à la fois. Pour se rendre au
marché local on se déplace à pied, en vélo, en moto, avec l’âne… avec des
bassines ou des petits sacs.
Là des marchands
remplissent leurs sacs, ils ont souvent un petit entrepôt de stockage en
bordure de marché.
Ensuite des petits
camions acheminent cahin-caha cette denrée jusqu’en bordure d’un axe goudronné.
Enfin la marchandise
quittera la région dans d’énormes semi-remorques qui rejoindront le port de Douala,
à 1000 km tout au sud. On dit que là-bas les principaux acheteurs sont les Gabonais.
A mon avis, quelques bateaux
doivent sûrement mettre le cap vers l’Europe, foi de cacahuètes !
Pour les devinettes :
1. Je n’ai pas de photo
d’arachide dans les champs car ce n’est pas la saison. La plante ressemble assez
à un pied de haricot, mais, bizarrement, l’ovaire fécondé descend en terre et les gousses se
forment et murissent à une profondeur
de 3 à 5 cm dans le sol.
2. Vous n'êtes pas sûr, cherchez encore…
même Mamoudou aurait donné la réponse exacte ! (voir le billet : Comment j’ai quitté l’école).
« Allez, raconte, oui raconte. ».
Au Bar des amis les copains attablés
sont impatients de la bonne histoire qu’ils ont pourtant déjà entendue cent
fois. Nous sommes 6 coopérants DCC à être reçus à Ngong par le club des
vétérans. Notre introducteur est Baudoin, volontaire en poste ici depuis plus
d’un an, il apparaît parfaitement intégré à ce groupe de sportifs, dont aucun
ne louperait cette 3ème mi-temps autour d’une bière.
Depuis notre arrivée, une musique, rythmée et lancinante à la fois, s’échappe
d’un baffle posé sur le muret. Elle est suspendue pour les discours d’usage. Un
délégué du maire de la commune vient de s’intercaler sur un banc sous
l’appentis. Le président du club lui explique qui nous sommes. L’élu dit son
plaisir de nous accueillir dans sa ville. Le chargé de mission de la DCC, souligne que les uns et
les autres peuvent retirer beaucoup de cet échange de culture. Applaudissements
et redémarrage du CD.
Les convives se balancent en cadence et fredonnent le chant : « Tu étais sous mon toit, mais tu as quitté
mon toit… Alors je dis vas-t-en, vas-t-en. Je n’en peux plus, peux-plus. Tu
m’as déçu, déçu… »
Cependant des voix s’élèvent : « Mamoudou, comment t’as laissé l’école ? » Et tous de
reprendre : « Oui, Mamoudou,
raconte comment ça s’est passé.»(1)
Juste ce qu’il faut de faux-fuyant, puis Mamoudou se lève nonchalamment. Le
silence se fait. Il passe ses mains sur son ventre arrondi « J’ai un ventre bien plein, mais ma tête
l’est beaucoup moins, je vais vous dire pourquoi : » (2)
En ce temps-là, je fréquentais l’école normalement. J’avais ma place sur un
banc de la classe. Un jour, en géographie, la maîtresse a posé une
question : « Qui a été le
premier à faire le tour du monde ? »
Tous les bons élèves, ceux qui sont devant, ont levé le doigt : « Moi madame ; moi,
madame. » Mais la maîtresse ne les a pas interrogés. Elle a pointé sa
main vers le fond de la classe :
« Toi. »
Moi, je discutais tranquillement avec mes camarades. J’ai regardé derrière.
Il y avait encore une dernière rangée, celle de ceux qui s’appuient contre le
mur, aucun d’eux n’avaient le doigt levé.
La maîtresse s’est approchée : « Toi. » Elle me pointait. J’ai regardé tout autour, personne
n’avait de doigt levé, seulement les bons élèves, ceux qui sont tout devant.
« J’ai dit toi. »
« Moi ? ? Mais madame
je n’ai pas levé le doigt. Il y a 113 élèves dans la classe, ceux de devant
lèvent tous leur doigt, c’est eux qu’il faut interroger. »
Elle continuait à me « pointer », à m’« indexer ».
« Elle le pointait,
lui ! » S’esclaffe une de ses fans. « Elle l’indexait ! »
« Je n’ai pas levé le doigt,
madame… je ne sais même pas la question que vous avez posée »
« Qui a été le premier à faire
le tour du monde ? »
« Mais regardez, madame,
tous les bons élèves veulent répondre… Moi j’ai pas levé le doigt ».
« Il n’a pas levé le
doigt ! » Reprend son admiratrice.
« J’ai dit toi. »
Alors, je me suis levé, j’ai mis mon sac en bandoulière et je suis rentré
chez moi.
C’est comme ça que j’ai quitté l’école, définitivement !
(1) Pour les initiés, nous précisons que cette
sollicitation nous a aussitôt transportés dans l’ambiance qui précède
l’histoire de la « D’gépe »
(guêpe en gallo) si souvent réclamée à Dominique par sa famille et ses amis.
(2) Ici, il faudrait rehausser notre récit du
superbe accent camerounais, et imaginer cette prose avec toute la saveur de ses
répétitions progressives qui font durer la narration.
« C’est une maison
rose… » (air connu). Oui je sais, la demeure de Maxime Le
Forestier était plutôt de la couleur du ciel : « C’est une maison bleue, adossée à la colline, on y vient à pied, on ne
frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clé. ». Pourquoi cet air me
trotte-il dans la tête à l’approche de notre nouvelle maison alors qu’elle n’a
pratiquement aucun point de ressemblance avec celle du chanteur de San-Fransisco ? Préservons le
mystère des associations d’idées.
Depuis début février, nous voici donc entrés dans notre home. Quelques
bonnes journées d’aménagement ont été nécessaires. Cela explique notre
« silence blog » depuis près de 3 semaines (avec en plus des
activités « professionnelles » qui s’intensifient quelque peu, comme
il se doit).
La Villa rosa est bien connue dans le quartier Djarengol.
Jusqu’en décembre 2009 ce lieu servait de cybercafé. Son grand mur d’enceinte
vient de recevoir une nouvelle couche de rose flashy !
Heureusement, c’est un bleu tendre qui a prévalu pour la plupart des autres
faces intérieures et extérieures. Nous aimons bien.
Arrosage et décapage général des fenêtres et du sol, rideaux ici, petits
meubles là, tournevis par-ci, lubrification par-là, petit à petit la grande
maison poussiéreuse devient un chez-nous.
C’est le CDD qui loue cette habitation pour nous. Bien que sa dimension
soit au-delà de ce que nous aurions souhaité, elle a deux grands
avantages : primo, elle est tout proche de nos lieux habituels de travail ;
secundo, de hauts murs la protègent d’intrusions malveillantes. Cette
protection n’est pas spécialement à notre goût mais il semble bien que ce soit
simplement du bon sens.
Cela ne nous empêche pas d’entrouvrir la grande porte, aux voisins et
enfants du quartier qui viennent se régaler de biscuits offerts par la
« nasaara » (la blanche).
Encore un avantage, et non des moindres, nous avons une chambre totalement
disponible pour les amis, alors si un taxi brousse (ou même un avion parfois)
vous amène jusqu’à Maroua n’hésitez pas à solliciter un petit coin de
natte !
Nous souffrons trop du manque d’eau, nous voulons
construire des biefs en pierres calées. La demande des
habitants pour un accompagnement est sans équivoque. Pourtant, le staff « développement rural » du CDD, 3
équipes de 2 animateurs, a décidé de tenir là une première réunion de type
« Approche village » (voir
le billet du 7 janvier 2010).
Après quelques km de
bitume, nous empruntons une assez bonne piste, puis nous abordons des sentiers
pédestres où le chauffeur du 4X4 hésite à s’engager ; subitement j’entends
« Là, arrête-toi là »,
c’est au beau milieu d’un champ ! Nous ferons un bon km à pied pour
rejoindre la première habitation du village.
Il fait frisquet, le
vent d’harmattan souffle du Nord. Un crieur lance des appels au loin.
On ouvre les ventaux de
tôles de la chapelle protestante. D’ici une heure, arrivant par petits groupes,
une soixantaine de personnes y auront pris place. Mais sans attendre, Salomon a
débuté la carte des ressources du village. On représente les
« routes » et les cinq quartiers de ce plateau de piedmont. Pour
chacun d’eux, puits, forage, école, chapelle, grenier communautaire… sont
recensés.
Quatre quartiers ont un
puits ou un forage mais ils tarissent vite. Il faudrait retenir l’eau qui passe
rapidement dans le « mayo ». Ce ruisseau-torrent
laisse l’eau s’écouler à toute vitesse et se retrouve à sec dès la fin de la
saison des pluies. En construisant des biefs, petits barrages en travers du mayo, l’eau a le temps de s’infiltrer
dans le sol et d’alimenter la nappe phréatique. Il faut en faire suffisamment,
chaque 50 mètres,
pour une infiltration maximale. Depuis plus de 20 ans, des milliers de biefs
ont été construits dans tous les monts Mandara. Pour garantir leur efficacité,
leur mise en œuvre doit se faire selon des techniques éprouvées, la plupart du
temps à l’aide de pierres calées les unes sur les autres, sans ciment. Un organisme,
proche du CDD, s’est spécialisé dans le conseil et le suivi des travaux. Ici,
il n’y a que deux biefs, leur efficacité est insuffisante pour les puits.
Les habitants sont
prêts à s’investir dans la construction d’une vingtaine de biefs en pierres
calées
Et voilà que le CDD
souhaite les emmener sur d’autres terrains ! Quelles sont les causes de la
situation actuelle ? Qu’est-ce que le développement pour vous ? Si
les choses se poursuivent comme maintenant, qu’est-ce qui adviendra pour votre
village ? Dur, dur !
Commence alors une
intense cogitation pour la recherche de causes et de solutions. Nous sommes plus nombreux, nous avons plus
d’animaux, il pleut moins qu’avant et c’est mal réparti, nous coupons le bois,
c’est Dieu qui décide, la roche est trop dure elle ne retient pas l’eau…
Je ne vous refais pas
toute la réunion (pourtant fort intéressante) et j’en viens à ce que j’ai
découvert en même temps que beaucoup de villageois, me semble-t-il.
Autrefois, nous avions
de l’eau sans discontinuer dans nos puits traditionnels. Pourtant nous n’avions
pas de bief… et il n’y avait même pas de mayo
à traverser le village ! Ce mayo
est nouveau.
Ce mayo est apparu parce que le ruissellement est accéléré. Pour
cultiver nous avons supprimé la brousse et les arbres, pour faciliter nos semis
de mil nous brûlons les chaumes, les végétaux décomposés ne retournent plus au
sol, la terre devient légère et des ravines se forment rapidement même quand la
pente est faible.
Alors, c’est décidé,
dès cette année nous allons construire 20 biefs, recreuser 2 puits, planter des
arbres ; mais il nous faudra aussi travailler autrement. Sur nos terrains
assez plats nous ne cultivions pas en terrasses, il va falloir le faire, et
apporter du fumier, si nous voulons le développement du village…
Il nous semble entendre
Arnaud(*) nous susurrer : Regardez, les
vivants ont encore besoin de vous, allez, retournez maintenant prendre soin
d’eux.
Alors allons-y, allons
« soigner par épisode » selon la formule des centres de
soins du diocèse de Maroua. Quelle drôle d’idée ces soins par épisode ! Ne
faudrait-il soigner que de temps en temps ? Ne soigner que par
intervalle ?
Mais non, vous l’avez
deviné : il s’agit de l’épisode d’une maladie. Evident n’est-ce pas ?
Pas si sûr ; tentons d’expliquer un peu.
Dans les 12 centres de
soins catholiques du diocèse il est établi qu’un malade n’a pas à repayer le
traitement tant qu’il demeure dans le même épisode d’une maladie. Lors de la première
consultation, l’infirmier jauge la gravité de la pathologie et note sur le
carnet du patient un prix forfaitaire de médicaments. Première difficulté pour
notre esprit cartésien, le diagnostic est-il fiable ? …
Est-ce primordial de le
savoir ; c’est un forfait n’est-ce pas ? Et puis, c’est pour les
médicaments ; et puis, il est fort probable que le malade n’ait pas
suffisamment d’argent sur lui pour les payer totalement ce même jour ; et
puis, il n’est pas tenu de se les procurer sur place…
Donc, le plus souvent,
ces médicaments seront délivrés progressivement, sur plusieurs jours, au
prorata de la somme disponible dans la poche du malade ou d’un proche… et le
forfait indiqué ne sera pas nécessairement atteint si la guérison survient
rapidement. Mais si l’épisode maladif se
poursuit, alorsles médicaments
continueront à être délivrés par le dispensaire, sans que le coût demandé
au malade ne dépasse le montant initial noté par l’infirmier consultant (sauf,
toutefois, si une nouvelle maladie est découverte par un examen de laboratoire).
Jusqu’ici j’ai surtout évoqué
les médicaments, vous avez donc compris que le centre de soins fait office de
pharmacie, les comprimés y étant généralement délivrés à l’unité. Mais les
consultations, me direz-vous, doit-on payer à chaque visite ?
Hé bien figurez-vous
que dans les centres de soins catholiques de ce diocèse, la question ne se pose
même pas. L’option y a été prise que toute personne malade puisse bénéficier au
moins d’un diagnostic du mal qui la frappe ; alors, la consultation y est toujours gratuite.
Mais pas comme ça, pas
si vite, pas sans se préparer, pas en nous laissant désemparés, pas à cet âge,
pas en abandonnant deux jeunes enfants, une épouse, une mère, un père, un
frère, une sœur, des tantes, des oncles, des cousines, des cousins, des amis,
des connaissances…
Dimanche, à 10 h 15, un
SMS nous apprend la terrible nouvelle : Nono est mort, écrasé sous un arbre…
Maryvonne s’écroule.
Non, ce n’est pas possible. Pas lui.
Pourquoi vous associer
à cette souffrance, amis lecteurs ? Peut-être parce qu’une douleur
partagée est aussi allégée ; qui d’entre-nous ne l’a déjà
expérimenté ? Peut-être aussi, parce que nous avons pris le parti de vous
associer, durant cette année, à quelques moments forts de nos vies ; de
vous unir à ce que cette vie loin de l’Europe nous apporte de joies,
d’étonnement, de découvertes… et de tourments aussi. Vous êtes plusieurs à nous
écrire que cela vous touche, et nous ne pouvons répondre à chacun…
Alors, ce journal en
ligne vous crie la nouvelle qui nous frappe au cœur : Arnaud a quitté
notre monde, et nous sommes loin, très loin de nos proches…
Arnaud était le gai
luron de la famille, conteur inégalable de ses aventures… Le jour de son
anniversaire, 36 ans, dans la campagne qu’il aimait, de sales ronces l’ont
empêché de se retirer à temps de l’arbre qu’on abattait. Hémorragie interne, son
souffle s’est éteint, en présence de son père, son frère et son beau-frère.
Pour Maryvonne, Nono
était non seulement son filleul mais aussi comme son « premier fils ».
Bébé, elle l’avait pris en particulière affection quand sa mère était devenue
jeune veuve. Ces liens se sont maintenus par la suite, même quand Arnaud a bénéficié
d’une immense complicité avec son nouveau papa.
Permettez-nous de vous
confier le message que Maryvonne a composé pour sa cérémonie d’enterrement.
Mon Nono
Samedi
après-midi, jour de ton anniversaire, en me promenant dans la brousse au
Cameroun, je pensais à toi et à Marie-Claire ta maman…au plaisir que j’aurai à vous faire découvrir
ces paysages Africains au mois d’octobre prochain.
Toi si
curieux de tout ce qui intéresse l’humain et tout particulièrement de ce que
nous vivons ici.
Pendant ce
temps là, dans ta belle vallée, tu nous quittais définitivement.
Comment y
croire ?
Bien que
des milliers de kilomètres nous séparent, je voudrais te dire Au-revoir.
Je veux
croire que tout l’amour, l’amitié et la joie que tu as su nous donner ne sont
pas perdus à jamais.
Nous
n’oublierons pas le Nono qui nous faisait rire, qui était toujours là quand
quelqu’un avait de la peine.
Désormais,
tu seras avec nous dans une nouvelle présence.
Prends par
la main ta famille et accompagne chacun de nous sur le dur chemin de la
séparation
In English of course ! Hé oui, le Cameroun est
officiellement bilingue. Il y aurait bien 250 langues vernaculaires au
Cameroun, pourtant les 2 langues officielles sont le français et l’anglais(*).
Maroua, ville de province, abrite une foule de
délégations de Ministères et Services de toutes sortes, toujours identifiés dans ces deux langages. Dix fois par km, on se trouve face à l’une de ces pancartes de
bord de route annonçant consciencieusement le « parrainage » d’un
service officiel.
Nous sommes en pleine ville mais le cadre
est presque bucolique. Maroua ne ressemble guère à nos cités bétonnées. Elle est
sillonnée de larges voies, sableuses ou bitumées, bordées de grands arbres.
Leurs vastes ramures protègent les passants des ardeurs du soleil. D’amples
espaces, devenant vite terrains de jeux, s’intercalent entre les constructions.
Poules, moutons, chèvres, petits troupeaux de bovins font aussi partie du
paysage.
Bien sûr le centre ville, avec son grand marché et
sa foule bigarrée, ressemble assez aux clichés habituels des villes africaines.
Pour aujourd’hui, ce qui me frappe à Maroua ce sont ces espaces apparemment
libres, mais on nous dit qu’ils deviendront intensément cultivés dès les
premières pluies de juin.
La ville est traversée sur tout son long (10 km ?)
par deux larges « mayos » sableux. Ce type de rivière coule
uniquement durant la saison des pluies. En saison sèche on en extrait du sable
de construction et, ici ou là, dans quelques trous des gens trouvent le moyen
de laver du linge !
Ainsi l’eau ne serait pas si loin au-dessous, comme
l’attestent les puits répartis dans les quartiers. Le problème est de la
conserver en quantité suffisante dans le sous sol durant les 9 à 10 mois de
sécheresse. Avec une population s’agrandissant chaque année, beaucoup disent
que le niveau des puits baisse sérieusement à partir de février.
Allez, encore une
particularité de cette ville étonnante : on n’y connait pas
d’embouteillage ; les voitures y sont en minorité pour le moment. Voici
quelques années, pour leurs déplacements en ville, les habitants ont réfuté les
voitures-taxis pour choisir le système des motos-taxis. Ces 2 roues sont
omniprésents, ils vous prennent et vous déposent à l’endroit qui vous convient
et ne sont pas trop onéreux (0,15 euro pour 2 km). Mais, outre les
accidents assez fréquents, ils ont l’inconvénient de répandre généreusement
leurs gaz d’échappement.
(*) En réalité les anglophones sont très
minoritaires ici, et le foufouldé
(langue des commerçants Peuls) semble plus répandu que le français dans les
échanges courants.
« Des éleveurs de porcs voudraient s’organiser
pour la commercialisation. Ils ont demandé qu’un responsable du CDD vienne les
aider à s’organiser ». C’est sur ces indications que je reprends la
route de Mokolo pour accompagner Joseph(*). Après le bitume, bifurcation vers
Koza, 20 km
de mauvaise piste (très mauvaise, pas si mauvaise, les avis divergent, mais le
qualificatif demeure).
L’agglomération a l’allure d’un petit chef-lieu, avec,
comme souvent ici, de grands espaces entre les groupes de bâtisses. La réunion
va se tenir dans la grande salle de la mairie, car l’un des responsables est
conseiller municipal.
D’emblée le bureau précise le contexte, nous sommes
la Fédération « Nga Dakona Ama »,
expression Mafa qui signifie : Allons
devant, avançons. Nous regroupons seize Unions de producteurs, chacune de ces unions étant elle-même constituée de
groupes divers(**). A raison d’1 à 6 délégués par union,
l’assemblée atteint une bonne soixantaine de participants, hommes et femmes à
égalité, certains sont membres de plusieurs unions. Je découvre alors que les
producteurs de porcs ne sont pas seuls. Les groupements semblent être
constitués par production : soja, oignons, céréales, petits ruminants,
porcs, bovins, culture communautaire… et aussi : reboisement, magasin de
stockage, artisanat…
Dans la discussion, trois productions sont mises en
avant : le soja, les petits ruminants et l’élevage de porcs. Joseph
propose la constitution de sous-groupes pour affiner la réflexion en 2 étapes.
1. Lister tous les éléments mis en œuvre pour
chacune de ces « filières », depuis le choix de la production jusqu’à
sa commercialisation et pointer les problèmes rencontrés.
2. Proposer des améliorations.
Un animateur suscite et canalise les discussions
dans chaque sous-groupe.
Pause ; à la dernière
minute le maire a demandé à disposer de la salle pour y célébrer un mariage.
Chacun en profite pour acheter quelques beignets à 2 petites marchandes de
passage.
La mise en commun est rondement
conduite, les animateurs s’expriment en français, le délégué (appelé président
dans nos assos) continue à tout traduire. Pour chacune des filières, je
m’empresse de noter de nombreux éléments de gestion courante. Pour vous situer,
la base de surface cultivable dans cette montagne surpeuplée est le « quart » (1/4 d’ha). Beaucoup de
familles disposent d’à peine un ha pour faire vivre 6 à 10 personnes.
A la fin, Joseph
récapitule les données et les classe en 3 grands types : techniques de
production, stockage, commercialisation. Pour sa part, il suggère
essentiellement la mise en place de formations aux techniques de production.
Les participants imaginent des solutions pour le stockage du soja, des abris de
la Sodécoton seraient disponibles. Quant à l’organisation
nécessaire pour améliorer les achats et les ventes, les réponses sont le plus
souvent renvoyées à « la fédération » !
Placé en observateur
depuis plus de cinq heures, je suis maintenant invité à m’exprimer sur l’organisation
des agriculteurs en France. Je leur fait part de mon expérience d’adolescent,
lorsqu’avec un petit tracteur je parcourais des kilomètres dans le froid vif
pour aller chercher, dans un wagon, l’engrais acheter en gros par une trentaine
d’agriculteurs qui s’étaient regroupés pour un meilleur prix d’achat. L’organisation
que je vois se mettre en place aujourd’hui m’a ramené à ces souvenirs. Je leur
dit aussi que depuis cette époque nos fédérations de groupements se sont
elles-mêmes fédérées, puis confédérées, puis… ont trop souvent échappé à leurs
initiateurs, même si le mot « mutuelle » demeure dans leur
appellation ! Je les invite à demeurer lucides pour conserver la maîtrise
de leurs organisations. Je relate enfin qu’il existe en Europe des agriculteurs
qui produisent essentiellement à partir des ressources locales. Ils limitent au
plus juste leurs achats d’engrais, de traitements, de nourriture pour animaux…
et ils gagnent leur vie.
(*) A propos des
personnes citées. Dans mes billets, j’ai l’objectif de me tenir au plus
près des faits que j’observe, cependant j’ai bien conscience que mon expression
est partielle et subjective. Pour que mes réflexions ne mettent personne dans
l’embarras, je prends le parti de modifier les prénoms.
(**) Ces groupes
sont des GIC (Groupe d’initiative commune), structure juridique se situant
apparemment entre notre association loi 1901 et une SARL ; j’en reparlerai
probablement.
Le temps ? Aurions-nous
déjà oublié nos sempiternelles préoccupations d’Européens ! Du temps qui
passe (trop vite), du temps qu’il fait (trop froid) du temps à venir (tout
programmé) ?
Heureusement, dans un commentaire sur ce blog, voilà que Louis-Marie nous
rappelle à un peu de réalité : Parlez-nous
de votre vie quotidienne ? La juste réponse serait : Eh
bien on vit, tout simplement on est là et on vit. Mais nous sentons
poindre une pincée d’impatience : Et
encore ?
Alors OK, voici quelques éléments
de vie ordinaire...
Le temps qu’il fait. Ciel sans nuage, bleu vif, virant parfois au grisâtre
avec un soleil un peu masqué. Températures évoluant au métronome ; ces
jours-ci : 25° le matin et 35° l’après-midi. Au jour de l’an, nous avions
20° et 30° ; on nous promet 30° et 40° pour début février. Et ça ne sera
pas fini !
La santé. Vraiment rien à signaler. Actuellement nos
organismes supportent bien la chaleur ; celle de l’AM nous fatigue un peu,
mais nous récupérons la nuit, et les matins nous trouvent plutôt dispos.
Il faut dire aussi que
nos menus sont de type européen (pas encore de boule de mil) avec des fruits
locaux à chaque repas, papaye à volonté.
Notre logement. Camping amélioré. Nous occupons une chambre dans
la structure d’accueil de l’évêché. Plutôt confortable par certains côtés, aucun
souci d’intendance, couverts assurés. Cependant, envie croissante de disposer
d’un chez nous. Une maison toute
proche nous est promise, mais elle a besoin d’un peu de réfection… et nous
n’apercevons guère d’ouvriers s’y empresser !
Nos lieux de travail. Pour le moment, à part quelques escapades, je me
tiens principalement dans l’enceinte de la mission catholique. Là se trouve le
siège du CDD (dont les services occupent trois petits bâtiments) et d’autres instances
du diocèse : l’accueil des passagers, la « procure » (services
administratif et financier), un atelier de mécanique…
Quant à moi, Maryvonne,
je suis affectée au centre de santé du quartier de DomayoSitué à environ 3 km de l’évêché, c’est un
vrai plaisir de m’y rendre à pied le matin, accompagnée par les « Bonjour nasaara » (Bonjour la blanche) des enfants qui vont à
l’école. Ici pas de « pédibus » mais une ribambelle de gamins vêtus
de la tenue de leur école. De temps en temps, certains - plus fortunés ou
habitant loin ? - se retrouvent sur la moto-taxi (2 devant le chauffeur et
3 derrière). Les malades arrivent au Centre à 7h30, je rejoins vite l’équipe
qui m’a très bien accueillie. J’espère que je serai à la hauteur de leurs attentes
! Pour l’instant j’observe.
Les horaires. 7h petit déjeuner, 7h30 à 12h30 travail, 12h30
repas, 13h30 sieste, 15h à 18h travail, 19h30 diner. Mais, rassurez-vous, le
vécu est parfois assez loin de cette rigueur affichée…
Les nuits sont scandées
de repères : 4h, appel du muezzin de la mosquée voisine ; 5h, chant
du coq annonçant le lever du soleil ; 5h30, carillon du grand séminaire
tout proche ; 6h15, petite cloche pour la messe dans le « boukarou » de l’évêché. Et déjà le
petit déjeuner est servi.
Les week-ends. Flânerie dans les marchés, découverte de Maroua
(ville très agréable), lessive (vite séchée), messe du dimanche (2 bonnes
heures !), messagerie électronique et blog. Et puis aussi repos, car qui
veut aller loin ménage sa monture, n’est-ce pas.
Par GL le dimanche 10 janvier 2010 (23:05)
- L'agriculture
Voilà une expression qui
fleure bon les tropiques : mil de karal.
Gonzague me reprend
vite : c’est du sorgho(*), tout le mil
ici est du sorgho, sauf le mil pénicilaire traditionnellement cultivé une année sur deux dans la
montagne. Soutenu par son compère Jean-Marie (voir le billet La belle étoile de Jean-Marie), il entreprend
mon initiation et répond avec patience à mes questions saugrenues :
Karal ? Non ce n’est pas une variété, c’est le nom du type de terre argileuse
portant cette culture.
Mil de contre-saison ? Y aurait-il donc une
culture de saison qui l’aurait précédée ? Non, non c’est la seule culture annuelle sur ce
sol. Simplement il est repiqué à la fin de la saison des pluies
Repiqué ? Oui, avec une barre à mine.
Une barre à mine ! ! ? Bien sûr, on fait un trou de 30 cm de profondeur.
Certains utilisent encore le boukarou,
un pieu ferré à l’extrémité.
30 cm ! ! Oui c’est ça, en octobre le plant élevé en
pépinière atteint parfois 50 centimètres. On l’enfonce d’une vingtaine de cm et
on verse un peu d’eau dans le trou.
Mais les surfaces sont immenses dans ces vallées...
C’est vrai, mais généralement chacun n'y cultive
que quelques ares, qu'il sait reconnaitre. Beaucoup de familles louent un lopin, elles emploient
aussi des saisonniers venant de la montagne. La préparation se fait durant la
saison des pluies, on délimite des petits carrés de terre avec des diguettes
pour retenir l’eau. Autrefois on coupait l’herbe et on y mettait le feu avant
de repiquer le mil, maintenant l’herbe est éliminée par des épandages de Roundup.
A la récolte, en février, ce mil de karal rejoint dans les greniers le mil de pluie (ayant
poussé de juin à août). Si les deux récoltes ont été trop faibles la « soudure » sera terrible. Cette « période
de soudure » va de mai à septembre, c'est-à-dire depuis la sortie des
semences du grenier jusqu’à la récolte du mil de pluie. En 1998, l’ensemble de
la région a subi une disette, mais les conséquences ont été particulièrement
dramatiques dans la montagne où le mil de
karal n’existe pas. Depuis, le CDD a vivement encouragé la mise en place de
greniers communautaires où des réserves de grains peuvent être constituées. On
en reparlera...
(*) Sorgho et mil : pour faire simple, le sorgho pousse sur une seule
tige, comme le maïs, tandis que le mil peut taller, la pousse initiale peut se subdiviser
en plusieurs tiges, comme le blé.
Jeudi 7 janvier 2010, je
participe en observateur à une importante réunion de travail de l’équipe
d’animation du CDD(*). Il s’agit de lancer l’année civile et de débuter la mise
en œuvre du dixième plan cadre du CDD adopté au cours de l’année 2009 (plan
triennal).
La rencontre rassemble une dizaine de personnes constituant l’équipe animatrice du CDD (5 travaillant
habituellement au siège, 5 autres personnes venant de divers endroits du
diocèse)
De l’ensemble de la journée, je retiens les actifs
échanges sur l’option d’animation à prendre pour 2010 : l’équipe d’animation doit-elle intervenir
dans de nombreux villages ou bien concentrer son action sur quelques
communautés villageoises apparemment plus impliquées dans une démarche de
développement ? Au final, c’est plutôt cette seconde option qui est
retenue car le nouveau plan cadre du CDD préconise une démarche volontariste de
type « APPROCHE VILLAGE ».
Le secrétaire général argumente qu’il arrive trop
souvent que le CDD soit considéré par les villageois comme une simple source de
financement de besoins ponctuels (un puits, une école, un bief… parfois pour
une seule partie du village). Fidèle à sa philosophie d’autopromotion, le CDD
aimerait que toute réalisation pratique soit intégrée dans une démarche plus
vaste, visant un développement cohérent de l’ensemble du village. Il s’agit
donc pour l’équipe d’animation d’interroger la communauté villageoise : Qu’est-ce
que le développement pour vous ? Que souhaitez-vous pour votre village dans son ensemble ? Pas
seulement pour l’une de ses facettes, l’eau par exemple.
Ainsi, pour se donner les moyens de réussir cette
option, le CDD préfère concentrer ses actions d’animation sur quelques
villages. Dans une démarche expérimentale il va falloir élaborer des outils
d’animation. L’un deux consiste à dresser avec les villageois la carte
des ressources. Sur un support bien visible sont notés, au fur et à
mesure de leur évocation, les emplacements des ressources présentes au
village : puits ou autres points d’eau, école, centre de santé, quartiers
(les villages sont généralement très étendus, sans centre), grenier
communautaire, etc. Ce premier temps consiste donc à VOIR.
Il s’agit maintenant de REFLECHIR en abordant les causes et les conséquences de la
situation actuelle : les puits sont tous dans le même quartier, le grenier
communautaire est dans la cour du chef… Pourquoi
les choses sont-elles ainsi ? Que se passera-t-il pour le village si ça
continue ainsi ?
Alors peut-on AGIR ?
Bien sûr certains éléments nous dépassent, mais sur d’autres points nous
pouvons commencer une action. Pour prévenir une famine toujours possible (celle
de 1998 est toujours dans les mémoires), nous pouvons organiser un second
grenier communautaire, pour augmenter les rendements nous pouvons mettre en
place du compostage de végétaux…
(*) CDD = Comité diocésain de
développement. Voir sa rapide présentation radiophonique dans le billet : Le CDD anime le milieu rural. Dans des
billets à venir je ne manquerai pas de vous en dire plus.
Nous avions découvert son existence sur Internet www.marouapromo.org Alors nous
avons sollicité Jean-Marie pour nous y conduire. Mais d’abord, en ce jour de
l’an, escale au cimetière de la mission. Une dizaine de tombes sobres dans
l’enceinte de l’évêché. De simples passants et des « fondateurs » y
reposent. Le frère Yves Lescanne est l’initiateur de la
« Belle-Etoile », un de ses protégés l’a massacré en 2002, pour une
poignée de francs.
A l’autre bout de la ville, déjà bien au milieu des
champs de mil, un enclos d’un demi-hectare, une cour poussiéreuse, 3 petits
bâtiments, une cuisine en extérieur, un puits à l’opposé. Ibrahim et Christine ainsi
que Joël et Doris nous accueillent chaleureusement. Ce sont les 2 jeunes
couples qui encadrent une vingtaine d’enfants de 4 à 16 ans. Une vingtaine, car
les conditions d’accueil dans l’enceinte de la Belle-Etoile sont à dimension
variable. Les pensionnaires ont en commun d’être temporairement en danger s’ils
restaient dans leur milieu antérieur, le plus souvent la rue.
Ayant fini de se laver (ou de jouer !) autour
du puits les enfants arrivent progressivement pour exprimer une « Bonne année mon père » et agrandir
le cercle que nous formons. Jean-Marie s’enquièrent des absents, plusieurs ayant
rejoint leurs familles pour les fêtes. Nous
faisons en sorte qu’ils conservent autant de liens que possible avec leurs
proches, nous confie-t-il. Echange de friandises, pop-corn et bonbons, la
quiétude se lit sur les visages. Bientôt tout le monde est là
On se lève pour le tour de la propriété. Autour du
puits un espace de jardinage, chaque enfant est responsable d’un carré (2, 3
m²) qu’il doit planter et arroser ; mais la saison n’est pas propice à la
production. Poteaux de buts plantés à chaque extrémité de la cour, Ibrahim
évoque les nombreuses parties de foot. Un maître, payé par l’association, vient
chaque jour pour une classe multi-niveaux. L’école, simple appentis, abrite
quelques bancs démantibulés, Jean-Marie rouspète un peu à la vue de ces bancs
dont il exige la réparation au plus vite, par un menuisier au besoin.
L’habitation rudimentaire comporte 5 chambres
contigües, un couple à chaque bout et les 3 pièces centrales pour les enfants
et les jeunes. Des nattes au sol, une étagère brinquebalante à partager entre
tous. Sur chaque porte est placardé le règlement intérieur rédigé par le frère
Yves. Article premier : A la
Belle-Etoile, aucun enfant n’a le droit de rester affamé…
Jean-Marie Pouymiroo est prêtre
de la Mission de France. Il travaille en Afrique depuis plus de 40 ans, tout
comme son collègue le père Gonzague Dambricourt. Tous deux ont consacré leur
vie à la promotion humaine au Cameroun. Depuis notre arrivée nous partageons
leurs repas, une chance pour nous de nous enrichir un peu de leur longue expérience… Il
est certain que des occasions nous seront bientôt offertes de vous en dire plus
sur eux.
Allo…
Oui chef... En fait, je m’envole vers Mokolo, avec « le couple ».Au volant de son 4X4
Toyota, Bello vient de répondre à un appel de son directeur, qui semblait
vouloir lui confier une autre tâche. Mais, tout à l’heure, en nous promenant
dans le quartier, nous l’avons salué. Il nous a appris que les maçons de Mokolo
sont à court de ciment ; ils l’ont appelé et il doit donc aller les
livrer.
Après 3 jours de ville, nous commençons à
ressentir l’appel de la brousse. Le temps de charger une tonne de ciment dans
le pick-up et nous voilà bien calés à trois dans la cabine.
La livraison doit se faire dans la
montagne, quinze km de piste rocailleuse après les 80 km de bitume séparant
Maroua de Mokolo. Route plutôt en bon
état, parsemée seulement de quelques nids de poule, devenant ici et là des
« nids d’autruche », dixit Bello.
Longue remontée de la vallée de la
Tsanaga. D’abord de vastes étendues planes et vertes portant du mil de
contre-saison (“karal”),
puis de petites plantations de coton en cours
de récolte, quelques troupeaux de bovins apparaissent, marchant vers on ne sait
où, et voici qu’émergent les premiers amoncellements de rochers. La route
s’élève « en serpent », les concessions de toits ronds et pointus semblent
se multiplier au milieu d’amas de roches. Seuls les arbres, assez nombreux,
verdissent le paysage.
Nous continuons à nous
élever, en slalom sur la piste à 10, 15 km/h, Bello nous confie son rêve
d’accompagner un jour le « Dakar » !
Le chantier : la construction d’un
bief, une digue de cailloux fortement cimentés, bien ancrée au fond d’un
torrent aujourd’hui rempli de sable sec. A la saison des pluies elle doit
empêcher l’eau de s’enfuir trop vite. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit bien
haute, 50 cm au-dessus de la surface actuelle suffisent. L’eau sera retenue le
temps qu’elle s’infiltre dans la nappe phréatique. Les arbres en profiteront et
les puits tiendront plus longtemps. L’opération est répétée de multiples fois à
quelques centaines de mètres d’intervalle.
Au moins 20 personnes
sont à pied d’œuvre sous le soleil. Ce sont les paysans
du secteur encadrés par 3 techniciens. C’est la population qui a demandé cette
construction, résultat d’un long travail de sensibilisation conduit par le CDD.
Aujourd’hui, les frais engagés sont accompagnés par une subvention de l’Union
européenne, dans le cadre d’une lutte contre l’extension du sahel.
Par GL le lundi 21 décembre 2009 (00:00)
- Notre projet
Stage départ
Volontaires DCC (Délégation catholique pour la coopération) novembre 2009
Super stage à Chevilly-Larue, pour 56 partants vers les 4 coins de la planète...
Dix jours intenses pour faire le plein avant le grand saut. Cure de rajeunissement pour nous deux, la moyenne d'âge étant la trentaine ! Stage
aux multiples facettes : approche des cultures dans lesquelles nous
allons être plongé, échange sur les missions qui nous serons confiés,
approfondissement personnel pour tenir dans les coups durs, etc, etc. Plus conscients de ce qui nous attend, nous voilà prêts à partir.
''Le texte Partir nous a touché ; alors nous le proposons à votre propre réflexion''.
PARTIR...
''Quand on a décidé de partir,'' il faut faire ses bagages, seller son
âne et se mettre en route. La montagne est à peine visible dans le
lointain. A l’aube il faut partir...
''C’est un grand départ.'' Il faut dire adieu. A quoi ?
A tout et à rien. A rien, car ce monde que l’on quitte sera toujours là près de nous, en nous, jusqu’à notre dernier souffle, toujours aussi près de nous. Étant chassé et repoussé, il a bien des chances de surgir avec plus de véhémence à l’intérieur de nous même.
A tout, car, en partant à la recherche de l’absolu, nous coupons les ponts avec tout ce qui pourrait nous en détourner.
''La séparation,'' finalement, n’est pas dans l’éloignement mais dans le détachement. Il faut à tout prix empêcher notre personnalité de se replier sur elle-même, de se construire une citadelle.
''Avant de partir,'' il y a quelques coups de hache et de serpe à donner. En tranchant autour de soi, on voit immédiatement que l’on tranche en soi. Mais il ne faut pas attendre d’être détaché de tout et de soi pour partir.
''Qu’emporter avec soi ?'' Tout soi-même et rien de moins. Étrange réponse après avoir dit qu’il faut tout laisser et surtout se laisser soi-même. Et pourtant c’est vrai, il faut s’emporter tout entier. Beaucoup ne partent qu’en apparence. Ils se mettent eux-mêmes en sécurité avant de se mettre en route. Ils se font une personnalité artificielle, ce robot, cette ombre d’eux-mêmes qu’ils envoient. Ils n’entrent jamais vraiment de tout leur être dans l’expérience.
En partant, il faut mettre sur son âne tout ce qu’on possède et partir avec tout ce qu’on est, il faut tout prendre, les grandeurs et les faiblesses, les grandes espérances, les tendances les plus basses et les plus violentes, tout, tout, car tout doit passer par le feu.
D’après un texte du Père RAGUIN «''Chemin de Contemplation'' »
Par GL le dimanche 20 décembre 2009 (00:00)
- Notre projet
Gabriel et Maryvonne Lucas s'envolent pour le Cameroun
Ouest-France, Séné, mercredi 2 décembre 2009
Bien connus des Sinagots pour leurs engagements respectifs au sein des antennes locales du CCFD et d'Emmaüs, ils s'apprêtent à partir en Afrique, où une mission de coopération les attend. Le 29 décembre, ils s'envoleront pour N'Djamena, la capitale du Tchad, d'où ils rejoindront la région de Maroua, dans le nord du Cameroun. Un projet mûri depuis de nombreuses années...
Depuis quand cette idée vous trotte-t-elle dans la tête ?
Maryvonne : Gaby est déjà parti en coopération en Côte d'Ivoire dans le cadre de l'association des Volontaires du progrès (1). Quant à moi, je suis passionnée par l'Afrique depuis l'âge de 12 ans, suite au passage de missionnaires qui venaient à l'école nous parler de ce continent. Je voulais aider les gens. Nous avons attendu que Gaby soit en retraite pour partir.
Quelles seront vos missions ?
Gabriel : J'assurerai la formation agricole de jeunes couples, envoyés par des communautés villageoises afin de servir de référence pour aider les autres villageois à améliorer leur vie. A une époque où des barrières s'installent entre la France et l'Afrique, j'y vais surtout pour établir des liens afin que l'on se connaisse mieux. Nous partons avec la Délégation catholique pour la coopération (2) et nous serons accueillis, sur place, par le comité diocésain de développement de Maroua, une région très peuplée, mais aussi très pauvre, en raison des problèmes de communication entre le nord et le sud du pays, coupé par une barrière montagneuse.
Maryvonne : Infirmière, je travaillerai au centre de santé et je serai chargée, notamment, de la gestion des médicaments et de l'amélioration du circuit des malades. J'ai envie de rencontrer des gens différents, et partager ma vie avec eux. Nous choisissons d'être bousculés dans notre confort quotidien. Le plus important, pour nous, est de tenir compte du contexte local, des gens, de leur vie, leurs croyances, et apporter des choses en sachant doser, petit à petit, notre intervention professionnelle.
(1) L'association des Volontaires du progrès est désormais opérateur de ministère des Affaires Étrangères et Européennes (MAEE). Sa mission s'intègre à son programme « Solidarité à l'égard des pays en développement ».
(2) La DCC, Délégation catholique pour la coopération est un organisme de volontariat de l'Église de France.
Merci à Anne Dalmais pour ce petit article-interview qui résume bien notre état d'esprit à la veille du départ.
Par GL le samedi 19 décembre 2009 (23:14)
- Notre projet
Quand nous parlons de notre projet à notre entourage, nous sentons bien que notre démarche interroge, intrigue, étonne… Qu’allez- vous faire là-bas ? Ont-ils besoin de nous ?... Alors pourquoi pas une soirée de découverte du Nord-Cameroun qui serait aussi une façon de dire au revoir.
Malgré un froid vif à l'extérieur, samedi 19 décembre 2009 fut une soirée chaleureuse.
Marie-Annick Daniel revient d’un volontariat de 2 années dans la région de Poli (300 km au sud de Maroua). Avec des photos et un témoignage poignant, venant du cœur, elle a permis aux uns et aux autres d’approcher un peu la difficile vie quotidienne des populations et leurs efforts d’amélioration de leurs conditions de santé.
A l’été 2009, Joël et Michèle Le Gloahec sont allés visiter leur fille Marthe, volontaire du progrès à Maroua. Elle participe à la mise en place d’un tourisme solidaire. Cette région montagneuse est vraiment magnifique et une certaine forme de tourisme peut permettre à la population de mieux vivre. Avis aux adeptes de dépaysement…
Bien sûr, nous avons aussi évoqué ce qui nous attend, mais patience nous en parlerons plus justement quand nous serons sur le terrain…
Un grand merci à chacune et chacun pour les encouragements et l’amitié exprimés
Et puis, à la messe du dimanche matin, sur la demande du père Alberto, nous avons aussi associé la communauté paroissiale à notre prochaine année africaine…
Par GL le vendredi 18 décembre 2009 (00:00)
- Le Cameroun
Le Cameroun est presque aussi grand que la France.
La moitié de ses 20 millions d'habitants à moins de 20 ans.
Le Cameroun est situé en Afrique centrale, il a une façade Atlantique, une large base dans l'humide forêt équatoriale et monte jusqu'au lac Tchad, zone touchée par la sécheresse,
Quelques mots de présentation du contexte humain et géographique du diocèse de Maroua-Mokolo au Nord-Cameroun
(cliquer pour écouter)
Pour une écoute en ligne, cliquer sur un lien ci-dessus (ou copier-coller le lien dans la barre d’adresse d’un navigateur Internet)
Il est aussi possible de télécharger cette émission (fichier au format MP3) La procédure de téléchargement varie selon les logiciels présents sur votre ordinateur. Par exemple, une fois l'écoute en ligne lancée :
1. Agrandir la fenêtre jusqu’à obtenir la ligne : Télécharger ce fichier son au format Mp3
2. Clic droit sur cette ligne
3. Clic gauche dans le menu contextuel sur : Enregistrer la cible sous…
4. Décider d’un emplacement pour ce fichier (un dossier ou le bureau) ; n'hésitez pas à le renommer pour mieux le retrouver.
Pour faire circuler les nouvelles... il y a eu le tam-tam, les signaux de fumée, le messager marathonien... et parmi les derniers nés : le blog.
Tout au long de notre séjour camerounais, nous allons essayer d'y tenir un "journal". Nous y ferons part de nos rencontres et de nos découvertes. Nous espérons que vous réagirez par des commentaires et qu'un dialogue pourra s'instaurer entre les visiteurs de ce blog.
A propos de la bannière de ce blog
Les photos de l'en-tête du blog ont été prises dans la région de Maroua en juillet 2009 (saison des pluies) par Joël Le Glohaec, président de Lara-Kapsikis
Cette asso a l'objectif d'une "Amitié Nord Cameroun - Pays de Vannes", en particulier au moyen du tourisme solidaire.
Merci aussi à notre fils Emmanuel pour avoir artistiquement mis en forme cette image d'entrée.
Sans oublier la compétence de Florent, qui guide patiemment son père dans les méandres technologiques de ce blog.
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